Depuis la construction des grandes villes romaines, et jusqu'à l'époque récente de démolition des remparts, la ville n'a cessé de se renouveler sur elle-même. Elle s'est ensuite répandue sur tous les espaces urbanisables par juxtapositions successives, sans véritable souci de composition globale. La plupart des grands ensembles, coupés de la continuité urbaine à l'origine, font maintenant souvent partie de centralités secondaires.
La mutation actuelle de reconstruction-recomposition de la ville sur elle-même est indispensable, tant au niveau du fonctionnement social et physique de la ville, de ses mutations économiques, que de l'obsolescence d'une partie du parc de logements sociaux. Mais cela ne fait pas partie de nos pratiques habituelles, et force est de constater que nous ne savons pas répondre aujourd'hui positivement à ce travail d'évolution fondamental de l'espace urbain. Car cette démarche doit se développer dans une société démocratique. Nous devons, en conséquence, mobiliser toutes les énergies pour relever ce défi qui sera essentiel pour le devenir de la ville dans les deux ou trois décennies à venir.
Trois pistes de réflexions
Dans l'urgence de la préparation des dossiers devant être déposés à l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, trois pistes de réflexions me semblent fondamentales pour développer les projets :
1 - La démolition (maintenant la déconstruction) fait partie de la transformation de la ville, et il peut y avoir dans cette décision des raisons multiples (surdensité, vacance, vieillissement d'éléments de la construction, ...). Il faut, par contre, se méfier de la dérive consistant à substituer le refus de démolir érigé en tabou que nous avons connu jusqu'en 2000 environ, par une démolition de principe comme cela s'est pratiqué sur certaines parties de centres historiques dans les années 70. L'émotion partagée et la mobilisation qui en découlent contre la démolition des logements construits par Jean Renaudie à Villetaneuse expriment cette inquiétude.
La démolition est un acte complexe, lourd financièrement, difficile au niveau humain pour les familles concernées. Entre conservation à tout prix et démolition totale, il doit y avoir le lieu du projet.
2 - Le projet nécessite la connaissance de la géographie et de l'histoire des lieux concernés. Comment savoir où l'on va si l'on ne sait pas d'où l'on vient ? Or, dans les projets développés il y a trente ans, on a presque systématiquement perdu la cohérence de composition et des fonctions projetées à l'origine, et les désordres constatés aujourd'hui en constituent l'une des causes principales. Il faut donc établir un cahier des charges de qualité, retenir des équipes de maîtrise d'oeuvre compétentes, les installer dans le temps nécessaire, ce qui aujourd'hui est contractuellement quasi impossible, installer les instances administratives et politiques qui vont régulièrement valider une stratégie de projet qui doit distinguer les quelques éléments invariants qui en assurent la base structurelle dans ses objectifs de maillage, d'espaces publics, d'épannelage,... et qui laissent pour le reste une grande liberté d'accueil, pour des programmes que l'on ne peut imaginer aujourd'hui.
3 - Le temps est évidemment indissociable du projet. Renouveler demande beaucoup plus de temps que construire (déplacement des habitants, opérations tiroirs...) et cela pose quatre questions principales :
- ces projets sont beaucoup plus longs que tous les mandats électifs ou administratifs (3 à 6 ans). Or, les équipes privées que nous sommes constituent trop souvent à elles seules la mémoire du projet au bout de quelques années ;
- il faut inscrire au plus tôt physiquement les invariants dans le site afin de limiter les risques de perte de cohérence ;
- il faut s'engager sur des phasages qui intègrent de façon simultanée le court, le moyen et le long terme. Les temps longs ne doivent jamais bloquer les interventions à court terme, cela est fondamental dans des quartiers où les habitants se sentent parfois délaissés par les collectivités et les maîtres d'ouvrage depuis des années ;
- il faut intégrer l'information et la concertation des habitants le plus en amont possible dans un ensemble de règles sans ambiguïté sur le pouvoir décisionnel de chacun.
Le "guichet unique", objet de tous les espoirs actuels, est important ; c'est un progrès qui va dans le sens de la transversalité des moyens, de l'efficacité dans la mise en place des objectifs... Il n'aura de sens que si les réflexions préalables porteuses du projet ont été parallèlement développées et si l'ensemble des objectifs poursuivis peut s'inscrire dans un cadre juridique et financier qui lui corresponde.
L'enjeu est fondamental pour l'avenir de nos villes. Sachons nous mobiliser pour participer à la mise en place des moyens intellectuels, juridiques et financiers qui vont permettre de faire face à cette aventure urbaine et humaine sans précédent.
*Bernard Paris est architecte-urbaniste, architecte-conseil du ministère de l'Equipement pour le département du Nord. Il travaille sur des grands ensembles à Vaulx-en-Velin (Rhône), Vallauris (Alpes-Maritimes) et Montbéliard (Doubs).
Ce point de vue a été publié dans la rubrique Horizons du Moniteur du 9 avril 2004