Bousculé par les confinements successifs de 2020 et 2021, le marché hôtelier français pourrait bien faire le plein cet été, dans la lignée d'une année 2022 marquée par un taux d'occupation de 59,8 %, non loin de la moyenne de 2019 (62,4 %), selon la société d'études économiques pour l'hôtellerie Coach Omnium. Côté investissements, le secteur pourrait aussi se rapprocher cette année de son niveau de 2019 (2,65 Mds €), selon BNP Paribas Real Estate.
Mais les marges des exploitants, de 14,3 % en 2022 selon Xerfi, sont menacées par la hausse des factures énergétiques, des loyers, des salaires, sur fond de pénurie de main-d'œuvre… Les grands groupes peinent à se financer en Bourse, et les promoteurs, à trouver des acquéreurs. « Il y a un risque de ralentissement des travaux car ceux-ci supposent des fonds propres, que tous les acteurs n'ont pas, et un endettement qui se heurte à la remontée des taux d'intérêt », note Vincent Desruelles, directeur de la dernière étude de Xerfi sur le secteur. Sans compter que l'activité hôtelière est toujours perçue comme risquée. « En un an, l'apport demandé par les banques est passé de 30 % à 50 %, voire 60 %, du montant total pour financer un nouvel hôtel », estime Mark Watkins, dirigeant de Coach Omnium.
Une chambre de 16 m². La France a perdu 870 établissements depuis 2019. En cause : ces exploitants, en majorité des indépendants, qui mettent la clé sous la porte. « Les hôtels qui disparaissent génèrent des travaux. Repris, ils sont rénovés ou transformés en hébergement privé », remarque Mark Watkins. Et Vincent Desruelles d'ajouter : « Sous le seuil de 50 chambres, les candidats à la cession seront moins courtisés car moins rentables. » En effet, plus l'hôtel à reprendre est petit, moins il offre de possibilités en termes de diversification : séminaires, coworking…
Initiée avant la pandémie, l'hybridation des mètres carrés suppose de réduire la taille des chambres au profit des espaces communs pour se divertir et travailler. « En 4 étoiles, leur superficie moyenne est de 16 m², contre 20 à 24 m² en 2010. Dans les 3 et 4 étoiles, les surfaces dites publiques représentent environ 30 % du bâtiment, contre 15 % avant le Covid », indique Jean-Luc Guermonprez, directeur du département hôtellerie de Vinci Immobilier, dont les six opérations en cours pour le compte d'investisseurs riment avec hybridation.
Les nouveaux projets d'Appart'City, eux, accordent jusqu'à trois fois plus de place au bar, à la restauration rapide, aux zones adaptées au coworking… par rapport à il y a quinze ans. « Nos services généraux sont ouverts sur la ville pour accélérer le retour sur investissement », confie Vincent Compagnon, président de ce spécialiste des apparts-hôtels urbains. La clientèle externe devrait ainsi représenter 80 % du chiffre d'affaires de son nouvel établissement parisien qui ouvrira mi-juillet. Mais attention, les espaces de travail partagés restent parfois vides. « Pour être rentable, il faut donc séduire les clients externes. Les clients hébergés, eux, ne paieront pas en plus de leur chambre. Or, louer des espaces de coworking coûte souvent trop cher dans les hôtels car il existe nombre de concurrents bien meilleur marché, dont des cafés », soulève Mark Watkins.
Des baies vitrées pour attirer les passants. Pour générer de nouvelles recettes, plusieurs pratiques ont cours. Dans l'ancien, le hall de réception peut se transformer en bar pour les clients de l'hôtel mais aussi pour les riverains. Dans le neuf, les baies vitrées en rez-de-chaussée sont privilégiées pour donner envie aux passants de prendre un café. Cette quête de transparence répond à « la volonté des autorités locales d'ouvrir les hôtels pour qu'ils contribuent au dynamisme du quartier », souligne Katell Bourgeois, directrice de l'hospitality en France de la société de conseil Cushman & Wakefield.
La tendance est également au « rooftop instagramable », dixit Katell Bourgeois. Dans l'existant, les toits-terrasses gravillonnés sont remaniés pour accueillir du public, avec ajout de garde-corps, issues de secours et cuisine-relais. Sur le point d'ouvrir son dixième établissement français à Dijon (Côte-d'Or), la chaîne Mama Shelter se distingue par « des chambres minimalistes dans les étages qui attirent moins que le resto-bar très sympathique », observe Mark Watkins. A chacun son produit d'appel…
L'hybridation permet enfin de lutter contre les effets de la saisonnalité. Le gestionnaire Villages Clubs du Soleil adapte ainsi ses salles d'activités pour enfants aux séminaires, de Sainte-Maxime (Var) à Souston (Landes). Un choix qui permet aussi d'allonger les durées de séjour. « La montée en puissance de la clientèle qui vient à la fois pour les affaires et les loisirs nous a permis de gagner un jour de réservation par rapport à 2019 », témoigne Xavier O'Quin, président d'Edgar Suites. Depuis 2018, toutes ses « suites urbaines » d'environ 50 m² sont dotées d'un bureau fibré et s'adressent à une clientèle aisée. En milieu de gamme, les investissements réalisés visent à se démarquer. « Les chaînes commencent à personnaliser la décoration et posent un bardage sur les façades pour cacher le béton. Mais la conception des nouveaux hôtels reste standardisée pour des raisons de coûts », illustre Mark Watkins. Quitte à décloisonner la salle de bains afin d'optimiser les mètres carrés privatifs.