Dans un marché en progression, la formation des acteurs de la restauration du patrimoine est aujourd'hui la préoccupation dominante des entreprises spécialisées de la grande Europe. Les deux jours de débats qui ont réuni 450 professionnels de 15 pays à Strasbourg, les 4 et 5 juin, à l'initiative de l'Association européenne des entreprises de restauration du patrimoine architectural (Aeerpa), ont mis ce besoin en évidence. La progression des activités intervient dans un contexte commun à tous les pays européens : la fin de la prééminence des travaux neufs sur le marché de la construction. « Dans le patrimoine culturel, les entreprises se sont révélées beaucoup plus aptes que les maîtres d'oeuvre à négocier ce virage. Elles ont surtout besoin d'un accompagnement sous forme de cahiers des charges précis et de chantiers-école », estime René Dinkel, conservateur régional des monuments historiques et l'un des deux auteurs du rapport de 600 pages publié en 1996 par le Conseil de l'Europe sur « les politiques du patrimoine culturel » (1).
Président de Heritage Building Contractors Group, association britannique de 30 entreprises spécialisées, David Linford confirme la priorité à la formation : « Nous lançons des campagnes auprès des enfants, à partir de l'âge de 5 ans, pour tenter de leur mettre à l'esprit les valeurs et les satisfactions que représentent nos métiers. » Face aux approches allemande et autrichienne, le chef d'entreprise britannique situe la contribution de son pays à la culture européenne du patrimoine dans la même mouvance que celle de la France et de l'Italie : renforcer les édifices existants plutôt que les remettre à neuf.
L'Europe offre une source majeure d'espoir, selon David Linford : « Nos écoles ont conclu des jumelages avec les centres spécialisés d'Avignon, de Venise et de Fulda, en Allemagne. Nous travaillons sur des projets de nouveaux centres en Slovénie, en Hongrie et en République tchèque. » Les transferts de savoir-faire vers les pays d'Europe centrale et orientale offrent une opportunité d'autant plus intéressante qu'ils correspondent à un objectif affiché du Conseil de l'Europe.
Transferts de savoir- faire en Europe centrale et orientale
« Je souhaite que vos entreprises nous soumettent des propositions de chantiers de qualité dans ces pays », estime de son côté José-Maria Ballester, chef de la division patrimoine du Conseil de l'Europe. Ce souhait s'appuie sur les demandes formulées par ces pays : « Pendant les 40 dernières années, l'essentiel de notre environnement historique s'est dégradé jusqu'à atteindre un état technique misérable, même si, heureusement, nos 10 500 monuments classés ont un peu échappé à cette situation », témoigne Tamas Fejerdy, conseiller du président de l'Office national pour la protection des monuments historiques de Hongrie. En Croatie, les ravages de la guerre - près de 2 000 monuments abritant des services publics et 409 églises et monastères endommagés - se sont cumulés avec le manque d'experts. « Nous discutons depuis trois ans avec l'Union européenne pour obtenir les aides du programme Phare », témoigne Ferdinand Meder, directeur des centres de formation du ministère croate de la Culture.
Préférence pour la dévolution des marchés en lots séparés
Europhiles, les entreprises du secteur n'en réclament pas moins une régulation du marché, qui préserve les intérêts des acteurs locaux et les spécificités de leurs métiers : « La préservation de la diversité des patrimoines ne peut que s'appuyer sur des compétences régionales », plaide Hervé Quélin, président sortant de l'association européenne (voir encadré).
Les débats strasbourgeois sur la maîtrise d'ouvrage ont mis en lumière la préférence pour les lots séparés, pour les prix unitaires, sauf en cas d'ouvrages neufs parfaitement décrits, pour les appels d'offre restreints et, exceptionnellement, pour les marchés négociés, lorsqu'il s'agit de prestations artistiques. S'agissant de la qualification des entreprises, les discussions en cours (qui associent, en France, la FNB à la direction des affaires internationales du ministère de la Culture) privilégient des définitions nationales précises des qualifications requises sur une formulation européenne de Qualibat.
Pour plaider leur cause face aux institutions européennes, les entreprises disposent d'un argument de poids : très peu mécanisées, elles offrent un gisement d'emploi direct considérable, sans compter les retombées pour le tourisme. Dans le cadre de la préparation de la première programmation quinquennale, qui prévoit de mettre en place l'Union européenne dans le domaine de la culture entre 2000 et 2004, les entreprises ne manqueront pas de rappeler cette force pour faire aboutir leur principale revendication : une réduction de la TVA appliquée à la restauration de monuments historiques, qui faciliterait, par ailleurs, la lutte contre l'économie souterraine.
(1) Disponible sur Internet : http : /culture.coe.fr/pat/fr/Homepage%20pol.htm
PHOTO : Château des Templiers à Ponferrada, sur la route de Saint-Jacques de Compostelle.