Le « pouvoir préfectoral de dérogation » peut-il être « un outil au service des territoires » ? Assurément, selon les sénateurs Guylène Pantel (RDSE) et Rémy Pointereau (LR), auteurs d’un rapport sur ce thème. Adopté à l’unanimité le 13 février 2025 par la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, il a été remis à Bruno Retailleau, ministre de l'Intérieur, six jours plus tard. Ils y exposent les apports de cet « outil novateur », lancé via une expérimentation par décret en 2017 et pérennisé par un décret du 8 avril 2020. Mais ils y soulignent également les limites qu’il rencontre, appelant à lever ces obstacles. Car ce « pouvoir de dérogation, s’il est utilisé à bon escient, peut favoriser la réalisation des projets locaux », affirment les sénateurs.
Pour rappel, ce pouvoir peut s’exercer, à ce jour, dans sept domaines, listés par une circulaire de Jean Castex, alors Premier ministre, en 2020. Parmi eux, se trouvent, d’une part, l’aménagement du territoire et la politique de la ville. Par exemple, le préfet peut « étendre en dehors des territoires concernés l’éligibilité à certains dispositifs de soutien de niveau réglementaire assis sur [certains] zonages », à l’instar des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) ou des zones de revitalisation rurale (ZRR), indique la circulaire. D’autre part, ce texte mentionne le thème « construction, logement et urbanisme », qui permet notamment au préfet de « déroger à la durée d’instruction des permis de construire délivrés par l’État et relevant de sa compétence ».
Thèmes, critères… de multiples freins
Mais en l’état actuel du droit, « le recours à cette dérogation est peu fréquent », regrette le rapport du Sénat. Depuis le décret de 2020, sur un total de 780 arrêtés de dérogation pris par les préfets de département et de région, 24 seulement ont traité de la construction (au sens large), soit 3 % du total.
Aujourd’hui, ce dispositif se heurte à un « parcours d’obstacles », critiquent Guylène Pantel et Rémy Pointereau. Ils pointent plusieurs éléments restrictifs : une liste de thèmes circonscrite ; de trop nombreux critères cumulatifs à respecter ; la « frilosité » du corps préfectoral ; et le frein de « la saisine préalable de l’administration centrale », supprimée par une circulaire de Michel Barnier, ex-locataire de Matignon, en octobre 2024.
Logement : vers une « habilitation législative » ?
Afin de pallier ces difficultés, les sénateurs recommandent notamment de « supprimer la liste limitative de domaines pour lesquelles la dérogation est possible ». À la place, ils souhaitent créer « un principe général de possibilité de dérogation du préfet pour les décisions individuelles relevant de sa compétence ».
En matière de « logement, construction et urbanisme » en particulier, les rapporteurs recommandent d' « évaluer les régimes législatifs de dérogation » – notamment sur le taux SRU et la durée maximale du contrat de mixité sociale (CMS) – et d' « envisager, le cas échéant, leur extension ». Ils conseillent aussi d'envisager, à titre expérimental, « une habilitation législative dans le domaine de la construction, du logement et de l’urbanisme ». La dérogation ne serait donc plus limitée au cadre réglementaire.
Les rapporteurs jugent d’autant plus crucial d’intervenir en ce sens car le sujet « logement, construction et urbanisme » est jugé prioritaire par les élus locaux, selon une consultation Ipsos-Sénat entre novembre et décembre 2024. 29 % d’entre eux le citent, en effet, en première position. Quant au sujet « aménagement du territoire et politique de la ville », il arrive en troisième position (14 %).
Enfin, le rapport suggère d’élargir le rôle de la commission départementale de conciliation des documents d’urbanisme pour en faire une « conférence de dialogue ». Son objectif serait de « mieux faire connaître le périmètre et les limites du droit de dérogation ». Une manière d' « associer étroitement les élus locaux à l’exercice du pouvoir préfectoral de dérogation », assurent-ils.