Recherche appliquée, collaboration, expérimentation en vraie grandeur autour de la terre crue … Le Projet national terre, sous l’égide du ministère de la Transition écologique, vise à faire progresser les connaissances, les pratiques, ainsi que les outils et les méthodes de la filière. L’un des axes de travail s’attache notamment à développer le contrôle de qualité des éléments d’ouvrages sur les chantiers. Dans ce cadre, près de 80 ingénieurs, chercheurs, maçons et architectes se sont réunis en mars 2024 autour de la question des contrôles à mener sur les chantiers pour assurer la qualité du pisé. Plus d’un an après, ils livrent leurs recommandations.
La qualité via l’approche performantielle
Premier enjeu : établir un consensus concernant la notion de qualité dans la construction terre. En effet, « la qualité du pisé est évaluée par une approche performantielle, plutôt que par une approche normative qui ne pourrait pas tenir compte de la diversité de la matière première, ni de la pratique de l’artisan. Autrement dit, l’objectif est de s’assurer qu’à l’issue de la réalisation, le bâtiment présente bien les performances attendues, indépendamment des méthodes employées pour y parvenir », rappellent dans leur rapport, Marie-Sarah Force, Noémie Prime, Mathieu Audren, Alain Marcom, François Brun, Martin Rueda, Maxime Debroux, Antonin Fabbri et les membres de l’axe “in-situ” du Projet national terre.
Pour autant, la qualité de mise en œuvre en phase chantier est primordiale. Plusieurs aspects doivent être pris en compte simultanément pour assurer sa durabilité : une densité sèche régulière au long du chantier pour évaluer l’homogénéité de compactage du pisé, une résistance à la compression suffisante, mais aussi sa résistance vis-à-vis de l’érosion à l’eau, de l’abrasion du matériau ou sa sensibilité aux remontées capillaires.
Les pratiques de contrôle en question
Pour attester de la bonne qualité du pisé, deux méthodes de contrôle se sont distinguées. D’un côté, l’autocontrôle, « indispensable pour définir les modalités de mise en œuvre, évaluer ou anticiper la qualité (performance structurelle, séchage, durabilité, ou constance de la densité sèche), et assurer un suivi régulier sur le chantier », constatent les auteurs du rapport, qui alertent tout de même sur le fait que ces pratiques ne sont pas standardisées. Ils indiquent : « dans le cas du pisé, la fabrication de murets d’essai est recommandée par le guide des bonnes pratiques ». Le prototypage s’avère ainsi une pratique essentielle pour rendre visibles les choix techniques.
Le contrôle qualité, au sens assurantiel, répond, quant à lui, davantage à une logique de justification externe. « Il vise à rassurer les parties prenantes (maîtres d’ouvrage, bureaux de contrôle, assurances) sur la bonne mise en œuvre ou la performance attendue du pisé, mais peu aussi s’apparenter à une surveillance formelle, parfois lourde, voire excessive », déplorent les auteurs. « Par exemple, l’assimilation du pisé à des logiques issues de la géotechnique ou des travaux publics, en raison de sa proximité avec le sol comme matériau, entraîne des exigences parfois inadaptées aux réalités du chantier, telles que des demandes systématiques de caractérisation de la nature de la terre », illustrent-ils. Des essais remis en question par les artisans de la terre, qui considèrent qu’ils « ne garantissent pas une performance en termes de densité et de résistance. Pire, ils ajoutent de la complexité aux analyses et renchérissent les coûts ».
Un ensemble d’essais de contrôle demandés pour les constructions en pisé ont été rassemblés dans un tableau synthétique pour en comprendre les avantages et les limites de chacun.
Des axes de recherche à prioriser
« À ce jour, nous manquons d’essais adaptés pour caractériser les propriétés et performances du pisé de manière applicable sur chantier, représentatif de la réalité de l’ouvrage, et fiable scientifiquement », attestent les auteurs du document. Passé l’heure des constats, comment orienter la recherche vers les besoins en terme de contrôle, toujours dans l’idée d’assurer la qualité du pisé, tout en s’adaptant aux contraintes du terrain ? Plusieurs axes ont été formulés : améliorer la fiabilité des essais existants, poursuivre le développement d’outils de mesure sur site de la densité et de la teneur en eau, étudier le comportement des ouvrages soumis au vieillissement (abrasion, action de l’eau liquide, gel/dégel), et surtout, mieux comprendre le processus de séchage sur chantier, en tenant compte des phasages, des conditions climatiques et des interactions avec d’autres corps de métier.
Initier la qualité du pisé dès la conception
À ce titre, les auteurs du document rappellent que « la qualité d’un ouvrage ne dépend pas uniquement des performances du matériau utilisé, mais bien d’une approche globale du projet ». Dès la conception et la rédaction des CCTP, le dialogue entre les différents corps de métiers et le bureau de contrôle est nécessaire pour parvenir à des prescriptions adaptées, éviter des contrôles excessifs, et, bien évidemment, les sinistres, qui seraient nuisible à l’ensemble de la filière. En conclusion, « engager du temps et de l’énergie pour instaurer la confiance et le dialogue semble être le meilleur levier pour mener à bien un projet de bâtiment en terre crue ».
