Urbanisme - Refus de permis de construire : quand le juge met le holà

Pièces complémentaires illégales, détournement de pouvoir… Panorama des décisions favorables aux promoteurs.

Réservé aux abonnés
Refus de permis
Refus de permis

De plus en plus confrontés à des contentieux en matière de refus de permis de construire, les juges administratifs posent des limites et adoptent des positions favorables aux promoteurs. Voici un tour d'horizon des décisions récentes allant dans ce sens.

Programme d'orientations et d'actions

La cour administrative d'appel (CAA) de Nancy a récemment considéré que le programme d'orientations et d'actions (POA) ne constitue pas un document opposable à une demande de permis de construire (CAA Nancy, 27 décembre 2024, n° 23NC00786). Pour rappel, le POA est un document comprenant toute mesure ou tout élément d'information nécessaire à la mise en œuvre de la politique de l'habitat ou des transports et des déplacements définie par le plan local d'urbanisme (PLU) lorsque ce dernier tient lieu de programme local de l'habitat ou de plan de mobilité (article L. 151-45 du Code de l'urbanisme).

Dans cette affaire, pour refuser le permis de construire d'un projet immobilier de 60 logements, la mairie de Schiltigheim (Bas-Rhin) s'était fondée entre autres sur le POA du PLU intercommunal (PLUi) de la métropole de Strasbourg - qui fixait dans la commune concernée un objectif de densité de 80 logements par hectare. L'objectif était largement dépassé par le projet, lequel atteignait un ratio de 379 logements par hectare.

Or, « à défaut pour la commune de justifier de l'existence dans le règlement du PLUi ou dans les orientations d'aménagement et de programmation (OAP) d'une règle imposant aux projets de construction de respecter une densité maximale, la surdensité invoquée ne pouvait fonder légalement le refus opposé à la demande de permis de construire », écrit la CAA.

Chartes promoteurs. Pour David Gillig, avocat associé au cabinet Soler-Couteaux & Associés, cet arrêt « va dans le même sens que le frein mis à la tentation d'ériger les chartes promoteurs en un document qui serait prétendument juridiquement opposable ».

Une telle limite a été posée en janvier 2023 par le tribunal administratif (TA) de Rouen. Saisi par le préfet de Seine-Maritime de la demande d'annulation de la « Charte de l'urbanisme et du cadre de vie » de la commune de Bois-Guillaume, il y avait fait suite. Il avait jugé « qu'au vu de la nature de certains des “engagements” qu'elle prévoit, la charte de Bois-Guillaume doit être regardée comme imposant aux opérateurs immobiliers concernés des règles impératives relatives à la conception et à la réalisation de projets de construction, relevant, par leur nature, de la loi ou du règlement. Par suite, la commune n'était pas compétente pour imposer de telles prescriptions en matière d'urbanisme » (TA Rouen, 26 janvier 2023, n° 2202586).

En somme, ces décisions n'interdisent pas aux communes de fixer des règles d'urbanisme devant être respectées par les porteurs de projet, mais elles rappellent qu'elles doivent s'établir dans les cadres prévus par le document d'urbanisme sans chercher à en créer de nouvelles.

Détournement de pouvoir

A fortiori, de simples déclarations publiques ne peuvent tenir lieu de motif valable pour refuser un permis. Une évidence, mais qui ne semble pas - ou plus ? - sauter aux yeux des élus à l'heure de la communication permanente et multisupport. La CAA de Nancy y a mis le holà par deux arrêts.

En juillet 2023, d'abord, « elle a retenu le détournement de pouvoir, un scénario exceptionnel dans la justice administrative en matière de refus de permis de construire », relève David Gillig.

De même, un maire avait, de manière répétée, annoncé dans la presse quotidienne régionale son opposition à l'installation d'une boulangerie en périphérie au nom de la vitalité du commerce de centre-ville. Il a vu son arrêté municipal annulé : la cour a considéré que l'élu ne recherchait certes « pas un but étranger à l'intérêt général », mais qu'il poursuivait « une fin distincte de celle qui devait normalement justifier son intervention en vertu du Code de l'urbanisme » (CAA Nancy, 17 juillet 2023, n° 21NC03241).

Puis, en novembre 2024, le juge d'appel a considéré que le refus d'un maire d'accorder le permis à un projet privé de centre de santé, refus fondé sur ses messages durant la campagne municipale de souhait d'un projet public, constituait une « décision prise pour un motif étranger au droit de l'urbanisme et est, ainsi, entaché d'un détournement de pouvoir » (CAA Nancy, 21 novembre 2024, n° 22NC02197).

Pièces complémentaires

Dans un arrêt de principe de 2022, le Conseil d'Etat a considéré que « le délai d'instruction n'est ni interrompu ni modifié par une demande illégale, tendant à compléter le dossier par une pièce qui n'est pas exigée en application du livre IV de la partie réglementaire du Code de l'urbanisme. Dans ce cas, une décision de non-opposition à déclaration préalable ou un permis tacite naît à l'expiration du délai d'instruction, sans qu'une telle demande puisse y faire obstacle » (CE, 9 décembre 2022, n° 454521, publié au recueil Lebon).

Le TA de Strasbourg, souligne l'avocat David Gillig, a étendu cette solution au cas d'une demande tendant à compléter le dossier portant sur une pièce exigible en application des dispositions du Code de l'urbanisme, alors que le service instructeur était en mesure, au vu des pièces qui lui étaient fournies, d'instruire la demande dont il était saisi et d'apprécier en toute connaissance de cause la conformité du projet à la réglementation applicable (TA Strasbourg, 3 octobre 2024, n° 2201758 ; dans le même sens, TA Versailles, 22 mai 2024, n° 2307688 ; CAA Marseille, 10 octobre 2024, n° 23MA00990).

Cette dernière solution, très favorable aux promoteurs immobiliers, paraît toutefois contraire à la dernière jurisprudence du Conseil d'Etat (CE, 4 février 2025, n° 494180, mentionné aux Tables). En effet, dans cette décision, la Haute juridiction a précisé que la demande relative à l'une des pièces exigibles en application du livre IV du Code de l'urbanisme fait obstacle à la naissance d'un permis tacite à l'expiration du délai d'instruction, la circonstance que la pièce ait pu être inutile étant sans incidence à cet égard.

Une dernière brèche dans le mur des refus de permis pourrait venir des règles du jeu en matière de prescriptions spécifiques à un projet. Selon la jurisprudence, le fait d'en édicter permet, dans certaines conditions, l'obtention d'un permis pour un projet qui méconnaîtrait les dispositions du Code de l'urbanisme, notamment l'article R. 111-2 concernant les questions de sécurité et salubrité publique.

Concrètement, pour accorder un permis, un maire peut demander l'élargissement d'une voie d'accès aux services d'incendie et de secours qui l'ont jugée trop étroite lors de l'instruction, ou encore demander la plantation ultérieure du nombre d'arbres qui manque au compteur dans le dossier initial.

Un pas supplémentaire pourrait-il être franchi, dans le cas où le maire exclurait de telles prescriptions et refuserait par conséquent de signer un permis, alors qu'elles auraient pu le rendre légal sur le point contesté ? « La question, fort intéressante et totalement inédite, devrait trouver sa réponse cette année », signale David Gillig. Le 8 novembre dernier, le TA de Toulon (n° 2400101) a en effet transmis cette demande d'avis au Conseil d'Etat : « Un pétitionnaire qui, en dehors de toutes dispositions législatives et réglementaires prévoyant la possibilité pour l'autorité compétente d'assortir son autorisation d'urbanisme de prescriptions spéciales, se voit opposer un refus de permis de construire ou une opposition à déclaration préalable peut-il se prévaloir, devant le juge, de ce que, bien que son projet méconnaisse les dispositions législatives et réglementaires dont l'administration est chargée d'assurer le respect, cette dernière aurait pu ou dû lui délivrer ladite autorisation en l'assortissant de prescriptions ? »

   De simples déclarations publiques ne peuvent tenir lieu de motif valable pour refuser un permis. Une évidence qui ne semble plus sauter aux yeux des élus.

Prescriptions spécifiques

Image d'illustration de l'article
8929_498471_k3_k1_1190089.jpg 8929_498471_k3_k1_1190089.jpg
Abonnés
Analyses de jurisprudence
Toute l’expertise juridique du Moniteur avec plus de 6000 commentaires et 25 ans d’historique
Je découvreOpens in new window
Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !
Détectez vos opportunités d’affaires