Bordeaux aura connu trois maires depuis 1947. Le temps long est-il nécessaire pour transformer une ville ?
Assurément, l’urbanisme demande du temps long. Il en demande même de plus en plus, compte tenu de la complexité croissante des procédures, des études préalables, des recours contentieux. Sans oublier les exigences naturelles de la concertation et de la coconstruction avec la population. Il faut au minimum dix ans pour construire un pont. L’urbanisme nécessite une vision à long terme même si, en phase de réalisation, on aimerait parfois aller plus vite.
« Le tramway a reconquis les espaces publics de la ville et a amorcé sa transformation profonde. Il a été une réussite totale. »
Vous avez commencé votre action de maire par le tram. Pourquoi ?
En 1995, l’agglomération ne s’était pas dotée d’un système de transport moderne. Elle était en retard de dix ou quinze ans par rapport à d’autres, comme celle de Nantes. Mon premier acte de maire a été à la réalisation d’un tramway. C’est lui qui a permis de reconquérir les espaces publics et d’amorcer la transformation profonde de la ville. Il a également créé un cordon ombilical avec les communes de la rive droite, alors que le métro ne serait pas monté immédiatement sur les coteaux de Garonne. Le tramway a été un facteur déclenchant, une réussite totale.
Cette conquête de la rive droite se poursuit. Quel équilibre entre les deux rives visez-vous ?
L’objectif est d’accompagner le développement de l’agglomération, mais aussi de la ville de Bordeaux, aussi bien sur la rive gauche que sur la droite. Il y a une très forte attente des communes de la rive droite, qui continuent à croire qu’elles sont un peu en retard, avec à mon avis une certaine injustice. Le plan rail est un élément important de cette reconquête de la rive droite. Aujourd’hui, il est possible d’aller en train de Bassens à la gare Saint-Jean en dix minutes. Sauf qu’il n’y a un train que toutes les demi-heures ! Nous souhaitons réactiver ce que nous avons appelé un « métropolitrain ». Malheureusement, la SNCF traîne les pieds. Cette rive droite porte également des projets d’aménagement considérables ! Brazza et Bastide Niel ont démarré, suivis de Belvédère sur le secteur Garonne Eiffel. Au total, ce sont plusieurs milliers de logements qui permettront le développement de cette zone.
Quel regard portez-vous sur les nouvelles solutions de transport, comme le drone ou le téléphérique ?
Il faut étudier leur capacité d’emport. Nous venons de signer avec la région et la commission européenne l’appel à projets Urban Mobility sur le développement des drones pour le transport des marchandises et des personnes. Cela se trouve en cohérence avec notre volonté de réduire la part de la voiture dans les déplacements en ville, déjà passée en quelques années de plus de 60 % à moins de 50 %. Il faut encore aller plus loin. Les téléphériques, les drones, voire le métro, pourquoi pas ? Je crois surtout que nous devons nous diriger vers les véhicules électriques – tous les bus vont y basculer – et vers davantage d’usage collectif, comme l’autopartage et le covoiturage.
« Nous allons continuer à nous développer à un rythme maîtrisé, en tenant compte des besoins en loge logement ment et de la densification. »
Avec une croissance démographique continue, comment concilier votre priorité de maintenir la qualité de vie avec la densité ?
Nous nous trouvons devant une équation à trois paramètres. Premièrement nous voulons stopper l’étalement urbain, dont cette agglomération a été la caricature pendant trente ans. Au cours du XXe siècle, Bordeaux s’est vidée d’un bon tiers de ses habitants, partis pour une maison à la campagne avec jardin et piscine. Avec, pour résultat, le mitage des espaces naturels. Nous avons donc inscrit dans le schéma de cohérence territoriale (Scot) la protection des 50 % du territoire métropolitain occupés par les espaces viticoles, agricoles, sylvicoles, zones humides, etc. Deuxièmement, nous avons des besoins en logement, liés à notre croissance démographique. Les 90 000 voire 95 000 étudiants, en particulier, se trouvent en situation de pénurie grave. Troisièmement, la densification. Or, cela soulève deux objections : celle des habitants : « pas dans mon jardin », et celle des maires : « pas d’argent pour les nouveaux équipements publics ». Nous allons donc continuer à nous développer, mais à un rythme maîtrisé. Le nombre n’est pas un objectif en soi.

La population bordelaise déplore une hausse des prix. Or, en construisant, on limite la rareté, non ?
Effectivement, nous ne sommes pas à l’abri d’une contradiction : ne pas trop construire tout en baissant les prix. Or, la loi de l’offre et de la demande est à peu près incontournable : si, compte tenu des besoins, nous voulons éviter un envol des prix, il faut naturellement construire. Il n’est pas question de s’arrêter. En plus des grandes opérations de Bordeaux, le programme des 50 000 logements situés essentiellement le long des corridors du tramway se développe. 10 000 logements sont entrés en phase opérationnelle. Nous allons continuer en faisant de la pédagogie, en expliquant, en concertant et en tenant compte des remarques. 90 % des habitants du quartier Ginko se disent contents d’y habiter. Mais 68 % témoignent de malfaçons. C’est la responsabilité des entreprises, qui rencontrent des difficultés à recruter, et la qualité s’en ressent. Désormais, les promoteurs qui signent notre charte du bien-construire peuvent bénéficier d’un label. Mais il peut être retiré à l’occasion d’une visite d’évaluation dans l’année qui suit la livraison.
Les experts, architectes ou urbanistes proposent et vous, l’élu, vous décidez. Les professionnels sont-ils susceptibles de vous faire changer d’avis ?
Oui bien sûr ! Le meilleur exemple pour moi a été l’aménagement des quais avec Michel Corajoud. Une véritable cogestion s’est installée entre lui et moi. Nous avons cheminé ensemble, depuis l’appel d’offres jusqu’à la réalisation. Nous nous retrouvions fréquemment, par exemple pour choisir la couleur des dalles. Je me souviens également d’un débat sans fin sur le garde-corps le long des quais. Cette osmose entre le politique et l’urbaniste-architecte a été une des clefs de la réussite de l’opération. Je crois beaucoup à ce dialogue.
« Les habitants ont une conscience métropolitaine. Le tramway, la construction de logements ou les espaces verts y participent. »
Certaines opérations provisoires ou expérimentales se révèlent parfois contradictoires avec le plan prévu. Comment l’élu local peut-il penser l’impensable ?
En prenant des risques parfois, en tâtonnant, en expérimentant. Un exemple, c’est le pont de pierre. Un jour, je me trouvais dans un embouteillage sur le pont de pierre et je me suis dit : « Et si on interdisait la circulation automobile individuelle ? ». J’ai lancé cette idée. Ensuite, on a initié une expérience de quelques mois. Il a fallu convaincre les collègues, les techniciens. Les premiers temps étaient mitigés : les commerçants de la rive droite rouspétaient. J’ai renouvelé l’expérience une première, une deuxième fois. Puis j’ai décidé de la pérenniser. En définitive, il y a de milliers de piétons et de vélos, des bus et des trams sur le pont. L’opération a été extrêmement positive, y compris sur le plan de la qualité de l’air. S’il y avait eu une bronca généralisée, nous serions revenus en arrière.
Quelle place accorder à la nature dans les métropoles ? Doit-elle être disséminée dans la ville ou concentrée l’intérieur de « poumons verts » ?
Les deux ! Nous avons besoin de grands espaces naturels. Les quais sont des espaces fortement arborés, et ce, des deux côtés de la Garonne, car nous avons plusieurs dizaines d’hectares de nature sur la rive droite. Ces poumons verts, comme le jardin public ou le parc bordelais, sont indispensables. Mais je perçois aujourd’hui une demande d’espaces de proximité. Cela se traduit par un arbre planté à un carrefour, avec une petite place protégée de la circulation, un banc, la végétalisation des certaines rues… J’ai dû convaincre les services municipaux de faire des trous dans les trottoirs, pour permettre aux gens de faire pousser des roses trémières le long de leur façade. Une demande extrêmement forte existe pour aller plus loin.
A l’heure de la métropolisation, quelle est la bonne échelle pour penser la ville ?
Je pense que ça y est : les habitants se sentent métropolitains. Ils se disent toujours de Pessac, de Villenave-d’Ornon ou de Bordeaux, mais il existe désormais une conscience métropolitaine. Les habitants savent que le tramway, la construction de logement ou les espaces verts, c’est la métropole. Nous avons commandé un sondage à l’Ifop auprès de 8 000 habitants de la métropole. A la question : « D’une manière générale êtes-vous satisfait ou pas de vivre dans la métropole bordelaise ? » 90 % se disent satisfaits. Et 86 % répondent que Bordeaux aura beaucoup changé en 2050. La question est de savoir si ce sera en mieux. Désormais, c’est la question de l’articulation entre la métropole et le département qui est posée. Personnellement, je pense qu’il y aurait une logique à aller plus loin dans l’intégration.