Dans le bâtiment, le numérique et la tech en général ont eu du mal à s’intégrer. Mais ce n’est pas le cas chez Acorus (260 M€ de CA en 2022, 1600 salariés, Seine-et-Marne), groupe d’entreprises spécialisées dans la rénovation, qui dès 2015 a créé le Lab Acorus. Cette entité, créée et dirigée par Christophe Chalvin dès son arrivée dans le groupe, « a pour but de développer les outils digitaux de l’entreprise, identifier les nouvelles technologies, et mettre en place des process afin que les salariés en tirent le meilleur parti », explique le responsable.
Constitué de 7 personnes, chargées d’identifier les outils, de faire le lien avec les salariés, ou encore de les former, le Lab Acorus a su au fil des années développer des outils numériques au plus proche des besoins d’une ETI.
Des outils adaptés à une entreprise du bâtiment
Christophe Chalvin et ses équipes ne créent pas eux-mêmes les logiciels, une activité sous-traitée à des professionnels, mais construisent des outils numériques pour l’entreprise. « L’enjeu était là : nous avions besoin d'outils qui collent à notre façon de travailler et à notre culture basée sur la décentralisation. Or, en 2015, nous ne trouvions pas de logiciels adaptés, qui nous permettaient, par exemple, de faire des petites facturations simples comme des factures complexes et d’avoir un suivi des gros chantiers. » Pour rappel, Acorus est composé d’entreprises autonomes et spécialisées et qui peuvent ponctuellement se coordonner entre elles pour répondre à des projets de rénovation globaux.
Sans attendre, Acorus sort Nexxio, une plateforme de suivi des interventions sur le terrain. Bien ancrée dans les habitudes des salariés des entreprises et ayant fait ses preuves, « Nexxio est devenue une entreprise à part entière, et propose son logiciel à plus d’une soixantaine d’entreprises concurrentes », explique Christophe Chalvin.
Sur cette bonne lancée, le Lab Acorus a développé ensuite sa propre plateforme de centralisation des achats : Aco Shop. « Il s’agissait de créer une place de marché afin de donner plus d’autonomie et d’expertise aux salariés du groupe dans leurs achats. Nous avons donc créé un mini site d'e-commerce, où sont référencés nos 1000 fournisseurs. On y maitrise le référencement et apportons l’information adéquate afin de faire des salariés des acheteurs experts. »

Sensibiliser et processer
Comme pour tout outil numérique, ces logiciels n’auraient aucun intérêt si les salariés ne s’en emparaient pas. Même s’ils ont été élaborés à partir des besoins des professionnels d’Acorus, Christophe Chalvin précise qu’ « ils font l’objet d’une amélioration continue. On fonctionne étape par étape : nous développons une fonctionnalité au regard des retours du terrain, nous observons son usage par les salariés, puis si c’est probant, nous passons à la fonctionnalité suivante. »
Et pour rester proche des salariés, Acorus a mis en place une organisation dédiée au développement de ses outils numériques : « Nous avons une personne au Lab Acorus chargée de faire le lien avec les entreprises, mais nous avons aussi des coachs dans chacune d’elle. Ces derniers ont un rôle de référent et relayent les nouvelles fonctionnalités. Mais ils sont aussi porte-parole de leurs collègues, et font remonter les idées ou éventuels bug recensés », explique Christophe Chalvin.
Et certains développements numériques proviennent aussi des clients d’Acorus : « Les bailleurs sociaux nous demandent de plus en plus de nous connecter à leur plateforme numérique. Il s’agit de l’un des projets sur lequel nous travaillons. »
De fait, le Lab Acorus a de nombreuses fonctionnalités qui ne demandent qu'à être développées, « mais il faut savoir faire les bons choix en fonction des besoins les plus urgents. A quelques exceptions, je ne sais pas quelles seront les fonctionnalités développées après mars 2024 », dit en riant Christophe Chalvin.
L’intelligence artificielle (s’)apprend
Place à l’avenir du numérique : l’intelligence artificielle. Présentée comme une technologie qui va révolutionner le travail, le Lab Acorus s’y est naturellement intéressé et peut déjà présenter de nombreuses avancées.
L’équipe de Christophe Chalvin a d’abord vu du potentiel pour Aco Shop : « Avec plus de 100 000 articles, il faut que les techniciens, en interrogeant la base de données, trouve les bons résultats. Nous avons donc utilisé un modèle d’analyse du langage, une intelligence artificielle, afin de mieux référencer nos produits. » A présent, l’outil de recherche identifie mieux certaines caractéristiques, comme les couleurs et les matériaux, spécifiques au bâtiment.
Puis, le Lab Acorus s’est attaqué à un plus gros morceau, qui aura finalement finalement demandé 18 mois de travail : « 50 salariés passent leur journées à saisir les informations des bons de commande des clients : prix, quantité, numéro de téléphone, présence d’un gardien, etc. Une perte de temps auquel nous pension que l'IA pouvait remédier », détaille Christophe Chalvin. Avec l’entreprise belge spécialisée dans l’IA Sagacify, le Lab Acorus a donc fait analyser à une intelligence artificielle plus de 10 000 bons de commande, « mais nous avons rencontré des problèmes, admet le responsable. Les bons de commande évoluent et ont de subtilités qui peuvent induire en erreur l’intelligence artificielle. »
L'équipe de Christophe Chalvin a donc changé de fusil d'épaule, et rassemblé 1000 bons de commande bien identifiés pour nourrir l’IA. Cela a permis à cette dernière de développer un modèle permettant de pré-saisir les bons de commande avec précision. « Cette expérience représente bien ce qu’est le développement d’un outil numérique : on ne sait jamais combien de temps cela va prendre lorsque l’on commence », sourit Christophe Chalvin. Mais ce travail a payé puisque les salariés peuvent aujourd'hui consacrer le temps de pré-saisie des bons de commande à des tâches à plus haute valeur ajoutée.
Chat GPT comme allié
Enfin, toujours dans une logique de proximité de terrain, l’équipe du Lab Acorus a sondé ses salariés pour recenser des utilisateurs de ChatGPT : « On a fait émerger une dizaine d’utilisateurs et imaginé avec eux des cas d’usage. Par exemple, pour un devis de trois ou quatre pages, ChatGPT peut faire une synthèse structurée. Le logiciel ne fait pas à la place du salarié, mais permet à ce dernier d’aller plus vite et de se concentrer sur les parties complexes du devis. »
Le Lab Acorus, avec ses huit années d’expérience, ne compte pas s’arrêter là et a déjà de nombreux projets sur le feu. « En 2024, le poids carbone des produits référencés dans Aco Shop sera disponible, ce qui permettra aux professionnels de transmettre l’information à leurs clients. Nous allons aussi pousser des matériaux de réemploi sur la plateforme, et enfin nous cherchons à mieux analyser et utiliser les données que nous récoltons », explique Christophe Chalvin.
Mais ces développements ont un coût financier et humain : « Pour chaque développement lié à l’IA par exemple, il faut compter entre 30 000 et 50 000 euros. Et surtout, il faut accepter d’y consacrer du temps et que cela puisse être long. Cela demande beaucoup de persévérance. »