Les confinements ont dopé l'e-commerce, et donc le besoin de nouveaux entrepôts. A tel point que la demande placée (louée et vendue à l'occupant) au premier trimestre 2022 a flirté avec les 800 000 m² signés selon la société de conseil JLL, un volume supérieur de 25 % à la moyenne décennale. De quoi booster a priori le lancement de nouveaux programmes… sauf que l'immobilier logistique se trouve aujourd'hui dans une position inconfortable à cause de sa dépendance à l'acier, dont le prix flambe sur fond de guerre en Ukraine.
« Les coûts de construction dans le secteur ont augmenté de 20 à 25 % entre décembre et mi-mars, et il ne s'agit que d'une fourchette basse, constate François-Régis de Causans, directeur de l'investissement industriel et logistique de CBRE France. En Roumanie, un contractant a vu ces coûts bondir de 400 €/m² à 650 €/m² pour un entrepôt. Il passe désormais par la Grèce et la Turquie pour se fournir en isolants et produits en acier, en provenance - avant le conflit - de Russie et d'Ukraine. » Comme à chaque coup dur, des comportements spéculatifs sont suspectés. « Des négociants gardent des stocks, certains exportateurs d'acier asiatiques triplent leurs marges », estime-t-il. En Europe, des développeurs imaginent louer des surfaces pour stocker des matériaux. Si aucun n'a encore franchi le pas, cette stratégie « ne pourrait que faire augmenter les prix », alerte le responsable.
Prix actualisés. En France, des projets sont retardés de plusieurs mois. « Une partie du chantier d'un entrepôt de 40 000 m² est stoppée. Le promoteur n'est pas pressé, car il n'a pas encore trouvé de locataire », confie Gabriel Franc, directeur général de Groupe Franc Architectures. Trois des 30 chantiers du contractant général GSE sont ralentis par les pénuries, de bacs acier notamment. Les travaux sont aussi freinés par des problèmes économiques. « Les entreprises qui n'entrent pas dans leurs budgets cherchent désespérément des fournisseurs moins chers, remarque Olivier Barge, directeur des projets et de l'innovation du fonds américain Prologis en Europe du Sud. Non seulement elles les trouvent rarement, mais en plus elles prennent beaucoup de retard et s'exposent à des pénalités. C'est la double peine… » Le manque de visibilité a convaincu GSE de réviser ses marchés, hors marges et frais généraux. Concrètement ? « Je signe aujourd'hui et dans cinq mois ou plus, quand les plus gros achats seront sécurisés, on actualisera », explique Manuel Sanna, directeur technique. Une perspective qui n'enchante guère ses clients investisseurs. « Les constructeurs sont en position de force, constate Olivier Parizot, directeur France de Mountpark.
Nous serons obligés de nous adapter car il faut malgré tout sortir les bâtiments. » Sont concernés deux projets de 120 000 m² et 110 000 m² à lancer sur son unique terrain de jeu français, l'Eure-et-Loir. « Notre principal défi est de répercuter sur le loyer les hausses du coût de construction qu'on anticipe mais qu'on ne connaît pas, dans un contexte général d'augmentation des loyers », insiste Olivier Parizot. Est prévu d'ici à juin prochain le lancement d'un seul des deux appels d'offres, car s'engager simultanément sur deux entrepôts XXL semble trop risqué.
Hybridation des matériaux. L'inquiétude porte aussi sur les projets en cours, qui sont revus avec le client pour trouver des alternatives à l'acier. « Le mouvement était déjà engagé chez les promoteurs au nom de la stratégie bas carbone, observe Cédric Nicard, directeur du développement durable de CBRE France. La guerre en Ukraine a un effet d'accélérateur. Hybrider bois et métal n'est plus un sacrilège comme il y a dix ans, mais un élément différenciant et un moyen de maîtriser les coûts. » Lionel Jehoulet, directeur des opérations de Mountpark France, ne partage pas cet avis : « Le marché n'est pas préparé à l'hybridation, qui n'a été poussée ni par la R & D ni par la réglementation, et préfère les matériaux éprouvés comme le béton armé et l'acier. Ceci dit, si la tendance haussière se poursuit, des évolutions pourraient apparaître, comme l'emploi accru des produits recyclés et du ciment bas carbone. Le bois est aussi une alternative, mais il est touché par la pénurie, et il faudra du temps pour reconstituer les stocks. » Pour l'heure, les marges de manœuvre restent limitées. « Sur les parcs d'activités et les messageries, le bardage bois peut remplacer l'acier, car le coût d'une gamme de matériaux supérieure est absorbable sur des petites surfaces. En revanche, il est impossible de massifier le bardage bois sur des entrepôts de 50 000 m² car cela suppose plus d'investissement et une hausse du coût d'entretien », analyse Cédric Nicard, de CBRE. Autre frein : la hauteur libre. « Une charpente bois est plus épaisse de 60 à 70 cm par rapport à une charpente métallique », pose Gabriel Franc, de Groupe Franc Architectures. Concrètement, la palette la plus haute peut ne pas passer. Or, qui dit modification des dimensions du bâtiment dit permis de construire modificatif, synonyme de délai supplémentaire voire de hausse du coût de construction.
Solutions alternatives. Groupe Franc Architectures a trouvé un plan B que son client, futur utilisateur d'un bâtiment de 6 000 m² en Seine-et-Marne, a accepté. « Les charpentes qui auraient dû être métalliques seront finalement en béton. Cette solution, bien qu'étant du sur-mesure et incluant du métal, revient aujourd'hui 15 à 20 % moins cher que l'acier », estime Gabriel Franc. Quant au dallage, l'alternative pourrait être le revêtement percolé, à base de bitume notamment. « Cela suppose un recours au pétrole dont le prix augmente, donc ce n'est pas non plus l'idéal. Par ailleurs, ces enrobés sont perçus comme bas de gamme par les investisseurs. Les sensibiliser demande du temps. Or, la crise actuelle se gère dans l'urgence », relève Olivier Barge, de Prologis.
Les problèmes rencontrés en France sont toutefois à relativiser. « En Pologne où nous sommes très présents, des Ukrainiens employés sur les chantiers se sont engagés du jour au lendemain dans l'armée pour défendre leur pays, raconte Salvi Cals, directeur général en France du développeur américain Panattoni. Les projets sont au ralenti faute de matériaux mais aussi de main-d'œuvre. »