ISH, Light+Building, salon Algorel, Équipbaie-Métalexpo, Préventica, Nordbat, Artibat, Exposition Bim World Bau à Munich… Semaine après semaine, mois après mois, la liste des reports et des annulations de salons professionnels s’allonge, implacable. Dans un environnement où les craintes sanitaires s’installent, rien ne semble plus freiner l’effet domino auquel les acteurs du bâtiment assistent.
« Nous avons fait tout notre possible pour que ISH 2021 puisse être organisé comme un salon classique avec des rencontres personnelles. Malheureusement, les derniers développements de la pandémie ont conduit à une incertitude croissante chez les exposants et les visiteurs. » Le propos de Wolfgang Marzin, président du conseil d’administration de Messe Frankfurt, annonçant l’annulation d’ISH dans un communiqué publié le 22 septembre, fait écho, entre autres, à la décision d’exposants, tels Grohe ou Hansgrohe, de ne pas participer à ce salon de premier plan.
À lire aussi
Face à l’interdiction gouvernementale de tout événement rassemblant plus de 1 000 personnes en France, NordBat a aussi jeté l’éponge : après un premier report, la 12e édition (initialement prévue en mars), qui devait se tenir au Grand Palais à Lille du 13 au 15 octobre, est repoussée à 2022. Le groupement de négociants indépendants Matnor (45 adhérents indépendants et 55 points de vente, pour un chiffre d’affaires de 240 M€) n’avait pas attendu cette annonce pour se désengager. « Mi-septembre, les adhérents ont pris la décision de ne pas participer à ce salon incontournable de notre région sur lequel notre présence se matérialise habituellement par un stand institutionnel… quand tout va bien, explique Thierry Gohier, secrétaire général de Matnor. La décision a été motivée suite à des échanges avec nos clients artisans, à la fois concentrés sur leur reprise d’activité et peu enclins à venir, mais aussi avec des industriels : le report est une sage décision, car mieux vaut ne rien organiser que tenir un salon mitigé. »

Des décisions comprises
Pour sa part, le groupement Algorel (150 adhérents forts de 760 points de vente, pour un chiffre d’affaires de 2,2 Md€), a préféré, « par prudence sanitaire », repousser l’édition de son salon prévue les 17 et 18 septembre à Disneyland Paris pour le proposer les 18 et 19 septembre 2021. « Nous décalons tout d’un an, explique Dimitri Both, directeur exécutif. C’est une décision responsable acceptée et partagée par tous les industriels. » De son côté, l’organisateur du salon Équipbaie-Métalexpo a reporté son édition 2020 pour les mêmes raisons. « Sans que nous saisissions les tenants et aboutissants de la pandémie, nous avons compris, dès mars, grâce à une concertation avec les organisations professionnelles, dont le pôle fenêtre FFB, que les menuisiers auraient de nombreux chantiers à rattraper et que le contexte n’était plus propice à les attirer en novembre », avance Guillaume Loizeaud, directeur de la division construction de Reed Expositions France.

Aucun organisateur n’a tenté le diable. « Fin mai, en l’absence d’informations de la préfecture et de l’agence régionale de santé (ARS), et suite aux interrogations des exposants sur les conditions sanitaires d’accueil de 50 000 personnes sur un site de 65 000 m2, le choix a été pris de reporter Artibat en octobre 2021 », précise Valérie Sfartz, directrice de cette manifestation du Grand Ouest. La décision soulage certains exposants. « L’annonce du report d’Artibat est une bonne nouvelle, cohérente avec la politique de sécurité de l’entreprise, indique Alexa Leclerc, responsable du marketing du fabricant d’enduits Beissier. Nous avons bien communiqué avec les organisateurs et croisons les doigts pour que la situation sanitaire en 2021 permette la tenue du salon. »
À lire aussi
Pas de salon sans exposants
La plupart des organisateurs ont donc reporté d’un an l’ouverture prévue des salons professionnels, pariant – ou espérant – une amélioration des conditions sanitaires d’ici là. Ces décisions se fondent sur trois arguments : le soutien des exposants, le rôle central de ces manifestations, la compétence des organisateurs eux-mêmes.
À lire aussi
Or, il semble que, soulagés par les reports, de nombreux industriels et fabricants se sont engagés pour les futures éditions. Dès l’annonce du report d’Artibat aux 13, 14 et 15 octobre 2021, 600 des 800 exposants – soit 79 % de la surface commercialisée – ont ainsi reconduit leur participation, selon Valérie Sfartz : « Nous avons envie qu’Artibat se déroule physiquement : même avec des adaptations nécessaires, nous pensons au salon 2021 comme un salon classique d’affaires, où 40 % des visiteurs sont des artisans, qui aiment découvrir le matériel, comprendre les nouvelles gammes des fabricants. On perce, on troue, on essaye. Quelque chose se passe entre le matériel et les visiteurs, qui nous fait penser que ce type de rencontre n’est pas digitalisable, par exemple ! »

En effet, ces annulations multiples finissent par poser la question de l’utilité de ces rencontres. Parmi les salons maintenus, parce que se déroulant initialement en 2021, BePositive, salon spécialisé dans la transition énergétique et organisé par GL Events en année impaire à Lyon (651 exposants et 30 000 visiteurs en 2019), se tiendra du 2 au 4 mars 2021. Pour Florence Mompo, directrice de cet événement, il importe d’avoir en tête le rôle de ces manifestations : « Un salon doit être au service d’une filière pour l’aider à se structurer. S’il perdure, c’est en premier lieu pour accompagner la mise en relation entre professionnels. Notre cœur de métier est l’intermédiation et la capacité à proposer des événements synonymes d’accélérateur de business. » Ainsi, BePositive a mis en place le « principe du feu de camp », un « format disruptif » réunissant 15 personnes autour d’un expert pour un temps d’échanges tout en développant un système de rendez-vous d’affaires entre exposants et visiteurs. Quand les organisateurs de NordBat indiquent que leur « volonté » était « d’accompagner l’ensemble des acteurs du bâtiment de la région et de participer, même modestement, à la reprise économique », c’est bien le rôle de courroie de ces temps forts qui est pleinement rappelé.

Gestion du risque
Par ailleurs, la capacité à gérer le risque sanitaire, clé de la tenue de ces salons, est interrogée. « Nous, professionnels de l’événementiel, savons gérer les flux. Nous avions prévu des conditions plus restrictives que les préconisations sanitaires officielles, tant en capacité dans les salles que concernant la présence des points gel hydroalcoolique, détaille Éric Dejan-Servières, dirigeant du salon Préventica Lyon. Valérie Sfartz ne dit pas autre chose : « Il faut prendre les salons professionnels au sérieux. Nous avons toujours su assumer nos responsabilités pour mettre les visiteurs en sécurité et savons évaluer et nous adapter en fonction des nouveaux risques, le tout en concertation avec des acteurs comme l’ARS et la préfecture ! »
À lire aussi
Florence Mompo s’agace même un peu : « En tant qu’experts de ces métiers, nous sommes responsables de l’accompagnement de ces marchés. Depuis septembre, de nombreuses manifestations dans d’autres secteurs ont eu lieu et se sont bien déroulées. La mise en sécurité est notre cœur de métier, on oublie un peu vite que, depuis les attentats, nous travaillons en étroite relation avec les préfectures pour adapter le plan Vigipirate en amont des manifestations. Nous sommes déroutés par la prise de position gouvernementale à l’égard des organisateurs professionnels et l’amalgame un peu rapide fait avec les rassemblements publics. Comment peut-on laisser ouverts des grands centres commerciaux à Lyon et interdire la tenue de salons dans le même temps ? Nous ne comprenons pas. »
Impair et gagne… ou pas
Si la majeure partie des salons professionnels liés au secteur du bâtiment se concentrent désormais en 2021, certains commencent à s’interroger sur l’utilité du concept de ce type de manifestations. Tout d’abord, la multiplication des dates l’année prochaine, dans un contexte sans réelle visibilité, interpelle. « Nous risquons d’assister à un embouteillage de salons sans être certains qu’ils aient réellement lieu, sachant, de surcroît, que certaines dates ne sont pas encore fixées », s’interroge Virginie Heckel, directrice du marketing de Veka pour l’Europe du Sud-Ouest et l’Afrique du Nord, un industriel spécialisé dans la conception de systèmes de menuiseries et l’extrusion de profilés PVC. C’est le cas, par exemple, du salon Équipbaie-Métalexpo (400 exposants, 20 000 visiteurs lors de l’édition 2019) repoussé en 2021, à une date non encore précisée. « Nous cherchons [NDLR : au 26 septembre, date de notre entretien] un créneau au hall 1 du Parc des expositions de la porte de Versailles à Paris », explique Guillaume Loizeaud, qui balaie l’hypothèse de fusionner ce salon avec Batimat, qui se tiendra du 19 au 21 novembre 2021 : « Nous y avons réfléchi, mais la filière a besoin de ces deux salons complémentaires qui ne doivent pas avoir lieu au même moment. »

Autre question d’importance, quid des industriels qui devaient exposer leurs nouveautés sur ces événements ? « Ces salons font partie de notre plan d’action marketing avec le lancement de nouveaux produits, l’organisation, le concept du stand, rappelle Virginie Heckel. Nos clients sont notamment des fabricants et des installateurs du réseau Fenétrier Veka et, en tout début de pandémie, nous nous sommes adaptés pour créer nos propres événements. » Veka a ainsi proposé, dès février, des webinaires – ou séminaire en ligne – pour compenser en partie l’absence de rencontres physiques, avec des informations sur les innovations, sur les aides gouvernementales, les tendances du marché, mais aussi les solutions digitales. Pour autant, admet-elle, « rien ne remplacera le toucher, comme avec le lancement de la finition Veka Spectral, dont la vidéo ne permet pas de saisir l’aspect ultramat ». Cela fait dire à Virginie Heckel que, « même si la réflexion était engagée avant la crise », le contexte se prête aujourd’hui « à repenser le concept de salons en les organisant de façon plus ciblée ».
Des réflexions ouvertes
Le sujet fait aussi son chemin chez Beissier. « Les annulations d’Artibat et de NordBat posent question en termes de marketing, estime Alexa Leclerc. Nous avions cadencé nos lancements de nouveautés, comme Prestonett Multi-Light, enduit multiusage léger et ultragarnissant, en fonction des salons. Nous avons trouvé d’autres solutions, en étant présents sur les réseaux sociaux, en nous orientant vers les influences, en organisant des journées techniques avec les enseignes pour rencontrer les peintres sur le terrain. » Et d’admettre une réflexion sur la présence dans ces rendez-vous événementiels. « Il y a une forme de désamour de la part des peintres qui ne se rendent plus en nombre sur les salons. À l’avenir, nous n’agirons plus de la même manière : un stand de 36 m2 pendant trois jours a-t-il encore un intérêt quand nous pouvons organiser des actions sur le terrain, comme des roadshows ? Les peintres ont besoin de relationnel, et c’est avec les distributeurs que nous allons réfléchir à de nouvelles formes de contacts. »

Pour autant, tous les événements ne sont pas remis en cause, loin de là. Si Matnor s’était retiré de NordBat avant la décision du report, le groupement maintient, avec Mat+ et Starmat, son salon Synermat, en mars 2021. « Cet événement privé s’adresse à nos adhérents, que nous aurions pu tenir maintenant s’il avait eu lieu, avec une jauge inférieure à 1 000 personnes, explique Thierry Gohier. Sa remise en cause n’a pas lieu d’être, puisqu’il est plébiscité par les fournisseurs là où ces derniers auraient eu du mal à se rendre dans les négoces. Synermat, qui se situe dans le besoin de convivialité et de rencontre de notre métier, s’organise sous forme de rendez-vous entre adhérents et industriels partenaires. Sauf contrainte sanitaire, il se tiendra ! »
Vive « l’hybridation »
Si chacun convient de la nécessité de repenser les salons d’affaires actuels, les avis peuvent diverger sur leur forme. Néanmoins, un concept revient systématiquement, « l’hybridation » des rendez-vous. « Avec la webradio BatiRadio, lancée en juillet 2018, nous n’avons pas attendu la pandémie pour garder un lien avec les professionnels, souligne Guillaume Loizeaud. Nous investissons une somme importante sur deux ans pour soutenir ce projet ambitieux, sans parler de l’offre de webinaires thématiques. Pour répondre à la nécessité d’étendre le lien au-delà de cinq jours tous les deux ans, nous allons proposer un prototype pour Équipbaie-Métalexpo en novembre, et multiplier les expériences et les formats autour d’un développement de la valeur, avec la création d’une plate-forme proposant contenus et rencontres mensuelles coproduits avec les exposants. En fait, nous allons “ désévénementialiser ” les salons et prolonger la relation avec les professionnels. »
Un exercice d’équilibre
BePositive participe aussi au mouvement, et développe une application qui sera proposée en novembre. « L’hybridation digitale au-delà de la manifestation physique permet de faciliter la transmission entre exposants et visiteurs à travers des rendez-vous d’affaires ou la valorisation de produits en ligne, annonce Florence Mompo. Repenser nos modèles autour de l’intermédiation nous pousse dans le corner ! La crise sanitaire a pour effet de donner un coup d’accélérateur de l’ordre de trois ans sur les investissements digitaux. C’est une formidable opportunité à condition de trouver le juste équilibre. »

Même « s’il n’est pas digitalisable », Artibat veut continuer à innover et organise avec Novabuild, le 22 octobre, la troisième édition de Cirq, 100 % en ligne, pour présenter 10 start-up lauréates autour de la « massification de la rénovation ». « Nous les accueillerons sur le salon physique en 2021, mais nous ne voulions pas attendre pour faire partager ces retours d’expériences et ces expertises, car le secteur du bâtiment doit être un acteur majeur de la rénovation, défend Valérie Sfartz. La rénovation énergétique et le dérèglement climatique ne se sont pas arrêtés à cause de la situation sanitaire. » Pour ne pas minimiser les lancements de nouveautés, les organisateurs d’Artibat planchent même sur un cahier de tendances envoyé par courriel à une base de visiteurs « ultraqualifiés ».
Enfin, la quête de l’hybridation ne devra pas être déconnectée de son intérêt financier. « Le modèle économique à trouver est celui où l’on acceptera de payer des supports digitaux qui amèneront autant de business que les rencontres événementielles », prévient Éric Dejean-Servières. Guillaume Loizeaud ajoute : « En arrière-plan, l’enjeu est d’élargir notre portefeuille. Si le développement de contenus est d’abord proposé en format gratuit, il générera des leads qualifiés et du business sur des modèles payants. » Effets d’annonce ou révolution ? « Des déclarations sur l’hybridation à la mise en pratique, il convient de rester prudent », modère Virginie Heckel. Pour l’heure, chacun retient son souffle, nul ne sait ce qui émergera au bout du tunnel.