Tâche délicate que d’apprécier si une offre est anormalement basse, pour les pouvoirs adjudicateurs, mais également pour le juge ! Le Conseil d’Etat a ainsi annulé par une décision du 29 mai 2013 l’ordonnance d’un juge des référés qualifiant à tort une offre d’anormalement basse.
S’il n’existe pas de définition de la notion, ni dans le Code des marchés publics, ni dans les directives européennes, le Guide de bonnes pratiques en matière de marchés publics de la Direction des affaires juridiques de Bercy énonce qu’une offre peut être qualifiée d’anormalement basse, « si son prix ne correspond pas à une réalité économique ».
Lorsque le pouvoir adjudicateur estime qu’il est en présence d’une offre anormalement basse, il doit interroger le candidat sur la cohérence du prix qu’il propose et vérifier les justifications fournies. Conformément à l’article 55 du Code des marchés publics, ces explications peuvent être de plusieurs ordres : mode de fabrication des produits, originalité de l’offre, conditions exceptionnellement favorables dont dispose le candidat, etc.
Si ces justifications ne sont pas suffisantes pour démontrer le sérieux de l’offre, le pouvoiradjudicateur "peut la rejeter par décision motivée", selon l'article 55 du Code. Le Conseil d'Etat fait même du rejet une obligation, puisqu'il énonce dans cet arrêt que "le fait, pour un pouvoir adjudicateur, de retenir une offre anormalement basse porte atteinte à l'égalité entre les candidats à l'attribution d'un marché public […] ; que si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature, ainsi, à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l'offre. »
L’affaire portait sur un marché alloti de maintenance multiservices et multitechniques pour des centres de détention, lancé par le ministère de l’Intérieur. Une entreprise évincée a exercé un référé précontractuel, se plaignant de l’écart de prix existant entre son offre et celle de l’attributaire. Le juge des référés a estimé que le pouvoir adjudicateur a retenu une offre d'un montant anormalement bas, dans des conditions de nature à fausser l'égalité entre les entreprises candidates. Pour statuer ainsi, il a considéré que la société attributaire avait présenté une offre dont le prix était nettement inférieur à celui que proposait la société requérante, et que les explications qu’elle avait fournies n’étaient pas de nature à justifier la différence de prix entre les deux offres.
Vérifier si le prix est « en lui-même manifestement sous-évalué »
Le Conseil d’Etat ne l’a pas suivi dans ce raisonnement. Il considère que le juge des référés ne peut se borner à relever un écart de prix entre deux offres concurrentes, et aurait dû rechercher si « le prix en cause était en lui-même manifestement sous-évalué et ainsi susceptible de compromettre la bonne exécution du marché ». En se basant sur le seul écart de prix avec l’offre concurrente pour estimer que celle de l’attributaire était anormalement basse, le juge des référés a commis une erreur de droit. Le Conseil d’Etat a donc annulé l’ordonnance du tribunal administratif de Versailles.
Pour retrouver cette décision du Conseil d’Etat du 29 mai 2013 n°366606, cliquez ici