Le constat est sans appel : seul un HLM sur dix est adapté au vieillissement, estime l’Agence nationale de contrôle du logement social (Ancols). Or, près d’un tiers des occupants du parc social ont 60 ans ou plus. Alors que les bailleurs sont mobilisés par l’éradication de leurs passoires thermiques, le défi paraît immense : entre 750 000 et 1,5 million de logements sociaux, sur un total de 5,4 millions, sont adaptables, c’est-à-dire que des travaux y sont réalisables, à l’occasion d’une réhabilitation lourde par exemple. Ces chiffres restent cependant à prendre avec des pincettes en raison de la méconnaissance par les bailleurs de leur patrimoine. Seulement un tiers des organismes sondés en 2024 étaient capables de « décrire » le niveau d’adaptabilité de leur parc.
Une chose est en tout cas certaine : une majorité de HLM ne peuvent se mettre au niveau du grand âge. Un cas fréquent ? « L’ajout d’un ascenseur dans un immeuble R + 3 qui n’en est pas doté est irréalisable techniquement ou financièrement », illustre Thierry Asselin, directeur des politiques urbaines et sociales de l’Union sociale pour l’habitat (USH). Et encore, tout ne dépend pas du propriétaire : « Si le bailleur peut repenser le bâtiment, il peut difficilement peser sur l’accessibilité des espaces publics dans la commune », insiste-t-il.
Pour répondre aux besoins de leurs locataires les plus âgés, les bailleurs sont donc bien souvent contraints de disposer de suffisamment de logements adaptés à l’échelle locale pour reloger ceux désormais dans l’incapacité de prendre un bain ou monter les escaliers. C’est pourquoi, outre les actions à mener sur l’existant, le deuxième levier porte sur la production neuve. L’USH suggère de privilégier les petites typologies, en particulier au rez-de-chaussée. Elle plaide aussi pour le développement des résidences intergénérationnelles, exploitées par les bailleurs eux-mêmes. Parmi les programmes alternatifs, citons le béguinage, qui regroupe en général 10 à 20 maisons de plain-pied.
Des résidences à construire.
Premier bailleur social de France, Action Logement mise entre autres sur la résidence services seniors (RSS) sociale. Exploité par des prestataires externes spécialisés, ce produit se caractérise par un bouquet de services (portage de repas, animations…), qui vise un public n’ayant pas les moyens de vivre dans une RSS privée. « L’idée est de loger des seniors encore autonomes mais qui ont besoin d’un minium de prestations accessibles à tous les occupants. Nous ne voulons pas que ce soit à la carte, que seuls les plus aisés puissent se les payer », développe Mario Bastone, directeur général de la foncière médico-sociale Enéal, filiale d’Action Logement.
Les premières RSS sociales du groupe sont en cours de développement, chez Domofrance et Néolia notamment. Ses filiales doivent répondre à un cahier des charges interne qui vise la création de T2 et T3, dédiés uniquement aux seniors. La résidence doit en outre proposer « des espaces communs, comme un restaurant ouvert sur la ville, situés dans des lieux accessibles, avec commerces à proximité », poursuit Mario Bastone.
Sur un total de 1,2 million de logements sociaux, intermédiaires et libres gérés par Action Logement, 10 % sont considérés par le groupe comme adaptés. D’ici 2035, ce taux devra atteindre 20 %. Cet objectif a été fixé à la suite de l’analyse des données traitées par un nouvel outil de connaissance globale de son patrimoine : classe énergétique du logement, immeuble avec ou sans ascenseur, date de construction… Action Logement prévoit qu’en 2035, son parc comptera 100 000 locataires seniors supplémentaires. Et estime à 400 000 le nombre actuel de ses logements occupés par des personnes âgées potentiellement concernées par ces problématiques.
L’USH plaide pour le développement de résidences intergénérationnelles exploitées par les bailleurs.
Barres de maintien
Côté anticipation, un tiers des bailleurs font déjà appel à un ergothérapeute, qu’il soit salarié ou prestataire externe, comme c’est le cas pour le groupe Arcade-VYV. Le référent (portant le sujet de l’adaptation) de chacune de ses entreprises sociales de l’habitat (ESH) ou coopératives HLM qui détiennent du patrimoine est amené à discuter avec ce professionnel afin de prendre des décisions, par exemple sur les barres de maintien à fixer dans les pièces humides. Le groupe gère au total 215 000 loge ments, dont 30 % sont adaptés. « C’est-à-dire qu’ils ont fait l’objet de travaux, principalement dans la salle de bains et les parties communes », explique Thomas Duke, son porte-parole et directeur général délégué d’Aiguillon Construction, une de ses filiales. Depuis 2020, Arcade-VYV réalise en moyenne un millier d’adaptations par an et prévoit de maintenir cette cadence.
Le groupe dépense ainsi en moyenne 4 300 euros par logement. De son côté, Action Logement estime à 2 000 euros le coût moyen par maison ou appartement pour des adaptations simples, comme l’installation de barres d’appui. La facture s’élève entre 6 000 et 8 000 euros pour des travaux limités à la salle de bains, et peut atteindre 12 000 euros quand l’habitation fait l’objet d’une adaptation plus globale, en incluant de la domotique par exemple. Le remplacement de la baignoire par une douche et l’éclairage des zones de circulation font partie des gestes les plus fréquents chez ces deux poids lourds.
Des financements disponibles
Affaiblis par la réduction de loyer de solidarité (RLS), qui grèvera leurs recettes de 1,1 Md € en 2025, les bailleurs piochent dans leurs fonds propres pour financer ces chantiers. Ils peuvent aussi s’appuyer sur leur prêteur historique : la Caisse des dépôts. Via la Banque des territoires principalement, le groupe prévoit d’investir 25 Mds € sur cinq ans « en faveur de la santé et du grand âge », a-t-il annoncé en juillet. La mobilisation de cette enveloppe d’ici fin 2029 se fera sous différentes formes : prêt, investissement direct ou indirect, crédit d’ingénierie.*
Aucun bouquet de travaux ne leur sera imposé, « en dehors des projets de réhabilitation thermique, qui peuvent bénéficier de financements bonifiés à condition d’atteindre après travaux les niveaux de performance requis », rappelle la Caisse des dépôts. L’enveloppe servira en outre à soutenir CDC Habitat, filiale du groupe, même si son patrimoine de logements est plus récent que la moyenne, donc potentiellement moins exposé à la problématique de l’adaptation au vieillissement.
Enfin, les bailleurs sont éligibles aux subventions distribuées par les 15 caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) régionales. En 2024, elles ont contribué aux travaux de 4 200 logements pour un budget de 12,5 M€. Cette année, elles dépenseront autant, malgré la dégradation des finances publiques qui inquiète les professionnels.
La facture des travaux peut grimper jusqu’à 12 000 euros quand l’habitation fait l’objet d’une adaptation globale, en incluant de la domotique par exemple.
Volet réglementaire
Globalement sereins sur le sujet de l’adaptation du parc aux personnes âgées, les acteurs interrogés estiment, enfin, que la réglementation actuelle est suffisante pour stimuler les bailleurs sociaux. Ces derniers sont déjà concernés par l’article 20 de la loi sur l’adaptation de la société au vieillissement du 28 décembre 2015 qui permet aux pouvoirs publics de réserver une partie des attributions d’un immeuble neuf ou réhabilité aux populations « en perte d’autonomie liée à l’âge ou au handicap ». Citons également le décret du 11 avril 2019 qui, depuis le 1er octobre de la même année, oblige les opérateurs à installer un ascenseur dans les bâtiments neufs de plus de deux étages.
Stratégie : « nous proposons un pack confort à tous nos résidents seniors », Entretien avec Christine Laconde, directrice générale de la Régie immobilière de la Ville de Paris (RIVP).
Le vieillissement de la population fait partie de vos préoccupations. Pourquoi ?
C'est un sujet majeur car la RIVP est le bailleur social parisien qui compte la plus forte proportion de seniors parmi ses locataires : 48 % de plus de 60 ans et 15 % de plus de 75 ans. Ils occupent un logement sur deux dans les XIIe , XIIIe et XIVe arrondissements, ainsi que dans le département du Val-de-Marne, au sein de notre parc géré par Amélie Darley, directrice territoriale sud.
Conformément à notre « Agenda 21 de la longévité », elle et son équipe ont pour objectif d'adapter, d'ici 2027, un quart des appartements loués par cette catégorie de population, à un rythme d'environ 300 par an, afin qu'elle y vieillisse bien.
En quoi consistent les travaux ?
Nous proposons à tous nos locataires âgés de plus de 60 ans un « pack confort », qui va au-delà de la simple transformation d'une baignoire en douche, avec fixation d'une barre d'appui et création d'une assise. En effet, il est aussi possible d'adapter la cuisine : en remplaçant les plaques de cuisson au gaz par de l'induction pour plus de sécurité, en rehaussant les prises électriques pour plus d'accessibilité et en changeant les robinets par un mitigeur pour plus de maniabilité. Tous ces travaux, qui facilitent le quotidien, sont réalisés avec l'aide d'un ergonome.
La fourchette de prix se situe entre 5 000 et 7 000 euros.
A l'avenir, vous projetez même d'intervenir en dehors des appartements. Comment ?
Dans le XXe arrondissement, à la porte de Bagnolet, nous avons pour projet de restructurer trois tours, dont les deux premiers étages seraient consacrés à de l'habitat pour seniors. Le choix de l'architecte est en cours. L'idée consiste ici à trouver le bon calibrage de logements, d'espaces partagés et de services mis à disposition des locataires (aide médicale à domicile, relais d'informations sur les droits sociaux, etc.). Nos discussions avec les anciens du quartier nous amèneront probablement à tout repenser : logements, paliers, pièces communes, pieds des immeubles et abords. La réhabilitation de notre parc, vieillissant lui aussi puisque construit il y a plus de cinquante ans, est un laboratoire d'expérimentations. Toutefois, nous savons que certains de nos bâtiments demeureront inadaptables. C'est pourquoi la question du parcours résidentiel figure également parmi nos préoccupations.

