Biens sans maître et en état d'abandon manifeste : le coup de pouce de la loi 3DS

Collectivités - Réduction des délais, création de réserves foncières… la récupération de ce foncier est plus simple et plus rapide.

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Face au besoin de revitalisation et de développement des territoires, s'agissant tant des centres-villes que du tissu rural, et sous la contrainte d'un étalement urbain et d'une consommation d'espaces limités, les collectivités locales se tournent vers des projets de réhabilitation de bâtiments et de réemploi du foncier bâti. Elles peuvent alors être intéressées par les biens sans maître et ceux en état d'abandon manifeste afin d'y développer un projet d'aménagement urbain. Il s'agit d'immeubles bâtis ou non qui ne sont plus occupés, voire laissés en déshérence faute de tout propriétaire, ou en l'absence d'entretien de la part du propriétaire.

En facilitant la mise en œuvre des procédures d'acquisition de ces biens sans maître et en état d'abandon manifeste, le législateur, à travers la relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite « loi 3DS », a assoupli ces prérogatives de puissance publique.

Le régime juridique des biens sans maître

Originellement, les biens sans maître sont des immeubles correspondant à trois situations : - soit le propriétaire est connu mais décédé et la succession est ouverte depuis plus de trente ans sans qu'aucun successible ne se soit présenté ; - soit le propriétaire est inconnu et la taxe foncière sur les propriétés bâties n'a pas été acquittée depuis plus de trois ans ou a été acquittée par un tiers ; - soit le propriétaire est inconnu et la taxe foncière sur les propriétés non bâties n'a pas été acquittée depuis plus de trois ans ou a été acquittée par un tiers.

Depuis le 23 février 2022 (date d'entrée en vigueur de la loi 3DS), le législateur ne distingue plus selon que le bien est soumis à la taxe sur les propriétés foncières bâties ou non bâties. L' (CG3P) ne vise donc plus que les deux cas évoqués ci-après.

Bien définitivement sans maître. D'une part, le bien dont le propriétaire est décédé et la succession ouverte depuis plus de trente ans sans qu'aucun successible ne se soit présenté, s'apparente à un bien « définitivement » sans maître. Dans cette hypothèse, la loi 3DS ne change rien au principe selon lequel la commune, l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI), ou, en dernier lieu, l'Etat, en obtiendra de plein droit la propriété ().

En outre, avec la loi 3DS, cette possibilité d'acquisition de plein droit vaut désormais également pour les biens dont la succession est ouverte depuis une période de dix ans à compter du 1er janvier 2007, sans qu'aucun successible ne se soit présenté, dès lors que ledit bien est situé dans le périmètre d'une grande opération d'urbanisme (GOU) au sens du Code de l'urbanisme, d'une opération de revitalisation de territoire (ORT) au sens du Code de la construction et de l'habitation, dans une zone de revitalisation rurale (ZRR) selon le Code général des impôts, ou dans un quartier prioritaire de la politique de la ville (QPPV) conformément à la de programmation pour la ville et la cohésion urbaine.

Le législateur ne distingue plus selon que le bien sans maître est soumis à la taxe foncière sur les propriétés bâties ou non.

Bien présumé sans maître. D'autre part, le bien bâti ou non bâti dont le propriétaire est inconnu et dont la taxe foncière n'a pas été acquittée depuis plus de trois ans ou a été acquittée par un tiers (la personne qui utilise le bien par exemple), sera « présumé » sans maître. Pour pouvoir l'acquérir, la commune ou l'EPCI devra suivre la procédure prévue à l'.

Concrètement, le chef de l'exécutif (maire ou président d'un EPCI) pourra constater par arrêté que l'immeuble remplit les conditions précitées (propriétaire inconnu et taxe foncière non acquittée depuis plus de trois ans ou acquittée par un tiers), après avis de la commission communale des impôts directs. Cet acte devra naturellement satisfaire aux obligations de publicité, d'affichage, et de notification aux personnes intéressées. Selon l', cet arrêté est toujours notifié au préfet. Il sera également adressé à l'habitant ou à l'exploitant de l'immeuble, si celui-ci est habité ou exploité, ainsi qu'au tiers qui aurait acquitté les taxes foncières. Et, s'il y a lieu, la notification devra être faite aux derniers domicile et résidence du dernier propriétaire connu.

A l'expiration d'un délai de six mois qui commence à courir à la date de la dernière mesure de publicité mise en œuvre, si aucun propriétaire ne s'est manifesté, l'immeuble sera présumé sans maître. L'organe délibérant de la commune ou de l'EPCI pourra alors, par délibération, décider d'incorporer ce bien dans son domaine privé. Cette incorporation devra également être constatée par arrêté de l'exécutif.

Toutefois, à défaut de délibération dans les six mois à compter de la vacance présumée du bien, celui-ci basculera automatiquement dans le patrimoine de l'Etat. Cette dernière incorporation sera constatée par un acte administratif.

Droit de restitution. Il n'est pas exclu qu'un ayant droit du propriétaire se fasse connaître tardivement. Aussi, pour préserver le droit de propriété, la loi 3DS est venue reconnaître un droit de restitution sur le fondement de l' aux propriétaires ou ayants droit des biens « définitivement » sans maître, situés dans les périmètres particuliers précités (GOU, ORT, ZRR, etc.), à l'issue du délai de dix ans à compter d'une succession ouverte au 1er janvier 2007. En revanche, l'on rappellera que les biens « définitivement » sans maître à la suite de l'écoulement d'un délai de trente ans sans successible, et non compris dans un périmètre particulier, ne bénéficient pas d'une telle action en restitution.

En outre, le législateur n'a pas remis en cause la possibilité pour les propriétaires ou ayants droit de biens « présumés » sans maître de solliciter la restitution dudit bien.

Bien évidemment, il appartient à la personne qui s'estime privée de son droit de propriété d'en exiger la restitution. Le principe est qu'il s'agit d'une restitution matérielle mais, en cas d'impossibilité, par exemple lorsque le bien a été aliéné ou est utilisé d'une manière s'opposant à la restitution, celle-ci consistera au versement d'une indemnité correspondant à la valeur de l'immeuble au jour de l'acte d'aliénation ou, le cas échéant, du procès-verbal (PV) constatant la remise effective de l'immeuble au service ou à l'établissement public utilisateur.

Le régime des biens en état d'abandon manifeste

La procédure de déclaration d'état d'abandon manifeste, résultant de la portant dispositions diverses en matière d'urbanisme et d'agglomérations nouvelles et codifiée aux articles L. 2243-1 à 4 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), reste d'un usage rare.

Outil vertueux. Elle est pourtant un outil précieux qui offre la possibilité « aux communes qui constateraient […] la présence d'une parcelle ou d'un immeuble en état d'abandon manifeste sans pour autant menacer ruine ni présenter un péril imminent et alors que la commune souhaiterait y réaliser la construction de logements ou y développer tout projet d'intérêt collectif relevant d'une opération de restauration, de rénovation ou d'aménagement, d'exproprier la parcelle ou l'immeuble après en avoir fait constater l'état d'abandon manifeste » (1).

Cette procédure permet à la personne publique d'accéder à la propriété en dehors de toute cession à titre onéreux. Elle a ceci d'original que le transfert de propriété au bénéfice de la personne publique n'est pas sa seule finalité. Et pour cause, elle renferme la vertu d'inviter le propriétaire à mettre fin à l'abandon manifeste de son bien une fois que celui-ci est constaté par le maire. Ce n'est qu'en ultime recours, seulement si le propriétaire ne s'exécute pas, qu'elle permet de sanctionner l'inaction de ce dernier par le transfert de la propriété au profit de la personne publique après la mise en œuvre d'une procédure d'expropriation.

Périmètre élargi. Son champ d'application est large et inclut les immeubles, parties d'immeubles, voies privées assorties d'une servitude de passage public, installations et terrains. Jusqu'au 23 février 2022, cette procédure ne pouvait être mise en œuvre qu'à l'intérieur du périmètre d'agglomération de la commune. Depuis la loi 3DS, elle est étendue au périmètre de l'ensemble du territoire communal (art. 98-III de la loi).

Pour être regardés comme étant « en état d'abandon manifeste », les biens doivent, cumulativement, n'être manifestement plus entretenus et être dépourvus d'occupant à titre habituel. Les collectivités peuvent donc faire usage de cette procédure lorsqu'elles sont confrontées à diverses situations, parmi lesquelles : - toiture ouverte, végétation envahissante, persiennes ouvertes et rouillées, actes de vandalisme récurrents (2) ; - vitres à changer sur l'ensemble du bâtiment, murs et clôture à crépir, étêtement des arbres à réaliser, remplacement d'un grillage abîmé et retrait des graffitis (3) ; - terrains non nettoyés, sans aucun préverdissement et sans clôture adaptée permettant de sécuriser les lieux (4).

Procès-verbal. Dans de telles hypothèses, le maire constate, par un PV provisoire, l'abandon manifeste d'une parcelle après avoir procédé à la détermination de celle-ci et à la recherche des propriétaires, titulaires de droits réels et autres intéressés dans le fichier immobilier ou le livre foncier.

Ce PV détermine et précise la nature des désordres qui affectent le bien auxquels il convient de remédier. Il fait l'objet d'une large publicité pendant trois mois, par affichage à la mairie et sur les lieux concernés, par publication dans deux journaux régionaux et locaux et par notification aux propriétaires, titulaires de droits réels ou autres intéressés.

   Le périmètre d'acquisition des biens en état d'abandon manifeste est élargi au territoire de toute la commune.

A l'issue dudit délai, deux options émergent : - soit les propriétaires interviennent dans les trois mois suivant l'exécution des mesures de publicité et de notification et mettent fin à l'état d'abandon manifeste ou ont manifesté leur intention d'y mettre fin en débutant les travaux ou en s'engageant à les réaliser dans un délai fixé en accord avec le maire. Dans cette hypothèse, la procédure d'état d'abandon manifeste ne peut plus être poursuivie. Elle pourra toutefois être reprise si les engagements des propriétaires, notamment sur les délais, ne sont pas tenus ; - soit les propriétaires n'ont effectué aucune action, ni manifesté aucune intention pour mettre fin à l'état d'abandon, ou n'ont pas tenu leurs engagements. Le maire prend alors un PV définitif de constatation de l'état d'abandon manifeste qui est tenu à la disposition du public.

Au visa du PV définitif, l'édile saisit le conseil municipal. Ce dernier délibère pour déclarer la parcelle en état d'abandon manifeste et décider d'en poursuivre l'expropriation. Laquelle peut se faire au profit de la commune, d'un organisme y ayant vocation ou d'un concessionnaire d'une opération d'aménagement visée à l', en vue soit de la construction ou de la réhabilitation aux fins d'habitat, soit de tout objet d'intérêt collectif relevant d'une opération de restauration, de rénovation ou d'aménagement. Il pourra s'agir par exemple de la création d'un gîte rural (), de l'élargissement d'une voie publique et de la création d'un square (), de l'aménagement sur un terrain en bordure de route d'un espace paysager comportant l'implantation d'une roseraie () ou encore de la construction de logements, d'un commerce et de places de stationnement (). La loi 3DS a ajouté la possibilité de créer des réserves foncières permettant la réalisation des opérations précitées.

Expropriation simplifiée. L'expropriation est ensuite poursuivie de façon simplifiée par application des règles prévues à l'.

Ainsi, le maire constitue un dossier présentant un projet simplifié d'acquisition publique et l'évaluation sommaire de son coût. Ce dossier est tenu à la disposition du public pendant une durée minimale d'un mois. Au vu du dossier et des observations du public, le préfet déclare l'utilité publique du projet et détermine la liste des immeubles ou parties d'immeubles, des parcelles ou des droits réels immobiliers à exproprier ainsi que l'identité des propriétaires ou titulaires de ces droits réels. L'arrêté de DUP déclare cessibles ces immeubles ou parcelles, fixe le montant de l'indemnité provisionnelle allouée aux propriétaires - celle-ci ne pouvant être inférieure à l'évaluation effectuée par le service chargé des domaines. Enfin, l'arrêté précise la date à laquelle il pourra être pris possession du bien après paiement de l'indemnité ou consignation de celle-ci en cas d'obstacle au paiement. Cette date doit être postérieure d'au moins deux mois à la publication de l'arrêté de DUP.

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