Le 8 décembre se réunit le comité régional de l’habitat et de l’hébergement (CRHH). Quelle est la situation en Paca ?
Malheureusement, elle s’aggrave. Compte tenu des résultats du bilan triennal 2020-2022, il est probable que les communes carencées ne respectant pas l’article 55 de la loi SRU [sur les obligations en matière de logements sociaux, NDLR] seront plus nombreuses : au dernier comptage, elles étaient 83 en Paca [sur un total de 280 en France, NDLR]. Dans notre région, l’objectif des 11 000 agréments ne sera pas atteint. Déjà, en 2022, ils étaient de 8 534 contre 8 838 en 2021. Cette baisse ne cesse de s’accentuer depuis 2019. Marseille n’a ainsi réalisé que 38 % des objectifs. En n’offrant pas un logement décent aux 200 000 ménages sans abri ou mal logés dans notre région, nous fragilisons le pacte républicain.
C’est particulièrement vrai dans les trois grandes métropoles qui concentrent une bonne partie des plus démunis et où l’offre de logements sociaux est insuffisante. Début 2022, ils représentaient 21 % du parc à Marseille, 17 % à Toulon, 14 % à Nice. De plus, dans notre région, 84 % sont produits en Vefa. Or, la promotion immobilière, en difficulté actuellement, peine à proposer des prix abordables aux bailleurs sociaux.
« Si elle était carencée, Marseille ne serait pas assujettie aux prélèvements prévus par la loi SRU »
La menace d’un arrêté de carence est-elle un moyen suffisant pour changer la donne ?
C’est un moyen nécessaire mais pas forcément suffisant. Je le répète : ce n’est pas une menace. C’est l’application de la loi qui prévoit qu’en dessous d’un taux de 25 % une commune peut faire l’objet d’un constat de carence et donc être assujettie aux conséquences de l’article 55 de la loi SRU, notamment en termes d’abaissement du seuil de mixité sociale - 12 logements ou 800 m² de surface de plancher -, d’exercice du droit de préemption ou de transfert de l’autorisation d’urbanisme sur des secteurs déterminés.
A la différence d’autres communes, Marseille est bénéficiaire de la dotation de solidarité. Par ailleurs, son taux de logement social est supérieur à 20 %. Si elle était carencée, Marseille ne serait pas assujettie aux prélèvements prévus par la loi SRU.
Lorsque le programme local de l’habitat (PLH) d’Aix-Marseille-Provence sera voté, d’ici la fin de l’année, et donc opposable, nous serons en mesure de d’examiner les contrats de mixité sociale, afin d’accompagner les communes dans leurs démarches. C’est vrai que la marche pour rattraper le retard est très haute. Mais en même temps, l’urgence est réelle. Ne pas avoir de toit pour sa famille, c’est la condamner à ne pas avoir le droit à une vie normale : à savoir, accéder à un emploi et élever ses enfants dans des conditions satisfaisantes.
« La panne de la production de logements compromet le traitement des copropriétés dégradées »
Il se murmure que l’Etat envisage de reprendre la main sur la délivrance des permis de construire à Marseille, notamment en étendant le périmètre de l’opération d’intérêt national (OIN) Euroméditerranée [depuis notre entretien avec Christophe Mirmand, Sabrina Agresti-Roubache, la secrétaire d’Etat chargée de la Citoyenneté et de la Ville, a annoncé une extension du périmètre de l’OIN, NDLR]. Qu’en est-il ?
Vu la situation d’urgence, toutes les solutions doivent être recherchées à la condition qu’elles soient réalistes et qu’elles permettent d’obtenir les résultats recherchés.
Même si l’OIN n’est pas sans subir les impacts de la situation économique, en termes de commercialisation, nous ne constatons pas de fléchissement sur les opérations d’ores et déjà engagées par les promoteurs.
Il faut voir les dispositions que ménagent les Codes de l’urbanisme et de l’aménagement pour trouver le moyen de débloquer ce qui a besoin de l’être et de relancer l’effort collectif de construction.
Par ailleurs, la panne de la production risque d’avoir un impact sur la rénovation urbaine qui prévoit, à Marseille, des opérations de démolition-reconstruction de 2 300 logements. Il y a urgence à engager la consommation des crédits. La programmation du NPNRU s’achève en 2026. D’ici cette échéance, il faut que nous ayons engagé les financements de l’Anru. A ce jour, le taux de consommation des 650 millions d’euros de subvention est très faible.
Ensuite, la panne de la production de logements compromet le traitement des copropriétés dégradées, en grand nombre à Marseille. Une Orcod-In a été annoncée par le ministre du Logement lors des Etats généraux du logement l’année dernière, puis, par le président de la République en juin dernier. Pour accélérer le processus, on pourrait également passer par une DUP-carence. Mais pour engager de telles opérations, il faut assurer le relogement. Or, aujourd’hui, dans les commissions d’attribution, on n’a pas suffisamment de logements à proposer le temps des opérations à tiroir.
Quelles autres solutions préconisez-vous ?
Peut-être faut-il en trouver des temporaires. Par exemple, nous pourrions recourir à des villages de logements provisoires en préfabriqués. Cette piste mérite d’être regardée. Elle permettrait de réaliser des opérations à tiroir et d’engager les travaux nécessaires.
Avec les préfets des cinq autres départements de Paca, vous avez décidé d’attribuer en priorité la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) ou la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) aux maires bâtisseurs pour leur permettre ainsi de financer les équipements publics qui vont de pair avec l’accueil de nouvelles populations. En quoi cela consiste-t-il ?
Effectivement. Certains maires m’objectaient qu’ils n’étaient pas en mesure d’accueillir de nouveaux habitants parce qu’ils n’avaient pas la capacité de réaliser les voiries, de construire une école ou encore d’aménager des services publics. J’ai donc considéré qu’il était logique de flécher en priorité les aides à l’investissement de l’Etat, qu’il s’agisse de la DTER, de la DSIL ou du Fonds verts, sur les communes volontaires. Leur dynamisme figure parmi les critères de priorisation des dossiers.
Une appréciation de l’engagement des communes sur la base de trois critères :
1. La dynamique de construction tous logements confondus en privilégiant les collectifs.
2. La dynamique de production de logements sociaux.
3. La propension de la commune à s’impliquer dans des démarches de contractualisation en faveur de la production de logements.
Cette démarche a vocation à être reproduite en 2024. Cela ne veut pas dire que j’exclus les communes carencées. Marseille, même si elle est en dessous du taux de 25 % de logements sociaux, a reçu de la DSIL. Encore une fois, il ne s’agit pas de stigmatiser. Il s’agit de faire en sorte que l’accompagnement et l’appui de l’Etat bénéficient à celles qui en ont plus besoin que d’autres.
« Le principe de sobriété foncière impose un changement de modèle d’aménagement »
Comment concilier production et sobriété foncière ?
Le principe de sobriété foncière impose un changement de modèle d’aménagement qui doit nous inciter à penser le développement des territoires sans artificialisation nouvelle des sols si elle n’est pas compensée.
Cette articulation entre développement territorial et gestion économe de l’espace est d’ailleurs au cœur de la dynamique que nous avons engagée avec une quinzaine de partenaires de Paca autour d’une feuille de route intitulée « Accompagner les territoires pour concilier développement et sobriété foncière ». Le 9 novembre, j’ai ainsi invité les maires et présidents d’EPCI [établissements publics de coopération intercommunale, NDLR] de la région Paca à débattre des enjeux qui les préoccupent le plus en posant plusieurs questions : quelles solutions pour le milieu rural et périurbain ? comment faire avec l’existant, etc. ? Ce séminaire a été l’occasion de leur présenter différents leviers en matière de méthodologie, d’ingénierie, de financements.
Existe-t-il des projets vertueux en Paca ?
Oui. Nous sommes justement en train d’élaborer une banque de projets qui mettra en avant des opérations vertueuses réalisées. Cela peut être des exemples de surélévation, d’opérations d’habitat dense individualisé, de l’acquisition-amélioration, du réinvestissement de friches, etc. L’objectif est de représenter toute la diversité des contextes et des modes de faire. Actuellement, 10 % des logements sociaux neufs sont produits en acquisition-amélioration. Nous encourageons cette pratique. Mais elle est coûteuse.
Aussi, j’ai décidé d’octroyer aux bailleurs sociaux des aides financières supplémentaires à celles de droit commun. Il s’agit d’un bonus compris entre 3 400 euros et 10 200 euros par logements. S’y ajoute une aide technique ciblée. Cela se traduit par un accompagnement pour réaliser un diagnostic du foncier disponible et des études de faisabilité. Nous travaillons ainsi avec les communes de Tarascon, dans les Bouches-du-Rhône, Pernes-les-Fontaines dans le Vaucluse.
« D’ici 2030, l’enjeu est de diviser l’artificialisation par deux »
En cours de révision de son Sraddet pour intégrer le ZAN, la région a demandé que ne soient pas comptés dans l’enveloppe régionale de consommation d’espaces agricoles et naturels des projets structurants tels ceux portés par le Grand port maritime de Marseille (GPMM). Qu’en est-il ?
Dans la région Paca, on a artificialisé 14 000 hectares au cours la dernière décennie. D’ici 2030, l’enjeu est de diviser la consommation par deux. Nous avons fait remonter les préoccupations des élus concernant les besoins de consommation foncière du GPMM qui risquaient de se retrouver en concurrence avec ceux de communes à l’horizon 2032-2035.
La nécessité d’une comptabilisation à part des enjeux nationaux afin qu’ils ne pèsent pas sur l’équilibre de l’artificialisation au niveau local a été entendue puisqu’un texte de loi a été porté sur le sujet par les sénateurs Jean-Baptiste Blanc et Valérie Létard. Il reste à le traduire dans les documents d’urbanisme.
Quand on met bout à bout tous les projets dans notre région, les besoins en foncier ne sont pas si importants. Le projet de Ligne nouvelle Provence-Côte d’Azur (LNPCA), par exemple, consomme peu d’espaces parce que pour l’essentiel, elle longe la ligne historique. Nous n’avons pas recensé de projets d’extension d’aéroports civils. Le pôle aéronautique prévu à Istres, dans les Bouches-du-Rhône, reste relativement modeste. Nous n’avons pas identifié de besoins supplémentaires pour Iter. Quant aux projets de centres pénitentiaires, ils consommeront au total une quarantaine d’hectares.
Que contient le volet mobilités du contrat de plan Etat-région en préparation, et que les deux acteurs s’engagent à abonder à hauteur de 337 millions d’euros chacun ?
Nous sommes encore en discussion. L’idéal serait de signer le document au premier trimestre 2024 sachant qu’il sera soumis à une évaluation environnementale et à une concertation avec le public.
Déjà, sont actés l’amélioration de la desserte du GPMM, le développement des mobilités douces et la priorité donnée au ferroviaire. Pour autant, l’Etat souhaite que soient pris en compte des projets routiers à l’ouest de l’étang de Berre. Les élus sont nombreux à pointer l’insuffisance de la desserte de la zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer et l’impact des nouveaux projets industriels, tels ceux de Carbon, Gravithy et H2V, qui vont entraîner des flux logistiques et donc des contraintes de circulation pour les habitants.
D’où les signaux positifs envoyés par l’Etat…
Oui. C’est la raison pour laquelle l’Etat est désireux de trouver le financement pour les études de la liaison routière Fos-Salon, dont il reste à déterminer le tracé, et la réalisation du contournement Martigues - Port-de-Bouc. Cette dernière opération peut démarrer rapidement car elle a été déclarée d’utilité publique.
L’amélioration de l’axe Sisteron-Grenoble et la rocade de Gap, dont la maîtrise d’ouvrage a été déléguée à la Ville, ont également vocation à être inscrites, d’autant que le président du conseil régional Renaud Muselier demande une amélioration significative des infrastructures de transport pour pouvoir accueillir dans de bonnes conditions les Jeux olympiques d’hiver de 2030 si la candidature des Alpes françaises est retenue.
« Il faut mettre en place les services express métropolitains régionaux »
Quels sont les projets ferroviaires prioritaires ?
Les discussions portent sur l’étoile de Veynes dans les Hautes-Alpes et l’axe Nice-Breil dans les Alpes-Maritimes. Là aussi, la région est attachée à leur amélioration dans la perspective des JO. Il faut aussi mettre en place les services express métropolitains régionaux, les Serm. Les réflexions portent sur le tronçon existant Aix-Marseille, la ligne de la Côte bleue qui permettrait de boucler complètement le pourtour de l’étang de Berre et la remise en service du trafic voyageurs de la ligne Aix-Rognac, dédiée au fret, afin de desservir le pôle d’activités des Milles à Aix-en-Provence. En attendant des travaux en lien avec la « diamétralisation » de la gare Saint-Charles à Marseille [consistant à la rendre traversante, NDLR], celle-ci pourrait supporter des véhicules légers. Cela constituerait l’amorce d’une armature ferroviaire métropolitaine.
Comment faire avancer tous ces projets ?
La région, la métropole Aix-Marseille-Provence et l’Etat en débattent au sein d’un comité de pilotage. Nous sommes dans une phase de réflexion partagée sur des questions d’infrastructure et de charges de fonctionnement. Il s’agit de regarder comment la modernisation du réseau existant et l’amélioration du cadencement peut amorcer les Serm. Nous devons cependant rapidement dégager un consensus et nous positionner afin de bénéficier des financements car d’autres collectivités en France ont bien avancé, notamment l’Alsace et les Hauts-de-France.