Jurisprudence

Marchés et délégations de service public De nouvelles précisions pour les distinguer

La distinction entre un marché public et une délégation n'est pas aisée. Elle repose essentiellement sur le critère de l'exploitation d'une activité privée par un concessionnaire. L'arrêt du Conseil d'Etat du 30 juin fera date, en ce qu'il fixe un seuil « d'environ 30 % » pour considérer l'existence d'une rémunération « substantiellement » assurée par des résultats d'exploitation.

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Marchés publics
Conseil d'Etat (CE)Décision du 1999/04/07N°156

Le choix de la procédure de passation des contrats est depuis l'arrêt controversé du Conseil d'Etat « Préfet des Bouches du Rhône c/ commune de Lambesc » (1) une tâche particulièrement délicate. En effet, le critère de distinction qui a été retenu est celui de la « rémunération substantiellement assurée par les résultats d'exploitation » : en l'absence d'une telle rémunération, le contrat doit être qualifié de marché et, dans le cas contraire, de délégation de service public.

Ainsi, tous les acteurs de la commande publique attendaient des précisions avec une certaine impatience : les contrôles de légalité préfectoraux n'ayant pas la même interprétation, et le mot « substantiellement » étant souvent compris à tort comme étant un critère de majorité (plus ou moins de 50 % de prix ou de redevances). Plusieurs formes de contrats semblent d'ailleurs avoir dès à présent changé de « camps » (2) et d'autres pourraient le faire prochainement, comme le suggérait le professeur Auby (3).

C'est dans ce contexte qu'est intervenu l'arrêt du 30 juin 1999, « Syndicat mixte de traitement des ordures ménagères du Centre-Ouest seine-et-marnais (Smitom) » (4). La notion de substance s'est vue traduite par un pourcentage, à savoir 30 % de recettes hors prix payé par l'administration. Et l'arrêt pose en outre un principe quant à la procédure à suivre en cas de délégation, à savoir l'appel d'offres ouvert.

Le caractère substantiel des recettes d'exploitation est un critère de distinction

La notion de résultat d'exploitation sur laquelle la doctrine s'était divisée est reprise dans l'arrêt précité. Elle correspond à l'ensemble des recettes propres du cocontractant, hors prix payé par l'administration. Il n'est toutefois pas aisé de discerner si par cette formulation, le Conseil d'Etat a véritablement voulu suivre les conclusions de Mme Catherine Bergeal, commissaire du gouvernement. En effet, les conclusions précisent que le montant de 30 % de recettes propres conditionnait l'équilibre financier du contrat, tout en étant aléatoires et non garanties par l'administration. La part des recettes propres non garanties était significative du risque d'exploitation. La notion de risque était ainsi consacrée, ce qui ressortait d'ailleurs de celle du résultat propre d'exploitation (balance produits - charges d'exploitation).

Mais le Conseil d'Etat se contente de relever l'existence d'une part d'environ 30 % de recettes propres, sans spécifier qu'elles étaient non garanties et nécessaires à un compte équilibré. Il évacue ainsi formellement la prise en compte des critères significatifs du risque d'exploitation pour rester dans la formulation d'une rémunération « substantiellement assurée par les résultats d'exploitation ».

Un critère sujet à cautions

En l'état, une première interrogation peut ressortir : les contrats portant sur la gestion déléguée de services publics concernant des usagers « captifs » (ex : en distribution d'eau potable et en assainissement), pourtant considérés sans risque, demeureraient susceptibles d'une qualification de délégations de service public. Cette solution serait contraire aux conclusions développées par le commissaire du gouvernement sur l'arrêt du Conseil d'Etat du 7 avril 1999 « Commune de Guilherand-Granges ». Dans ces délégations, l'essentiel de la rémunération provient en effet des redevances perçues auprès d'usagers qui n'ont d'autre choix que de recourir au service offert. Cela aurait donc dû conduire à une requalification en marché public, compte tenu de l'absence de risque.

Dans un autre cas de figure, les contrats contenant des clauses de garanties de recettes assurant leur équilibre financier, en cas d'insuffisance de recettes, pourraient être dénués de tout risque substantiel d'exploitation, tout en demeurant des délégations de service public. Mais cela, à condition qu'une part substantielle de la rémunération provienne de recettes d'exploitation prévisionnelles, non versées par la collectivité contractante. Pris dans sa seule formulation littérale, la solution retenue par le Conseil d'Etat n'exclurait pas la qualification d'un contrat « à garantie de recettes » en délégation de service public, en l'absence de tout risque d'exploitation.

Néanmoins, cette dernière interprétation pourrait être tempérée par la nature même des sommes qui seraient effectivement versées au titre de la garantie, présentées comme étant des subventions d'exploitation assimilables à un prix payé par l'administration. Il s'agit là d'ailleurs d'une solution essentielle, car les contrats de service public, substantiellement subventionnés se trouveraient sinon exclus des deux régimes de passation prévus par le Code des marchés publics et la .

Pour autant, comment apprécier la part substantielle de ce prix qui n'est que virtuellement payable par l'administration ? Le problème est d'autant plus aigu que la qualification des contrats en marché ou délégation de service public doit certainement pouvoir être faite dès l'origine ou à la lecture de l'avis d'appel à concurrence (ce qu'a retenu le Conseil d'Etat dans son arrêt du 30 juin 1999). A cet égard, la notion stricte de risque comme critère de distinction entre les marchés et les délégations de service public serait plus opératoire que celle de recettes d'exploitation, car elle serait parfaitement adaptée à la nature même de telles clauses. La seule stipulation d'une clause de garantie de recette et sa mention dans l'avis d'appel public à concurrence seraient suffisantes pour apprécier la portée du risque d'exploitation.

Le critère du risque d'exploitation est plus satisfaisant

Ainsi, le critère de risque constituerait un critère nécessaire, au risque sinon de laisser dans l'indétermination tout un pan de contrats établis sur le principe d'une garantie de recettes. C'est un critère en outre opportun, dans la perspective d'une harmonisation du droit communautaire qui tendrait à faire reposer la qualification des délégations de services publics sur ce fondement (5), tout en s'engageant sur les critères caractérisant la notion de risque et notamment le mode de rémunération.

La démarche qui semble sous-tendre la notion européenne de délégation de service public semble en effet plaider en faveur de cette thèse conduisant à reconnaître le risque économique comme summa divisio dont le mode de rémunération est un des éléments. L'avocat général La Pergola sur l'arrêt de la CJCE du 18 novembre 1998, Gemeente ARNHEM et Gemeente RHEDEN c/ BFI Holding BV, C-360/96 a par exemple conclu que les conditions de paiement de la prestation devaient être étudiées spécifiquement, impliquant d'exclure du champ d'application de la notion de marché public communautaire les contrats dans lesquels le prestataire assume un tel risque, sans pour autant nécessairement y inclure ceux dans lesquels le prestataire ne prélève aucun bénéfice, la collectivité assumant la couverture du résultat d'exploitation, en se limitant à payer le prix du coût de revient. Les contrats dits « à livre ouvert », tels que celui en cause dans l'affaire de la Communauté de communes du Piémont de Barr (6) s'en trouveraient alors également exclus, car hors champ concurrentiel, et par voie de conséquence, hors champ d'application de la directive services, à l'inverse donc de la solution retenue par le Conseil d'Etat.

Il faudrait tenir compte d'un faisceau d'indices, incluant l'appréciation des risques financiers, sociaux, d'exploitation et les clauses de garantie de recettes. Si les résultats d'une telle analyse conduisent à déterminer que les risques de gestion sont très largement limités, il pourra être conclu que le contrat est un marché, le risque économique étant limité à l'éventuelle absence de bénéfice.

Le critère de recettes doit être pris en compte dès l'avis d'appel à concurrence

En tout état de cause, et il s'agit là d'un autre enseignement majeur de l'arrêt du 30 juin, dans les procédures de passation des délégations de service public, il est impératif que la collectivité définisse clairement les conditions de rémunération dans le cadre de la consultation initiale - et notamment l'avis d'appel public à concurrence (7) - non seulement pour donner tout son fondement à la procédure, mais également pour éviter que les offres des entreprises puissent varier de telle manière qu'elles impliquent des requalifications de contrats, notamment en proposant des modalités de rémunération plus ou moins assurées par l'exploitation du service.

Les appels d'offres ouverts s'imposent pour les délégations de service public

Le Conseil d'Etat a jugé que les dispositions légales interdisaient de limiter le nombre de candidats admis à présenter une offre. Les conséquences de cette solution sur les modalités de consultation prescrites par la ne sont pas négligeables.

Cette interprétation stricte et littérale, opposée à l'avis du commissaire du gouvernement, instaure une philosophie d'appel d'offres ouvert dans la procédure de délégation de service public. En effet, les conclusions font clairement ressortir trois interprétations possibles de la :

Une première, libérale et conforme à la volonté du législateur, donnant la possibilité de limiter le nombre de candidats sans mention préalable dans l'avis d'appel public à concurrence.

Une deuxième, stricte et littérale, interdisant toute possibilité de restreindre le nombre de concurrents.

Une troisième, laissant cette possibilité avec la condition, comme dans les appels d'offres restreints, de l'avoir mentionné dans l'avis public, solution retenue par le commissaire du gouvernement.

Or, en empêchant à une collectivité publique de limiter le nombre de candidats admis à présenter une offre, et alors même qu'aucune disposition législative ne l'interdit, le Conseil d'Etat bouleverse l'esprit de la loi. Il est dès lors loisible de s'interroger sur le sens qui sera donné à d'autres dispositions de la loi, notamment en termes de composition de la Commission d'ouverture des plis déjà jugée de manière stricte et littérale (8).

Face à ces incertitudes relatives au champ d'application de la et du Code des marchés publics, et aux interprétations contraires à l'esprit de la loi, il semble désormais urgent, au moment où la réforme du Code revient d'actualité, que le législateur se saisisse de la problématique pour tenter d'écarter les effets néfastes d'insécurité juridique.

Deux niveaux de réflexion pourraient être envisagés :

D'une part, définir des critères plus clairs de distinction entre délégation de service public et marché, y compris en recourant à la qualification légale d'un certain nombre de contrats dans le respect du droit communautaire. Et ce d'autant que les requalifications actuelles de marchés publics conduisent déjà à faire perdre aux contrats concernés les garanties qui y sont attachées. Dans cette perspective, les marchés publics contenant une délégation matérielle de service public pourraient être assortis des mêmes conditions et garanties en terme de choix de mode de gestion et de contrôle des conditions de gestion que celles établies dans le CGCT.

D'autre part, il paraît aujourd'hui impératif que les règles de procédure soient précisées pour lever l'hypothèque inscrite par une interprétation stricte et littérale du silence de la loi...

L'ESSENTIEL

»La gestion d'un service public est un critère de distinction entre un marché et une délégation.

»Il faut vérifier si la rémunération du cocontractant est assurée « substantiellement » par des résultats d'exploitation.

»Pour le Conseil d'Etat, le caractère substantiel signifie environ 30 % de recettes propres.

»Les appels à concurrence devront être plus précis, et la procédure d'appel d'offres ouvert devront s'imposer pour les délégations.

»Mais en réalité ne devrait-on pas s'en tenir au critère du « risque d'exploitation » ?

(1) CE 15 avril 1996, «Le Moniteur» du 3 mai 1996, p. 50 et du 18 octobre 1996, p. 68. (2) , «Le Moniteur» du 7 mai 1999, cahier « Textes officiels » p.404. (3) J.B. Auby « Délégation de service public : comment reconnaître ces conventions », «Le Moniteur» du 8 novembre 1996, p.50 (sur le mobilier urbain). (4) Cahier « Textes officiels » du «Moniteur» du 30 juillet 1999, p. 317.

(5) Commission européenne, DG XV, « Projet de communication interprétative sur les concessions en droit communautaire des marchés publics », 24 février 1999. (6) CE 20 mai 1998, concl. H.Savoie, «Le Moniteur» du 29 mai 1998, « Textes officiels » p.425. (7) Contrairement aux conclusions du commissaire du gouvernement qui analysaient les clauses du contrat, la rédaction de l'arrêt s'est orientée vers l'analyse de l'avis public («Le Moniteur» du 19 décembre 1997, p.248), qui distinguait parfaitement la part de recettes versée par le Smitom de celle provenant d'autres redevables. (8) TA Marseille, 14 mars 1997, « Préfet des Bouches-du-Rhône », req. no 966413 : interdiction de présence d'autres membres dans la commission d'ouverture des offres que ceux expressément visés par l'article L. 1411-5 du CGCT.

WWW.LEMONITEURBTP.COM

Textes de référence

@ Retrouvez le jugement du TA de Marseille, 14 mars 1997, « Préfet des Bouches-du-Rhône », l'arrêt CE 15 avril 1996 « Préfet des Bouches-du-Rhône c/ commune de Lambesc », et le « Projet de communication interprétative sur les concessions en droit communautaire des marchés publics », 24 février 1999, de la Commission européenne (DGXV), sur le site Internet du « Moniteur ».

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