C'est un texte technique, long de 15 articles, qui a été mis en consultation publique jusqu'au 25 janvier par l'administration. Le projet d'arrêté « relatif aux obligations d'actions des consommations d'énergie finale dans les bâtiments à usage tertiaire » donne la méthodologie à suivre pour appliquer le fameux « décret tertiaire ». Il concerne toute superficie de plus de 1 000 m², ce qui représente 68 % du parc, soit 547,7 millions de m², selon l'étude d'impact réalisée. Il vise à réduire d'au moins 60 % la consommation d'énergie finale de ces immeubles en 2050 par rapport à une année de référence, choisie par les assujettis entre 2010 et 2019 (voir graphique p. 12).
Sa mise en ligne a fait couler beaucoup d'encre. Et cela, malgré la concertation jugée exemplaire par les professionnels. Lancée en février 2019, « elle a permis à chacun de faire intervenir des experts dans différents domaines (bureaux, commerces, hôtellerie, etc. ) », estime Anne Valachs, directrice générale (DG) du syndicat professionnel des entreprises de la transition énergétique et numérique (Serce). Mais, sur le fond, certains sont plus critiques. « Le risque, c'est que le texte soit lisible uniquement par des techniciens, et que les généralistes, comme les dirigeants d'entreprises [qui peuvent être propriétaire de leurs locaux, et donc être soumis aux obligations de rénovation, NDLR], ne s'approprient pas l'arrêté », craint Loïs Moulas, DG de l'Observatoire de l'immobilier durable (OID). « Au regard de la variété du patrimoine, de sa répartition géographique, de la multiplicité des usages… l'administration aurait difficilement pu faire plus simple », tempère Bruno Marotte, DG du bureau d'études Alteresco.
Deux autres arrêtés compléteront ce premier texte. Celui fixant les seuils de niveaux de consommation d'énergie finale exprimés en valeur absolue en métropole est promis pour le printemps 2020. Du moins, sur le papier. Selon nos informations, l'administration veut faire dans la dentelle, c'est-à-dire définir les seuils en fonction des activités (une supérette, une boulangerie, un entrepôt frigorifique… ) pour coller à la réalité du marché. Ce qui promet quelques passes d'armes. Le dernier arrêté portera sur la même thématique mais uniquement pour l'Outre-mer. En attendant la publication de ces textes, les assujettis veulent amender cinq dispositions du tout premier arrêté…
Des conditions de modulation trop strictes
Le texte prévoit d'assouplir les objectifs en cas de contraintes techniques, patrimoniales ou architecturales trop importantes, de temps de retour sur investissement trop longs, etc. Pour Franck Charton, délégué général de Perifem, association technique du commerce et de la distribution, ces conditions sont insuffisantes : « La question de la capacité de financement des travaux par l'assujetti a été éludée. » Autre sujet qui fait grincer des dents : le fait de devoir formuler ces demandes d'assouplissement dans les trois premières années de chaque période (2020-2030, 2030-2040, etc. ). Selon l'OID, qui demande la suppression de ce délai, « cette obligation encouragera les acteurs à consacrer davantage de ressources aux justificatifs ou aux études qu'aux travaux en eux-mêmes. Les propriétaires de patrimoine tertiaire diffus, moins armés que les foncières, n'auront pas les moyens de s'organiser. » De son côté, l'Association des directeurs immobiliers (ADI) entrevoit déjà les effets pervers de cette obligation. « Les bureaux d'études auront trop de travail durant trois ans, puis seront confrontés à un creux d'activité. Quand certains assujettis ne pourront tout simplement pas lancer les études, d'autres risquent de les obtenir bâclées. » Par ailleurs, les technologies évoluant vite, certains travaux pourraient devenir accessibles, rendant obsolète l'étude réalisée en début de période.
Le flou sur les qualifications requises
Pour moduler les obligations de rénovation, les assujettis devront commander des études menées par des « architectes, bureaux d'études, ingénieurs conseils, prestataires externes, personnel interne… », indique le texte. Ces derniers devront disposer de compétences « en énergétique du bâtiment ». Un terme assez vague. « Cette absence de qualification spécifique, sur un sujet pointu, pourrait dégrader la qualité du service rendu », redoute Aurélie Dauger, avocate-associée chez LPA-CGR Avocats. Et si l'administration voulait tout simplement laisser le marché se réguler ? « La rénovation du patrimoine des bailleurs sociaux a atteint sa vitesse de croisière, et celle du parc public démarre. Les entreprises dotées de compétences et de références auront un avantage sur les autres », juge Bruno Marotte, DG du BET Alteresco.
Propriétaire et locataire livrés à eux-mêmes
Améliorer la performance énergétique d'un immeuble nécessite d'intervenir sur la structure, à la main du propriétaire, et sur l'exploitation. Ici, le locataire est en première ligne. Or, le texte laisse les deux parties s'organiser entre elles. « Il met en avant deux outils intéressants : l'annexe environnementale, aussi appelée bail vert, et le contrat de performance énergétique (CPE), décrypte Olivier Ortega, avocat chez LexCity Avocats. Avec le bail vert, propriétaires et usagers s'accorderont sur la répartition des actions et des transmissions d'informations à Operat. Enfin, le CPE est un outil efficace pour garantir la performance énergétique d'un actif et les retours d'expériences montrent qu'il n'y a pas, ou presque, de contentieux. »
Une surenchère de notations
Le projet d'arrêté établit une nouvelle notation, nommée « éco énergie tertiaire », aux côtés des labels existants (HQE, Breeam… ), qui évalue la performance des immeubles. « Attention à ne pas entrer dans la surenchère de marques de qualité, qui peuvent brouiller le message, alerte Ludovic Chambe, directeur développement durable de CBRE. Il aurait été préférable de repenser le diagnostic de performance énergétique pour qu'il prenne en compte les actions mobilisées dans le cadre du décret tertiaire. »
Un biais en faveur de l'électricité
Le décret raisonne en énergie finale, ce qui favorise l'élec-2 plus avantageux que certaines énergies renouvelables (EnR). Résultat : il suffirait d'opérer un changement d'énergie vers l'électricité pour atteindre le premier objectif de 2030. Pour éviter cet effet pervers, l'Ademe propose d'introduire « un garde-fou de non-régression de la part de chaleur EnR en cas de changement d'énergie ».
