Tribune

Justice environnementale: ce qui attend les entreprises

Le Sénat a adopté, le 3 mars 2020, le projet de loi « relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée ». Parmi ses objectifs : la réparation plus efficace des atteintes à l’environnement. Pour y parvenir, le texte entend créer des juridictions dédiées et une convention judiciaire écologique. Philippe Goossens et Gildas Robert, avocats en droit pénal des affaires (cabinet Altana) présentent le dispositif… qui soulève quelques questions quant à l’articulation de ce texte avec les mesures issues de la loi Pacte de mai 2019.

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Autorité environnementale
Justice environnementale : ce qui attend les entreprises

Les préoccupations de la société civile autour de l’environnement en particulier et de la politique RSE des entreprises en général sont de plus en plus marquées, un collectif d’ONG regroupées sous le nom de « l’Affaire du Siècle » ayant même engagé fin 2018 une procédure en responsabilité contre l’Etat pour inaction climatique.

Actuellement de nature civile ou administrative, ce type d’actions en matière environnementale pourrait connaître un accroissement sur le plan pénal à l’encontre des entreprises qui seraient mises en cause dans ce domaine. Le gouvernement a en effet dévoilé un projet de loi « relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée », que le Sénat a adopté le 3 mars 2020.

La volonté affichée est claire : améliorer et augmenter la répression des atteintes à l’environnement là où les délais de traitement sont aujourd’hui considérés comme trop longs, et les réponses, pas nécessairement adaptées – notamment s’agissant de la réparation des préjudices causés.

Mieux prévenir et réparer les atteintes à l’environnement

Ce projet de loi fait suite au rapport rendu en octobre 2019 par le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), qui a formulé de nombreuses propositions pour « mieux prévenir, sanctionner et réparer les atteintes à l’environnement », parmi lesquelles la création d’un référé judiciaire spécial, l’augmentation des pouvoirs de police judiciaire des inspecteurs de l’environnement, un durcissement des incriminations avec notamment la création d’un délit d’atteinte grave ou de mise en péril de l’environnement, ou encore l’application effective de peines complémentaires telle que l’exclusion des marchés publics.

De ce rapport, le projet de loi ne retient finalement que deux recommandations : la création d’une juridiction spécialisée dans chaque cour d’appel pour les infractions environnementales les plus graves et complexes et la création d’une convention judiciaire écologique.

Des juges dédiés à certaines atteintes à l’environnement

S’agissant de la création de pôles régionaux spécialisés, le rapport de mission proposait, de manière originale, la création de juridictions pour l’environnement qui auraient eu à traiter, avec des magistrats spécialisés en la matière, le contentieux tant pénal que civil.

Le projet de loi, lui, ne traite que du volet pénal. Il prévoit, dans un nouvel article 706-2-3 du Code pénal, que pour « les affaires qui apparaîtraient complexes, en raison notamment de leur technicité, de l’importance du préjudice ou du ressort géographique sur lequel elles s’étendent », sera désigné compétent l’un des tribunaux judiciaires du ressort de la cour d’appel pour l’enquête, la poursuite, l’instruction et le jugement des délits « prévus par le Code de l’environnement ». Il ne s’agit pas à proprement parler de la création de pôles auxquels seraient réservées toutes les problématiques pénales pour l’environnement, puisque les chambres correctionnelles des tribunaux judiciaires resteraient compétentes pour traiter des contentieux plus courants et moins complexes.

Cette nouvelle juridiction spécialisée ne serait d’ailleurs apparemment compétente que pour les délits prévus au Code de l’environnement, non ceux prévus au Code forestier, au Code rural ou encore au Code minier.

Enfin, le projet de loi prévoit que cette juridiction ait une compétence concurrente à celle des juridictions de droit commun ainsi qu’à celle des pôles de santé publique de Paris et Marseille (art.706-2 du Code de procédure pénale). Par conséquent, ces juridictions n’auront semble-t-il pas vocation à concentrer l’intégralité des contentieux environnementaux sur le plan pénal, mais davantage à traiter des affaires graves et/ou complexes nécessitant des connaissances approfondies en la matière.

Avec quels moyens ?

La création de ces pôles régionaux spécialisés en matière d’atteintes à l’environnement ne sera significative qu’à la condition de s’en donner les moyens tant humains (avec des formations adaptées et un programme de carrières spécifiques) que financiers, notamment pour les services d’enquête.

Une justice négociée

L’autre mesure de ce projet de loi dite « justice pour l’environnement », qui s’avère plus originale, concerne une extension – encore une – de la justice négociée au contentieux pénal, avec la création d’un nouveau type de convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) en matière d’environnement, codifiée à l’article 41-1-3 du Code de procédure pénale.

Calquée sur la CJIP existant en matière de corruption, elle sera réservée aux personnes morales pour les délits prévus au Code de l’environnement et les infractions connexes, et permettrait d’envisager des solutions négociées au-delà des possibilités offertes jusque-là par la transaction pénale de l’article L.173-12 du Code de l’environnement, pour les contraventions et délits de faible gravité.

Ainsi, la convention pourra imposer le paiement d’une amende « fixée de manière proportionnée, notamment, le cas échéant, au regard des avantages tirés des manquements constatés dans la limite de 30 % du chiffre d’affaires moyen annuel calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date du constat de ces manquements ». A noter que le chiffrage des avantages financiers qui seraient tirés des manquements en matière environnementale peut apparaître comme une notion quelque peu floue à ce stade.

La convention devra en outre être publiée sur les sites du ministère de la Justice et de celui chargé de l'Environnement, ainsi que sur celui de la commune sur le territoire de laquelle l’infraction est commise, ce qui impliquerait des enjeux de réputation parfois délicats.

Programme de conformité

Surtout, cette CJIP environnementale mettra l’accent sur les aspects réparateurs pour l’environnement, avec la possibilité d’obliger la personne morale concernée, dans un délai maximal de trois ans, de régulariser sa situation au moyen d’un programme de conformité sous le contrôle des services compétents du ministère chargé de l’environnement et/ou de réparer le préjudice écologique résultant des infractions commises.

Outre la problématique liée à la formation et à la disponibilité des personnels de l’Etat dédiés au contrôle de ces CJIP environnementales, on peut craindre des difficultés d’élaboration des programmes de conformité ainsi envisagés : rappelons à cet égard que la mise en place de la CJIP en matière de lutte contre la corruption faisait partie intégrante d’un dispositif beaucoup plus large prévu par la loi Sapin II (article 17) qui comprenait l’obligation de cartographier les risques et plus généralement de réfléchir aux dispositifs anticorruption. Lesquels ont d’ailleurs donné lieu à une abondante doctrine pour mieux guider les entreprises qui manquaient d’informations pour répondre à ces enjeux. Or, en matière de conformité environnementale, la plupart des entreprises ne disposent pas encore d’une vision aussi précise que ce qui serait attendu d’elles en matière de corruption.

Paradoxe

En outre, il y a certainement, plus globalement, quelque chose de paradoxal à annoncer dans le même projet de loi le développement d’un arsenal répressif plus poussé en matière environnementale et la possibilité de recourir à des solutions pénales négociées plus larges qu’auparavant, sous l’égide du Parquet.

Au-delà de ces dispositions, l’on peut s’interroger sur l’articulation d’un tel texte avec l’injonction faite aux entreprises de prendre en compte les problématiques environnementales dans le cadre de l’exercice de leurs activités. Rappelons en effet que depuis la loi Pacte du 22 mai 2019, l’article 1833 du Code civil comporte un second alinéa aux termes duquel « la société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Les entreprises quelle que soit leur taille, doivent donc dorénavant analyser et gérer leur impact environnemental et plus globalement social. Cette modification s’inscrit dans le prolongement de ce qui est déjà attendu de certaines d'entre elles d’une taille significative soit sur le plan du devoir de vigilance, soit sur le plan du reporting extra-financier.

Lier protection de l'environnement et compétitivité

Objectif naturellement louable dont personne ne semble discuter le caractère indispensable et urgent, relevons toutefois qu’en exigeant des entreprises de se fixer des objectifs plus précis en la matière, on les expose également à davantage de risques au titre du non-respect de ces objectifs, dont on connaît la complexité et parfois l’impossibilité de les atteindre à court ou même à moyen terme. Dans ce contexte, il reviendra à chaque entreprise de fixer ses objectifs de manière certes ambitieuse, mais réaliste, au risque que ces objectifs soient retournés contre elle en cas de procédure pénale environnementale, et de se voir ainsi rapidement confrontée malgré elle au nouveau dispositif de justice pour l’environnement que le gouvernement entend mettre en œuvre.

Enfin, s’il ne fait pas de doute que la protection de l’environnement est un enjeu essentiel, instaurer une protection à l’échelon seulement national a-t-il un sens lorsque l’on sait par exemple que la pollution des océans par les plastiques n’émane principalement pas de la France ou de l’Europe ? Ne faudrait-il pas plutôt avoir le courage de traiter cette question sur un plan international, ce qui permettrait de mettre toutes les entreprises sur un plan d’égalité face à cet impératif sans risque de créer de distorsion sur le plan de la compétitivité ?

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