Le communiqué de la DGFiP du 15 octobre signifie-t-il bien l’abandon de la possibilité offerte aux entreprises de choisir entre une plateforme de dématérialisation partenaire privée et le portail public gratuit dans le cadre de la facturation électronique obligatoire entre entreprises ?
C'est parfaitement exact : la dématérialisation ne passera plus par une solution publique gratuite. C'est-à-dire que le périmètre d’action de l’Etat est recentré sur la mise à disposition de l’annuaire et du concentrateur de données. Et l'ensemble des entreprises assujetties seront obligées de se raccorder à l’une des plateformes de dématérialisation partenaires (PDP) qui, elles, sont des plateformes privées.
En quoi consistent l’annuaire et le concentrateur de données ?
L’annuaire, tenu par l’Etat, permettra à une entreprise A qui doit envoyer électroniquement sa facture depuis sa propre PDP à l’entreprise B, dès lors que celle-ci est assujettie à la TVA, de trouver à quel endroit la lui transmettre, c’est-à-dire concrètement sur quelle PDP. Puis la PDP émettrice va extraire de la facture certaines données à transmettre à l'administration fiscale, et les envoyer au concentrateur. Cet outil va ainsi récupérer les données de toutes les factures échangées entre entreprises assujetties.
Et que fera la DGFiP de toutes ces données ?
Cette remontée d’informations poursuit trois objectifs. Le premier, c'est de disposer d’une vision précise en temps réel de ce qui se passe pour adapter nos politiques économiques aux besoins des entreprises en fonction de leur secteur d'activité, de leur géographie, etc. Le deuxième, c'est d’améliorer la lutte contre la fraude fiscale en matière de TVA, à laquelle les entreprises sont très attachées puisqu’elle leur garantit une saine concurrence. Enfin, cela doit permettre le pré-remplissage de la déclaration de la TVA - comme cela se fait pour la déclaration de revenus - voire à terme d’automatiser complètement cette formalité.
Pourquoi ce choix de supprimer le portail public gratuit pour les factures BtoB ?
C’est un arbitrage clair qui a été fait pour tenir le calendrier fixé. Pour cela, il fallait resserrer les moyens de l'État sur ce qu’il est le seul à pouvoir faire : l’annuaire et le concentrateur. Et on a vu s'organiser un marché très actif des plateformes partenaires, qui pourra répondre aux besoins de toutes les entreprises, dans tous les secteurs et quelle que soit leur taille, même pour les toutes petites et les autoentrepreneurs. La meilleure solution pour la préservation de l'équilibre de la réforme en termes de coût, de délai et de qualité du service rendu était donc de retirer le portail public du dispositif.
Ce qu'il faut retenir pour les entreprises, c'est qu'elles doivent, avant septembre 2026, choisir une plateforme qui réponde à leurs besoins.
Calendrier de l'obligation de facturation électronique en BtoB
- Au 1er septembre 2026 : toutes les entreprises doivent pouvoir réceptionner des factures dématérialisées et les grandes entreprises et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) ont l’obligation d’émettre des factures dématérialisées
- Au 1er septembre 2027 : les petites et moyennes entreprises ainsi que les microentreprises doivent émettre des factures dématérialisées
article 91 de la loi de finances pour 2024 (n° 2023-1322 du 29 décembre 2023)
Combien de plateformes ont été immatriculées ?
Nous avons déjà immatriculé 75 PDP sous réserve des tests de raccordement qui établiront leur capacité à bien dialoguer avec l’annuaire, le concentrateur et les autres PDP. D’autres dossiers continuent d’arriver : d'ici septembre 2026, on pourrait compter une centaine de PDP. Cette offre cache d'énormes diversités de services associés, car certaines plateformes permettent aussi de générer la facture, sont intégrées à des logiciels de facturation ou même à des logiciels de gestion pour les TPE/PME.
Avez-vous chiffré le coût pour les entreprises du passage à la dématérialisation obligatoire dans ces conditions ?
Il est difficile de répondre de façon générale, la situation sera différente pour chaque entreprise. Et si l’on aborde le sujet de façon globale, la facture électronique coûte en toutes hypothèses moins cher que le prix d'un timbre. Pour une société qui dématérialisait déjà ses factures, il peut peut-être y avoir un surcoût, à examiner au cas par cas. Mais celles qui utilisaient des factures papier feront de toute façon des économies, même en passant par des PDP qui n’affichent pas d’offre gratuite. Enfin, sur l’ensemble du processus, il y a de vrais gains associés à la facturation électronique qui viennent très souvent plus que compenser les coûts immédiats qu'il peut y avoir pour se mettre en conformité. C’est d’ailleurs l’une des motivations de la réforme.
Certaines PDP vont donc proposer des offres gratuites ?
Nous n’avons pas vocation à organiser le marché, mais certains acteurs ont en effet annoncé des offres gratuites. Certains le proposeront pour de petits volumes de factures par exemple. D’autres feront du freemium, c’est-à-dire présenteront une brique gratuite intégrée à une offre plus large d’édition de facture, de relance, de logiciel de gestion, etc.
Le BTP en plein doute
Selon le baromètre 2024 de Sopra Steria Next et Kolecto, réalisé par Ipsos et dévoilé ce 27 novembre, 71 % des entreprises du BTP considéraient en 2023 la réforme de la facturation électronique comme bénéfique. En 2024, elles ne sont plus que 43 %. « Cela met en évidence un réel déficit d’information dans ce secteur : 67 % des entreprises déclarent ne pas bien comprendre le contenu de la réforme, contre 51 % en 2023 ».
Dans le détail, le baromètre révèle que « seules 17 % des entreprises de la construction estiment que la facturation électronique pourrait les aider à mieux piloter leur activité commerciale en offrant une vision plus claire de leurs relations clients-fournisseurs. Et 24 % considèrent que les services de cash-management associés pourraient améliorer la gestion de leur trésorerie ».
Pour les entreprises qui travaillent aussi avec le secteur public et sont habituées à Chorus Pro, cela générera tout de même de la complexité, avec deux circuits différents…
Il faudra voir ce qui va se passer, mais il est évident pour tout le monde que les PDP vont avoir un rôle de simplification. La plupart de celles avec qui nous échangeons souhaitent pouvoir faire le tri elles-mêmes dans les factures remises par les entreprises entre celles qui doivent partir sur Chorus pro parce que le client est public, et celles qui doivent transiter entre PDP parce que le client est privé. Ce sont des sujets sur lesquels on travaille avec les opérateurs, dans le cadre de la réflexion autour de l'interopérabilité. L’Etat sera peut-être être obligé aussi d'adapter un peu Chorus Pro pour permettre cette simplification.
Echangez-vous avec le secteur du BTP, pour lequel la facturation est un sujet particulièrement complexe ?
Il y a en effet des spécificités liées aux marchés de travaux. A présent que les arbitrages sont faits pour le déploiement de la réforme, nous reprenons les contacts avec les fédérations professionnelles et avons bientôt rendez-vous avec celles du BTP.
Quel conseil donner aux entreprises pour se préparer à l’échéance de 2026 ?
Ne pas trop attendre. Le plus tôt elles passeront à la dématérialisation, le mieux ce sera ! Tout d’abord, parce qu’il y aura un véritable gain pour elles. Et puis parce qu’il vaut mieux anticiper : plus on peut lisser l’effort, mieux elles se porteront, et nous aussi.
Ce n'est pas tout à fait possible encore aujourd'hui puisque l'annuaire sera disponible pour les PDP au tout début du deuxième trimestre 2025. Mais il faut s’y mettre en 2025. Les entreprises vont bientôt recevoir de nombreuses sollicitations commerciales. La vraie première question à se poser pour y faire face, c'est de bien connaître son circuit de facturation.
Il n'y aura pas de décalage du calendrier, comme certains le demandent ?
Non. L'arbitrage est très clair. Reste maintenant à accompagner. Il y a notamment dans chaque département un référent pour la facturation électronique, qui peut guider les acteurs locaux. Nous ferons courant 2025 une communication visant à donner aux entreprises des clés pour choisir efficacement leur PDP en fonction de leurs propres enjeux. Et nous exhortons les opérateurs à homogénéiser le plus possible la présentation de leurs offres.
La suppression du portail public gratuit pour la facturation BtoB n’est pas encore actée dans les textes…
En effet, il y a une modification législative à effectuer. Nous voulons prendre le temps, donc cela se fera à l’automne 2025 avec la loi de finances pour 2026. Mais l’idée est que les évolutions soient claires pour tout l’écosystème bien avant, pour qu’il n’y ait pas de débat au moment de l’entrée en vigueur de la réforme. Au final, beaucoup de choses ne changent pas : les formats d’échange, les données, le calendrier…