Comme son nom l'indique, le Marché international des professionnels de l'immobilier (Mipim), organisé à Cannes du 12 au 15 mars 2024, est le rendez-vous des promoteurs, élus et autres acteurs de la fabrique de la ville bien au-delà de l'Hexagone. L'occasion, pour « Le Moniteur », de dresser un état des lieux des marchés résidentiels chez nos voisins et d'explorer les différentes formes d'une crise du logement qui ne s'arrête pas aux frontières de notre pays.
L'Allemagne en pleine tempête
« Il est plus facile d'entrer en Corée du Nord que de louer un appartement à Berlin. Je le sais, j'ai fait les deux. » En 2020 déjà, l'écrivain Ryan Murdock se désespérait des difficultés rencontrées lors de sa recherche de logement dans la capitale allemande. Depuis, la crise immobilière s'est amplifiée dans le pays au point de menacer sa santé économique. Selon le Pestel Institut, il manquerait 700 000 logements, dont 400 000 intermédiaires et sociaux.
Deux facteurs principaux à cette pénurie. Le premier est démographique : l'Allemagne compte désormais 84,7 millions d'habitants suite à l'arrivée d'1,25 million d'immigrés en 2022. Le second est économique : le secteur du BTP souffre terriblement de l'inflation (+ 10 % pour les coûts de construction entre 2020 et 2022) comme de la hausse des taux de financement, qui ont causé l'arrêt net de très nombreux projets. La Fédération allemande du logement et de l'immobilier (GdW) estime qu'un tiers des logements qui devaient être livrés en 2023 et 2024 ne seront finalement pas construits. Le secteur du bâtiment s'attend cette année à la suppression de 30 000 emplois. Un chiffre élevé, mais trois fois moins que les prédictions de la FFB sur le marché français.

Pour les acheteurs, la hausse des taux d'intérêt est devenue un obstacle infranchissable. Selon l'Office fédéral de la statistique Destatis, au premier semestre 2023, les Länder ont récolté environ 6,3 milliards d'euros de droits de mutation - une chute de 33,5 % par rapport au premier semestre 2022 -, tandis que les prix de l'immobilier reculaient de 8,2 %. Une dernière tendance qui s'est poursuivie au troisième trimestre avec une baisse record de 10,2 % par rapport à la même période un an plus tôt.
En Espagne, c'est l'offre qui stagne
« Malgré la remontée des taux, l'inflation, le contexte d'incertitude au niveau international et nos élections législatives de juillet dernier, le secteur immobilier espagnol a résisté en 2023 », commente Beatriz Toribio, secrétaire générale de l'Association des promoteurs et constructeurs d'Espagne (APCE). Si le volume de crédits immobiliers accordés a affiché une baisse de 18 % sur un an, le nombre de transactions de biens anciens et neufs n'a reculé que de 10 % par rapport à 2022, qui était le meilleur cru depuis 2007. L'APCE table en 2024 sur une nouvelle légère baisse des transactions.
Le marché résiste donc plutôt bien, mais, en termes de nouvelles constructions, le compte n'y est pas. « Le rythme des livraisons, autour de 80 000 sur une année, est stable alors que la demande augmente fortement depuis 2021, soutenue par l'immigration, la décohabitation des ménages ou encore la mobilité professionnelle », poursuit Beatriz Toribio. Au troisième trimestre, l'APCE a relevé trois fois plus de nouveaux foyers à loger que de logements neufs terminés. Et pourtant, l'Espagne jouit d'un petit avantage : « Le coût de construction n'a augmenté que de 1 % entre 2022 et 2023, contre 7 % en France », relève Florence Semelin, responsable du département investissements résidentiels de la société de conseil JLL France.
L'an dernier, le pays n'a pas échappé au retrait des investisseurs institutionnels refroidis par la remontée des taux qui détériore leur rendement attendu. Néanmoins, avec le desserrement de la politique monétaire européenne annoncé d'ici la fin de l'année, la tension locative devrait à nouveau susciter leur appétit. « Contrairement aux autres grands pays européens, le marché de l'investissement en immobilier résidentiel a été dynamique en Espagne en 2022, en particulier sur des programmes à construire », rappelle Florence Semelin.
A l'échelle locale, les partenariats public-privé se multiplient pour créer du logement locatif abordable sur des terrains publics cédés à prix compétitifs par les collectivités. Dans la région de Madrid, ces biens doivent doper l'offre à destination des classes moyennes et des jeunes. La (re) mise sur le marché de logements en location repose principalement sur les fonds européens Next Generation EU qui visent entre autres à stimuler les bailleurs de passoires thermiques. Ces derniers peuvent ainsi être aidés jusqu'à 80 % du montant total des travaux.
L'Italie en est au stade du CNR
Le volume des autorisations a été divisé par deux entre 2010 et 2023, pour tomber à 53 900, selon les estimations l'Association nationale des constructeurs de bâtiments (Ance) en Italie. Dans ce pays qui perd pourtant des habitants depuis 2015 malgré l'arrivée d'immigrés, les tensions se ressentent chez les 800 000 étudiants qui ne vivent pas chez leurs parents. En témoignent leurs récentes manifestations dans les grandes villes.
A l'échelle nationale, les résidences universitaires ne proposent que 40 000 lits. Dans le cadre du plan de relance de 230 milliards d'euros financé à 90 % par l'Union européenne, le gouvernement a prévu de consacrer 1,2 milliard d'euros pour soutenir la production de plus de 60 000 lits d'ici 2026. L'autre défi porte sur le parc social. Selon le centre de recherche Nomisma, 1,2 million de foyers en location dans le privé ont besoin d'un HLM. Les bailleurs sociaux estiment qu'entre 600 000 et 700 000 demandes sont restées insatisfaites entre 2021 et 2022.

Matteo Salvini, le ministre des Infrastructures et des Transports dont dépend l'habitat, promet un « plan logement » dont la mise en œuvre est annoncée en 2025. Sur le modèle du Conseil national de la refondation (CNR) français dédié au logement en 2023, ce « piano casa » est en cours de construction avec les professionnels. « C'est la première fois depuis quinze ans que le gouvernement a une réflexion poussée sur ce domaine », observe Romain Bocognani, directeur général adjoint de l'Ance. Parmi les idées qui émergent : la simplification des procédures pour transformer des bureaux, écoles ou hôpitaux publics.
Le Royaume-Uni reste attractif
« Sans un plan pour le logement, la crise va s'aggraver », lançait la National Housing Federation britannique en septembre dernier. Un chiffre parmi d'autres dans son communiqué alarmiste : le pays de 67 millions d'habitants pourrait compter 1,5 million de demandeurs de logement social en 2030, contre 1,1 million en 2020. Citons aussi les 4,8 millions de ménages qui pourraient consacrer « plus d'un tiers de leurs revenus nets pour se loger », contre 3,1 millions en 2021, selon la fédération.
Si le nombre de transactions immobilières a reculé de 19 % entre 2022 et 2023 à cause principalement de la rapide hausse des taux directeurs de la Banque d'Angleterre répercutée dans les crédits immobiliers, d'autres données démontrent une véritable résilience du marché britannique. Les 12 milliards d'euros que les investisseurs institutionnels ont engagés dans l'habitat, dont 2 milliards d'euros dans les résidences étudiantes et le coliving, en font partie. De même que les conclusions de la société de conseil CBRE qui rappelle que Londres a été en 2023 la première destination européenne de l'investissement immobilier devant Paris et le restera en 2024. Un attrait qui se traduit également à l'échelle du pays où le taux de rendement dit « prime », c'est-à-dire pour un immeuble de qualité et bien situé, affiche en moyenne 4,15 %, contre 3,35 % en France.
