Par une décision récente, le Conseil d'Etat éclaire le régime applicable en cas de mobilisation de l'assurance dommages- ouvrage (DO) s'agissant d'un ouvrage réceptionné avec réserves (CE, 31 octobre 2024, n° 488920, mentionné aux tables du Recueil).
L'affaire portait sur un marché de travaux de réhabilitation et d'extension d'un stade couvert et d'un centre d'accueil et de formation en complexe sportif. La société d'économie mixte (SEM), maîtresse d'ouvrage déléguée de la commune, a attribué le lot n° 1 « gros œuvre, démolition, curage, VRD, charpente et dépose secteur SCR » à un groupement solidaire. Lors de la réception, des réserves ont été émises. L'une d'elles, qui portait sur des fissures, fentes et délaminations des poutres neuves de la charpente en bois, n'a pas été levée. Quelques années plus tard, au regard du risque d'effondrement de la charpente, le syndicat mixte exploitant le stade a décidé sa fermeture, laquelle a duré cinq ans.
Il a effectué une déclaration de sinistre auprès de l'assureur DO. Ce dernier a préfinancé l'expertise et les mesures conservatoires et d'investigations, puis a procédé au paiement des travaux de réparation. Selon la procédure habituelle, il a ensuite recherché l'indemnisation des sommes versées au titre du contrat d'assurance auprès des membres du groupement attributaire.
Le tribunal administratif de Lille n'a fait que partiellement droit à cette demande. Mais il n'a pas été suivi par la cour administrative d'appel (CAA) de Douai, qui a condamné certains membres du groupement au paiement solidaire de la somme demandée par l'assureur. L'une des sociétés se pourvoit en cassation contre l'arrêt rendu, ce qui permet au Conseil d'Etat d'apporter d'utiles précisions sur l'articulation entre l'assurance dommages-ouvrage et les autres garanties.
L'étendue de l'assurance dommages-ouvrage
En premier lieu, le Conseil d'Etat se prononce sur l'étendue de l'assurance DO.
Dommages relevant de la garantie décennale. En principe, toute personne propriétaire de l'ouvrage qui fait réaliser des travaux de construction doit souscrire, avant l'ouverture du chantier, une assurance DO (art. L. 242-1 du Code des assurances - C. assur. ). Cette dernière garantit, en dehors de toute recherche de responsabilités, le paiement de la totalité des travaux de réparation des dommages relevant de la garantie décennale. Il s'agit, par exemple, de désordres compromettant la solidité de l'ouvrage qui, de fait, sont apparus postérieurement à la réception. Ainsi, cette assurance succède à la garantie de parfait achèvement (GPA), qui impose à l'entrepreneur de réparer, pendant un délai d'un an, les désordres signalés par le maître d'ouvrage lors de la réception par le biais des réserves.
Réparations nécessaires. Par une application littérale de l'article L. 242-1 précité, le Conseil d'Etat prend soin de rappeler que l'assurance DO garantit également le paiement des « réparations nécessaires » - alors même qu'elle ne prend effet qu'après l'expiration du délai de GPA.
Dans ce cas, la DO garantit le paiement des réparations nécessaires lorsque, après réception, l'entrepreneur mis en demeure de reprendre les désordres de gravité décennale, réservés à la réception ou apparus durant le délai de GPA, n'a pas exécuté ses obligations.
Sort des désordres réservés. La décision du Conseil d'Etat explicite le sort des désordres qui ont fait l'objet d'une réserve lors de la réception. Elle considère que la seule circonstance que les désordres aient donné lieu à des réserves - ce qui a pour effet de maintenir l'obligation contractuelle des constructeurs d'y remédier - ne fait pas obstacle à ce que l'assureur DO verse l'indemnité d'assurance qui correspond au coût des réparations nécessaires. Il existe donc une compatibilité partielle entre ces deux mécanismes de garantie. Le Conseil d'Etat rejoint ainsi la position de la Cour de cassation sur ce point (Cass. 3e civ., 1er avril 2021, n° 19-16.179, publié au Bulletin).
En l'espèce, l'assureur pouvait donc verser l'indemnité d'assurance à son assuré, alors même que la CAA avait retenu que les désordres relevaient de la responsabilité contractuelle des constructeurs. La précision est opportune pour les maîtres d'ouvrage, qui pouvaient notamment s'interroger sur la possibilité d'actionner leur assurance DO en présence de désordres réservés à la réception.
L'appréciation des responsabilités
En second lieu, le Conseil d'Etat valide l'interprétation de la CAA qui a statué sur le fondement de la responsabilité et sur l'imputabilité des désordres.
Responsabilité contractuelle. La juridiction d'appel, approuvée par le Conseil d'Etat, avait relevé que les désordres, qui fragilisaient les poutres de la charpente du stade couvert, étaient apparents. De plus, ils avaient fait l'objet d'une réserve lors de la réception, qui n'avait pas été levée. Dans ces conditions, le fondement de responsabilité retenu est la responsabilité contractuelle des constructeurs, et non la garantie décennale. Au regard des développements précédents, cela ne fait pas obstacle au versement par l'assureur DO à son assuré de l'indemnité d'assurance correspondant aux réparations nécessaires.
Imputabilité des désordres. Le Conseil d'Etat confirme par ailleurs que la société à l'origine du pourvoi a bien commis des fautes de nature à engager sa responsabilité contractuelle. En effet, cette dernière n'a émis aucune réserve sur la conception de la charpente et n'a pas détecté les difficultés techniques à l'origine des désordres. Les différentes responsabilités déterminées en appel et la condamnation du groupement attributaire au paiement de la somme demandée par l'assureur étaient donc bien justifiées.
La subrogation de l'assureur à son assuré
En dernier lieu, à la marge des sujets de garanties, le Conseil d'Etat apporte des précisions sur la subrogation légale entre un assureur DO et son assuré.
En principe, la subrogation de l'assureur dans les droits et actions de son assuré, afin de recouvrer les sommes qu'il a versées à ce dernier, s'opère au moment du paiement de l'indemnité d'assurance (art. L. 121-12 C. assur.). En l'absence de paiement, l'assureur n'est pas fondé à se subroger dans les droits de son assuré.
Sommes versées en exécution du contrat DO. De plus, l'assureur ne peut se subroger qu'à concurrence des sommes versées en exécution du contrat d'assurances DO, c'est-à-dire les désordres de gravité décennale et le paiement des réparations nécessaires. Les autres frais qui auraient été avancés par l'assureur ne sont pas compris dans le mécanisme de subrogation légale prévu par le Code des assurances.
Or, en l'espèce, l'assureur avait préfinancé l'expertise DO et les mesures conservatoires et d'investigations. Ne pouvant établir que l'assureur pouvait bénéficier de la subrogation prévue par l'article L. 121-12 du code précité, la CAA avait permis à l'assureur de se prévaloir de la subrogation légale de l'article 1346 du Code civil pour recouvrer ces frais. Néanmoins, sans se prononcer sur les conditions de fond, le Conseil d'Etat écarte la mise en œuvre de cet article du Code civil pour une raison d'application de la loi dans le temps. En effet, les paiements correspondants avaient été effectués avant l'entrée en vigueur de cette disposition, soit avant le 1er octobre 2016. Le Conseil d'Etat censure donc l'arrêt de la CAA sur ce point.
Ce qu'il faut retenir
- L'assurance dommages-ouvrage couvre les désordres relevant de la garantie décennale (article L. 242-1 du Code des assurances). Elle succède en principe à la garantie de parfait achèvement, au titre de laquelle l'entrepreneur est notamment tenu de réparer les désordres réservés lors de la réception.
- Le Conseil d'Etat précise que la circonstance que les désordres aient fait l'objet de réserves lors de la réception ne fait pas obstacle à ce que l'assureur dommages-ouvrage indemnise le coût des réparations nécessaires. Tel est le cas lorsque l'entrepreneur mis en demeure n'exécute pas ses obligations contractuelles après réception prononcée avec réserves.
- Ces précisions utiles permettent d'ajuster la stratégie des maîtres d'ouvrage confrontés à des désordres ayant fait l'objet d'une réserve lors de la réception mais non réparés ensuite par les constructeurs.