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L’ invite les acheteurs publics à détecter les offres anormalement basses. La procédure prévoit alors de questionner le candidat sur d’éventuelles justifications du bas niveau du prix proposé, puis de rejeter son offre si les explications sont insuffisantes.
Mais l’on ne trouve de méthodes de détection de l’offre anormalement basse (OAB) ni dans le Code, ni dans les directives officielles d’application. Deux méthodes ont vu le jour, ou vont apparaître. La Fédération française du bâtiment (FFB) propose ainsi de calculer d’abord la moyenne des prix des offres ; puis les offres se situant 20 % au-dessus de cette moyenne sont neutralisées pour le calcul suivant et une nouvelle moyenne est calculée. Sont déclarées suspectes, car spécialement basses, les offres dont le prix se situe 10 % ou plus en dessous de la nouvelle moyenne. D’autre part, la proposition de directive européenne sur la passation des marchés publics, dans son article 69, prévoit trois critères cumulatifs déclenchant l’obligation de demander des justifications à l’entreprise :
- prix inférieur de plus de 50 % au prix des autres offres ;
- prix inférieur de plus de 20 % au prix de la deuxième offre la plus basse ;
- au moins cinq offres ont été présentées.
Nous avons fait un test de ces deux méthodes sur 638 marchés de travaux publics attribués en 2010 et 2011, tous supérieurs à 200 000 euros. Ils représentent environ un milliard d’euros au total. La méthode FFB détecte 20 % de marchés avec suspicion d’OAB, alors que celle du projet de directive européenne en trouve seulement 2 %. Les filets tendus pour détecter les OAB sont soit trop serrés en arrêtant le moindre fretin, soit trop lâches et laissent probablement passer des requins !
Limites de la méthode de détection focalisée sur le prix
Les approches par la seule considération du prix sont rendues inopérantes par la prise en compte des critères « qualité » dans l’examen des offres. On ne peut pas, en effet, comparer de cette manière une réponse peu onéreuse au plus bas niveau de qualité acceptable, avec des offres qui répondent à un haut niveau de qualité et qui obtiennent en conséquence une excellente note à ces critères, mais généralement avec un prix élevé…
Les écarts de prix de ces différentes offres peuvent aller du simple au triple ou au quadruple, sans faire apparaître forcément des offres anormalement basses : elles ont seulement moins de qualité.
Prise en compte de la qualité dans la détection des OAB
La solution proposée est alors de prendre en compte dans le prix des offres la part de qualité qu’elles contiennent, de manière à les rendre comparables. Mais comment procéder ?
Le guide « Le prix dans les marchés publics » que la Direction des affaires juridiques de Bercy a publié en mars (à consulter sur www.lemoniteur.fr/prix) permet de donner une réponse à cette question, même si tel n’était pas le but des rédacteurs de ce guide.
Le paragraphe 5.2.3.4 de ce document permet de comparer les offres en transformant les prix en des prix pondérés, c’est-à-dire intégrant le niveau de qualité. L’offre économiquement la plus avantageuse est alors celle présentant le plus bas prix pondéré.
Il est ensuite possible de détecter les OAB, en comparant les prix pondérés après avoir fixé un écart de prix convenable.
La formule permettant de calculer le prix pondéré est la suivante :
Pp = P/(%prix + %critère 1 x note 1 + % critère 2 x note 2 …)
Pp est le prix pondéré ; P est le prix initial de l’offre ; %prix est la pondération du critère prix ; %critère 1 est la pondération du critère 1 ; note 1 est la note du 1er critère, par exemple. 3/5, qui est égal à 0,6.
Ceci paraît un peu complexe, mais le calcul est extrêmement simple. Prenons un exemple de marché dans lequel le prix est pondéré à 50 %, la valeur technique à 30 % et la protection de l’environnement à 20 %.
• Une offre A de 100 000 euros a obtenu 8/10 en valeur technique et 7/10 en environnement ; le prix pondéré de A est de 113 636 euros, d’après le calcul :
Pp = P/(0,50 + 0,30 x 8/10 + 0,20 x 7/10) = 100 000/(0,50 + 0,24 + 0,14) = 100 000/0,88 = 113 636 euros.
• Une offre B de 70 000 euros a obtenu 2/10 en valeur technique et 3/10 en environnement. Le calcul donne un prix pondéré de 112 903 euros pour B.
On constate que les deux offres pondérées sont à peu près équivalentes, malgré un écart initial de prix de 30 % : ceci s’explique par la qualité médiocre qui accompagne le faible prix de l’offre B. Cette dernière n’est donc pas anormalement basse.
Mais si l’offre B obtient 9/10 en valeur technique et 8/10 en environnement, son prix pondéré est de 75 268 euros.
L’écart de prix des offres pondérées A et B est alors de 38 368 euros, soit 34 % de moins ! L’explication est que B est peu chère, alors qu’elle a un niveau de qualité supérieur à l’offre A ; elle sera suspectée d’OAB si le seuil de détection a été fixé à 30 %.
Choix du seuil de détection
Comment fixer le seuil de détection entre les offres dont les prix pondérés sont les plus bas ? Chaque pouvoir adjudicateur le déterminera suivant le type de consultation qu’il lance. On peut imaginer fixer un seuil autour de 20 %, pour les marchés pour lesquels les prix sont généralement resserrés, où les prix unitaires les plus importants sont bien établis (par exemple dans le BTP) et jusqu’à 50 % dans des marchés aux prix unitaires fluctuants ou dépendant par exemple beaucoup des quantités annuelles achetées.
Rédaction à insérer éventuellement dans le règlement de la consultation
Voici une proposition de paragraphe à introduire éventuellement dans le règlement de la consultation pour informer les candidats.
« Conformément à l’, dans le cas où leur offre paraîtrait anormalement basse, les candidats devront être en mesure de fournir toutes les justifications sur la composition de l’offre qui leur seront demandées par l’administration. Si les informations fournies ne permettent pas au candidat de justifier son prix, l’offre pourra être rejetée.
La détection d’offres éventuellement anormalement basses est organisée de la façon suivante, compte tenu du fait que le prix des offres ne reflète pas, à lui seul, leur valeur, suite à l’intervention des critères ‘‘qualité’’.
- Le prix P de chaque offre sera amené à son prix pondéré Pp par la formule :
Pp = P/(%prix + %critère 1 x note 1 + %critère 2 x note 2 …)
% prix est la pondération du critère prix ; %critère 1 est la pondération du critère 1 ; note 1 est la note du premier critère, par exemple 3/5, qui est égal à 0,6, etc.
Si l’écart des prix des deux offres pondérées les moins élevées est supérieur à X %, le pouvoir adjudicateur mettra en œuvre la procédure de l’. Le calcul sera aussi fait ensuite si nécessaire entre les deuxième et troisième offres. »
La valeur de X ci-dessus sera adaptée par l’acheteur à sa consultation selon le type de marché, sachant que plus cette valeur sera élevée, moins le nombre de suspicions d’OAB sera important. Par contre, elles en seront d’autant plus suspectes…
On remarquera par ailleurs que la connaissance de la méthode de mise en œuvre de la procédure de détection ne permet pas aux entreprises de déduire une stratégie pour éviter celle-ci, puisque la procédure dépend de la notation des critères qualité et du prix proposé par les autres offres.
En conclusion, la méthode de calcul du prix pondéré suggérée par le guide sur le prix dans les marchés publics permet d’attribuer le marché à l’offre pondérée la moins chère, tout en pouvant, selon nous, détecter si cette offre est une OAB, un écart maximum ayant été fixé auparavant avec l’offre pondérée classée seconde.