Incitation ou obligation : le projet de loi Climat déchaîne les passions

Avant même son passage en Conseil des ministres annoncé pour le 10 février, le projet de loi Climat divise, sur les deux points clés pour les secteurs de l’aménagement et de la construction : l’éradication des passoires thermiques et la réduction de l’artificialisation des sols. La priorité à l’incitation laisse la convention citoyenne sur sa faim. Le caractère systématique suscite l’inquiétude de professionnels et de collectivités.

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Les inspirateurs de la loi Climat ne retrouvent pas leurs ambitions dans l’avant-projet diffusé par les services du Premier ministre. Pour autant, l’architecte urbaniste nantais William Aucant, référent de la convention dans l’aménagement et la construction, n’affecte pas la surprise : « L’ancien ministre Nicolas Hulot nous avait prévenus : le ministère de la Transition écologique propose, et deux conseils des ministres plus tard, Bercy ou Matignon évacuent »…

L’architecte urbaniste concède tout de même une vraie satisfaction : la prise en compte de sa proposition sur la réversibilité des bâtiments, cruciale selon lui pour ouvrir la voie vers la reconversion de bureaux en logements.

Militants mobilisés

Aux côtés de la convention citoyenne, les militants de l’éradication des passoires thermiques fourbissent leur argumentaire, dans la perspective du débat parlementaire : « Le président Macron n’a pas complètement fermé la porte à l’obligation de rénover. On n’y arrivera pas d’un claquement de doigts, comme l’a montré l’interdiction de location des passoires thermiques, finalement obtenue à force d’y revenir depuis des années », souligne Manuel Domergue, directeur des études à la fondation Abbé Pierre.

Acteur majeur de l’accompagnement des copropriétés précaires, Soliha identifie un grand absent du projet de loi : « L’enjeu social nous semble oublié », dénonce Cécile Guérin-Delaunay, responsable du pôle réhabilitation. Cette lacune lui paraît d’autant plus préjudiciable que l’augmentation des exigences provoque une hausse du reste à charge que les primes ne couvrent pas totalement.

Halte au cloisonnement !

Compétent dans le seul domaine de la rénovation énergétique de l'habitat, le nouveau service public intercommunal institué par la loi alimente son diagnostic de cloisonnement entre les défis sociaux et climatiques. Elle y ajoute le problème de confiance posé par l’actualisation des modes de calcul de performance : « La notion de classe énergétique a constitué un repère stable. Sa remise en cause sape la faible confiance des ménages et risque de rendre les évaluations illisibles », alerte Cécile Guérin-Delaunay.

Le Collectif Rénovons, auquel participent la fondation Abbé Pierre et la fédération Soliha, rejoint cette dernière dans la mise en évidence de complexités inutiles qui cachent des ambitions révisées à la baisse : « Au regard du choix de l’incitation préférée à l’obligation, le dispositif d’aide reste partiel, lacunaire et mal orienté. Les objectifs de performance ne conditionnent pas l’accès aux certificats d’économie d’énergie et au dispositif Ma Prim’Rénov », regrette Danyel Dubreuil, porte-parole du collectif qui a popularisé l’expression « passoire thermique » à l’occasion de la campagne présidentielle de 2017.

Montée en compétence

Certes, le lien entre les aides et le recours aux instances de conseil va dans le bon sens, mais cette petite avancée ne se situe pas au niveau d’accélération attendu par Rénovons. Faute de mieux, ses militants concentreront leurs efforts sur l’attractivité maximale des aides. « Dans l’immédiat, nous chercherons à créer le cadre d’une discussion avec des élus de tous bords pour proposer des amendements qui restaureraient les proposition initiales de la convention », ajoute Danyel Dubreuil.

Le collectif souhaite ramener la formation des professionnels dans ce débat : « On nous répond que ce n’est pas du domaine de cette loi, alors que tout repose sur la qualité de l’offre », soupire le porte-parole...

Concurrence sur l'assistance

D’accord sur la nécessité d’une montée en compétence des artisans du bâtiment, le leader de la distribution des certificats d’économie d’énergie Primesénergie.fr identifie un maillon clé à l’amont des opérations : « Une assistance à maîtrise d’ouvrage rémunérée et apte à coordonner les corps de métier qui ne savent pas se parler entre eux », développe le P-DG Nicolas Moulin.

Satisfait de l’extension récente de Ma Prim’Rénov aux copropriétés, Nicolas Moulin s’inquiète des effets d’aubaine qui, à la faveur de la loi Climat, pourraient inciter les professionnels du diagnostic immobilier à se diversifier vers l’assistance à maîtrise d’ouvrage : « L’AMO doit être impartiale, et s’appuyer sur les compétences de thermiciens aptes à s’engager sur des performances énergétiques ».

Boom des diagnostics

En face, Ex’Im, un des leaders du diagnostic immobilier, se tient prêt à relever le défi de la montée en compétence induite par le diagnostic technique global, imposée par le projet de loi à l’amont des plans pluriannuels des travaux dans les copropriétés : « Nous allons vers l’institution d’un véritable carnet de santé des bâtiments. Notre filière propose aujourd’hui plus d’un millier de postes qui ouvrent des carrières dans un marché pérenne et réglementé », précise son P-DG Yannick Ainouche, également administrateur de la chambre syndicale des diagnostiqueurs rattachés à la Fédération nationale de l’immobilier.

Les différences de points de vue renvoient au débat entre incitation et obligation. L’heure de la contrainte n’a pas encore sonné, aux yeux du patron de Primesenergie.fr : « Certaines copropriétés pourront se lancer, d’autres non. Faciliter, oui, mais tout faire tout de suite, ce n’est pas toujours adapté. Il faut éviter les freins psychologiques, et admettre qu’une copropriété ne vote que des travaux d’isolation, sans l’obliger immédiatement au changement de chaudière », estime Nicolas Moulin.

Trous dans la raquette

Trop rapide ou trop lent ? Le débat sur l’éradication des passoires thermiques se prolonge sur le front de l’artificialisation des sols. « Pour nous, il s’agissait de stopper définitivement les zones commerciales, y compris les drive et le e-commerce avec ses entrepôts logistiques », rappelle William Aucant.

L’architecte urbaniste de la convention citoyenne pour le climat estime par ailleurs que les rédacteurs du projet de loi ont laissé un gros trou dans leur raquette : les plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUi) ne couvrent de loin pas tout le territoire métropolitain.

Rigidité planificatrice

« Le parlement n’est pas prêt à franchir ce cap », juge de son côté Philippe Schmit, secrétaire général de l’association des communautés de France (AdCF), placées en première ligne par l’avant-projet de loi : le texte oblige les établissements publics de coopération intercommunale à actualiser chaque année un rapport sur l’artificialisation des sols.

Engagé depuis plus de  20 ans dans toutes les étapes de la montée en puissance de l’intercommunalité, Philippe Schmit ne voit pas dans la planification la meilleure entrée : « La sobriété foncière, c’est d’abord une question de culture partagée entre toutes les parties prenantes, y compris l’Etat, les régions et les départements ».

Pour l’AdCF, les futurs contrats de relance et de transition énergétique constitueraient un cadre approprié à la recherche de la synthèse entre deux injonctions contradictoires : construire des logements et stopper l’artificialisation des sols.

Double sanction

Le procès contre la rigidité de l’approche planificatrice s’ajoute aux craintes d’une application mécanique et systématique de l’objectif d’une division par deux de la consommation d’espaces, d’ici 2030 : « Cela implique une double sanction, pour les territoires qui ont déjà redoublé d’efforts. Nombre d’entre eux sont allés jusqu’au rétrozonage de leurs espaces urbanisés, quitte à affronter la fronde des propriétaires frustrés dans leurs espoirs de valorisation foncière », rappelle Philippe Schmit.

Les échéances posées par le projet de loi, pour l’actualisation des PLUi et des schémas de cohérence territoriale, approfondissent le fossé entre l’Etat et les intercommunalités : « Il faudrait tout remettre sur le métier, quelques mois après la finalisation de nombreux PLUi, et au moment même où la loi de finance interdit la récupération de la TVA pour l’élaboration des documents d’urbanisme », s’insurge le secrétaire général de l’AdCF.

Marges de manœuvre

A l’objection de la rigidité, Matignon oppose la marge de manœuvre compatible avec l’objectif global : « Des modulations sont possibles à toutes les mailles infrarégionales, jusqu’au PLU. Les débats à venir pourront aussi porter sur une modulation interrégionale », indique l’entourage du Premier ministre Jean Castex.

Pour montrer la puissance de ses ambitions, le gouvernement invite à élargir l’analyse au-delà du seul projet issu de la convention citoyenne : « il s’ajoute à la loi d’orientation sur les mobilités, à France Relance, à la loi Energie. Les travaux de fonds de ces quatre dernières années nous placent bien sur la trajectoire européenne de réduction de notre empreinte carbone. L’enjeu, c’est l’entrée de la transition écologique dans la société », martèle Matignon…

L’élargissement du raisonnement ne fait pas oublier l’étude d’impact officielle du projet de loi : le texte ne permettrait que de « sécuriser l’atteinte d’entre la moitié et les deux tiers du chemin à parcourir entre les émissions en 2019 et la cible en 2030, soit une réduction de 112 MtCO2eq/an ».

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