« Ceux qui profitent des prix bas sont complices de la casse sociale », Jacques Chanut, président de la FFB

A l'occasion du Congrès de la Fédération française du bâtiment, qui se tiendra les 11 et 12 juin à Versailles, son président Jacques Chanut revient pour Le Moniteur sur tous les sujets qui font l'actualité du bâtiment: pénibilité, fraude au détachement, spirale des prix bas, BIM, directive européenne sur les marchés publics,...

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Jacques Chanut, président de la FFB

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Conjoncture

Jacques Chanut : La situation reste très compliquée. Les entreprises sont au bout du rouleau en termes de fonds propres, de trésorerie, et de carnet de commandes. Le moindre impayé, le moindre décalage de chantier peuvent être fatals à nombre d’entre nous. D’ailleurs les chiffres sont tétanisant : sur le premier trimestre 2015, les dépôts de bilan des entreprises de 0 à 5 salariés sont en augmentation de 30% sur un an. Nous annonçons une perte de 30 000 emplois dans le bâtiment cette année. Mais si rien n’est fait, ce chiffre pourrait doubler.

Quelques signes d’espoir apparaissent malgré tout. Pour certains entrepreneurs le « téléphone se remet à sonner », dans deux secteurs en particulier : le logement neuf, qui semble repartir, et la rénovation. Par contre le marché du non résidentiel reste atone.

Loi de transition énergétique

J.C: Je vais vous surprendre, mais nous sommes contre l’obligation de travaux de rénovation énergétique qu’instaure la loi à différentes échéances. Obliger les propriétaires à réaliser des travaux entraîne souvent la fin des incitations financières et des subventions de l’Etat. Or le modèle promu par la loi selon lequel les économies d’énergie permettront de financer les travaux de rénovation n’est pas réaliste , plusieurs études l’ont démontré.  Le portefeuille des Français n’est par ailleurs pas extensible : l’argent qu’ils seraient contraints d’investir dans la rénovation énergétique ne serait plus disponible pour d’autres projets, qu’ils devraient différer ou annuler. Elle pourrait donc bloquer le marché et concourir à des travaux de piètre qualité par souci immédiat de simple conformité. Au final, cette obligation de travaux ne générerait donc pas d’activité supplémentaire pour les entreprises. Et puis, si la Puissance publique veut rendre obligatoire la rénovation, qu’elle commence à appliquer ce principe à elle-même !

J.C: Là encore, Cette mesure est excellente… pour freiner encore plus l’investissement ! Alors que les collectivités vont avoir de plus en plus de mal à se financer, les obliger à construire des équipements en Bepos, qui coûtent en moyenne 15% de plus qu’une construction RT 2012, est un non-sens économique. Il faut que le gouvernement cesse ses effets d’annonce, qui se révèlent contreproductives. C’est ce qui s’est passé avec le crédit d’impôt pour la transition énergétique.

J.C: Pas suffisamment. Cinq mois se sont écoulés entre l’annonce de sa création à la rentrée 2014 et sa mise en œuvre effective, en février dernier. Ce délai était trop long, et la mesure, pourtant excellente, a fait flop, car les clients la connaissaient mal quand elle a effectivement démarré. C’est pour cela qu’à notre demande, le dispositif a été prolongé d’une année. Il faut parallèlement que le gouvernement en profite pour le faire connaitre très largement.

Collectivités locales

J.C: La commande publique représente 15% de l’activité de nos entreprises, et elle joue habituellement un rôle contra-cyclique majeur. Or dans cette période de disette budgétaire, elle ne le joue plus. Il faut faire redémarrer la machine. Nos fédérations sont au contact  des élus locaux pour soutenir toute démarche qui permette de commencer des travaux immédiatement.

J.C: Le remboursement anticipé de la TVA sur les investissements publics des collectivités territoriales me semble être l’une des plus attendues. Ce mécanisme avait été mis en place avec succès en 2008. Mais en sept ans, le contexte a radicalement changé. Les collectivités avaient alors des projets mais des difficultés à trouver des financements. C’est aujourd’hui l’inverse. Dans l’incertitude et le flou qui règnent notamment autour de la réforme territoriale, la difficulté pour les collectivités est de s’engager dans des investissements dont elles ne sont pas sûres qu’elles pourront un jour en récolter les fruits.

J.C: Toutes les mesures qui favorisent l’investissement immédiat sont intéressantes. En Isère, par exemple, le Conseil Départemental a mis en place un mini-plan de relance en proposant de bonifier de 10% la part de subvention du département sur tout projet qui sortirait d’ici la fin de l’année. Ce coup de pouce peut paraître minime, mais il permet en réalité de débloquer de nombreux projets en manque de compléments de financement.

Une autre idée consisterait à vendre une part du patrimoine des collectivités. Elles disposent d’un patrimoine énorme dont une bonne proportion est « dormante ». Or mourir riche a peu d’intérêt ! Ces ventes pourraient leur permettre de générer des fonds propres qu’elles pourraient flécher vers l’investissement.

Directive marchés publics

J.C: En l’état actuel de son écriture, le texte est plutôt équilibré, et la boîte à outils qu’il constitue est bien dimensionnée. Quelques points sont très positifs, comme l’élargissement du principe de l’allotissement aux marchés issus de l’ordonnance de 2005, ou la suppression du seuil minimal de recours aux PPP. Cela va permettre aux PME de continuer à accéder à certaines formes de PPP, comme elles le font déjà sur les opérations en BEA (Bail emphytéotique administratif).

Par ailleurs, l’ordonnance fait la part belle aux contrats globaux, mais ce n’est pas forcément un mal. Notre position est très claire sur ce sujet : il n’y a pas de mode d’attribution magique. A chaque situation particulière doit correspondre un mode d’attribution adapté, et si les contrats globaux sont les mieux à même de faire sortir certains marchés, ils doivent faire partie de la boîte à outils mais en aucun cas être systématiques.

J.C: Le BIM est une révolution en marche et sera incontournable dans le monde de la construction de demain. Mais attention ! Il faut veiller à ce que l’ensemble de la profession y ait accès, et surtout les plus petites entreprises. Car le jour où on l’imposera, il faudra que tout le monde joue à armes égales. Il va donc falloir faire un effort très important de formation.

L’idée même du BIM est séduisante, mais à condition que les entreprises puissent réellement y avoir accès de manière autonome, en y mettant leur savoir-faire, et en leur laissant le choix des matériaux et des matériels qu’ils veulent utiliser. Il ne faudrait pas  pour cela que quelques gros industriels préemptent le marché des bibliothèques d’objets. Pour éviter cette dérive,  une bibliothèque d’objets « génériques » doit être créée. Le BIM ne doit pas pousser les entreprises à devenir de simples fournisseurs de main d’œuvre. Il faudra être très vigilants et déterminés. Nous sommes les deux !

Pénibilité

J.C: Nous ne voulions pas du Compte pénibilité sous cette forme, mais à partir du moment où la décision est prise, que fait-on ? Nous plongeons la tête dans le sable ou nous trouvons la moins mauvaise solution possible ? Le pire aurait été que des contraintes administratives inapplicables soient encore ajoutées aux entreprises. Nous avons rencontré le Président de la République, le Premier Ministre et à plusieurs reprises le Ministre du travail  qui a chaque fois ont montré qu’ils avaient compris le caractère impraticable de la fiche. Nous avons de même rencontré tous les parlementaires de France, tous les préfets, tous les décideurs, la ministre des affaires sociales,  sans omettre les relais d’opinion pour leur faire comprendre que l’on n’était pas dans une position dogmatique mais pragmatique. La position des uns et des autres a évolué pour arriver à un arbitrage du gouvernement où la loi pourrait être appliquée sans mettre d’entrave directe aux entreprises. Quoi qu’il en soit, chaque fois que l’on complexifie, on se met une balle dans le pied en termes d’emplois.

J.C: C’est un soulagement : je préfère que les ennuis soient ici, à la FFB, que chez nos entrepreneurs et artisans. Cela ne règle pas le dossier, mais cela le transfère. C’est toujours la même difficulté avec les lois sociales : on les annonce et on essaie de voir ensuite comment les mettre en œuvre. Il faudrait vraiment changer nos mauvaises habitudes françaises et qu’enfin, avant tout vote d’une loi, des études d’impact soient réalisées avec une réelle pertinence.

J.C: Le flou est total. Dans quel laps de temps ? Allons-nous procéder tâche par tâche ou ferons-nous l’inverse : définir un métier, par exemple celui de maçon ? Le travail d’un compagnon qui scie du béton n’a rien à voir avec celui d’un coffreur-bancheur, pourtant ils sont tous les deux qualifiés maçons.  Nous sommes prêts pour regarder tout cela, mais si nous voulons que ce travail ne soit pas contestable et ne pas réécrire les modes d’emploi chaque année, nous devons faire les choses correctement, profiter de cette période pour faire un réelle étude d’impact. Nos compagnons doivent pouvoir se reconnaître dans la description des modes d’emploi que l’on va faire.

J.C: Sincèrement, je ne sais pas. Nous devons avoir 300 modes d’emploi à sortir ! Heureusement que notre branche est à peu près structurée !

Détachement

J.C: La spirale des prix bas est due à la panique liée à la baisse d’activité, de l’ordre de 20 à 22% par rapport à 2008. C’est ce phénomène de prix bas qui a attisé la fraude au détachement. C’est terrible, car ceux qui profitent des prix bas sont complices de la casse sociale qu’elle engendre. Ceux qui cautionnent ce low cost sont des receleurs puisqu’ils profitent d’une fraude. Tout le monde rentre dans le système : de l’artisan au major. Malheureusement, ils suivent la logique d’un système économique en oubliant qu’il est basé sur une fraude.

J.C: Nous avons fait une étude basée sur le profil d’un ouvrier d’Europe de l’Est qui respecte les contraintes réglementaires, de sécurité et de logement. Nous arrivions à un écart de 7% ou 8%. C’est encore beaucoup mais ça n’explique pas des taux horaires qui doivent interpeller. Aujourd’hui 12 euros de l’heure vendus par des officines, ce n’est pas possible en respectant les règles sociales. Le vrai prix est de 30 à 33 euros !

J.C: On nous annonce 250 000, 300 000 travailleurs détachés, soit 100 000 dans le bâtiment. J’ai bien peur que la réalité soit plus proche  du double. Si nous continuons comme cela, dans trois ans nous serons moins de 800 000 dans le bâtiment contre 1 140 000 aujourd’hui. Nous ne pouvons pas accepter de laisser les entreprises et artisans devant la seule alternative de soit frauder, soit crever !

J.C: D’abord, il faut enfin pouvoir identifier qui est qui sur un chantier ! Le ministre du Travail, François Rebsamen, a pris une décision politique courageuse en décidant de rendre obligatoire la carte d’identification pour tous les intervenants sur un chantier. Ensuite, il faut que le receleur, c’est-à-dire le maître d’ouvrage qui profite du système de prix anormalement bas basé sur une fraude, soit coresponsable. Evidemment, l’entreprise doit être condamnée, mais il faut que tous ceux qui ont été complices du système payent également.

J.C: Les contrôles doivent être systématiques et beaucoup plus larges. Quand on triche sur les horaires, ce n’est pas le lundi de 9h à 12h et de 14h à 17h, c’est le week-end.  Le gouvernement a annoncé la création d’une structure regroupant les inspecteurs du travail, Urssaf, police, gendarmerie et les douanes. Or, cela coince aujourd’hui du côté de Bercy au sujet des douanes.  Pourtant, elles  sont primordiales car peuvent intervenir le jour et la nuit, lutter contre la contrefaçon et même entrer chez les particuliers. Et c’est aussi là que le bât blesse, il n’y a pas de sanctions pour les particuliers. Si nous mettons en place un système d’identification et qu’il n’y a pas de contrôle, ce n’est pas 100 000 emplois en cinq ans que perdra le bâtiment, c’est 100 000 par an.

J.C: La FFB n’a pas un rôle de censeur mais un rôle de conseil aux adhérents. Les fédérations locales se portent partie civile de très nombreux procès. Notre rôle, c’est d’expliquer le système et sa légalité. Si une entreprise choisit de réaliser des travaux avec des travailleurs détachés, elle doit être informée des règles et risques

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