Interview

« Le contrat de plan était une réponse à la dispersion des compétences », Alain Rousset, président de la région Nouvelle-Aquitaine

Avec l’arrivée du nouveau préfet Etienne Guyot, l’Etat poursuit la mise en forme du prochain contrat de Plan Etat-région, le CPER 2021-2027, déjà largement avancé. Le président de la région Nouvelle-Aquitaine, Alain Rousset détaille les avancées, les points arrêtés et les incertitudes qui demeurent.

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Alain Rousset, président de la région Nouvelle-Aquitaine, faisant le point sur le contrat de plan Etat-région (CPER) 2021-2027, évoque les résultats spectaculaires de la mise en place de la géothermie couplée à une pompe à chaleur dans une première dizaine de lycées.

Vous évoquez cette année « le budget le plus difficile à boucler qu’il m’ait été donné de faire ». Que change le CPER sur votre visibilité budgétaire ?

Il y a d’abord la conjoncture : les fortes hausses de la facture énergétique et des matériaux nous impactent sur le timing de construction des lycées, sans compter le chauffage des établissements existants, le coût de circulation de 5 000 bus scolaires par jour, la circulation des TER. En gros, cela représente plus de 150 millions d’euros de surcoût, qu’on aurait pu utiliser à accélérer les travaux dans les lycées ou améliorer les services des TER.

Ensuite, il y a un problème de visibilité sur nos recettes. Ces dix dernières années, les régions ont obtenu que les dotations de l’Etat, qui étaient trop souvent rabotées, soient remplacées par des points de CVAE [cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, NDLR]. Cela pourrait être très positif, parce que notre région est adossée sur une fiscalité dynamique. Quand le gouvernement actuel a supprimé la CVAE [substituée à la taxe professionnelle, NDLR], qui pour nous était extrêmement dynamique compte tenu de l’attractivité industrielle et économique de la région, il l’a remplacé par deux points de TVA. Qui sont des points de recettes plutôt positifs en terme budgétaires.

« La stratégie de recentralisation de l’Etat est insupportable »

C’est donc plus sur la méthode que vous exprimez un désaccord ?

Aujourd’hui nous retrouvons une stratégie de l’Etat de recentralisation insupportable. En substance, l’Etat nous dit : « Je lance des projets et je ne les exécute que si et uniquement si la région met un euro pour un euro ». Le tout est géré par d’autres organisations, notamment et en l’occurrence la BPI.

Par exemple, nous sommes aujourd’hui dans une discussion extrêmement difficile parce que la SNCF affiche des niveaux d’augmentation d’électricité absolument déments, scandaleux. L’Etat rogne d’un côté et remet de l’argent de l’autre. Cette stratégie est insupportable parce qu’une collectivité territoriale qui investit beaucoup, pour acheter des trains, renoncer au diesel pour les bus de transport scolaire, pour préparer la construction d’un lycée, d’un CFA, etc., le programme cinq ans à l’avance ! Cette conception de l’action publique est rétrograde, conservatrice et extrêmement déficiente.

Qu’en est-il des conventions signées hors CPER et de votre politique de mobilités ?

Vous évoquez, non le CPER, mais la convention que j’ai passée il y a deux ans avec Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’Etat aux Transports, qui était liée au plan de relance, et qui courait au-delà de 2022. Nous avons signé alors un contrat de 1,6 milliard d’euros portant sur la rénovation sur 10 ans des lignes de dessertes fines du territoire : la région apporte 900 millions d’euros hors compétence et hors ressources dédiées, et l’Etat abonde à hauteur de 600 ou 700 millions d’euros.

Quant au volet mobilités lui-même, qui n’est pas dans le CPER, le mandat aux préfets de région n’a pas encore été transmis, je suppose qu’il y a des négociations en cours à Paris. Pour l’instant, nous attendons les propositions de l’Etat sur les infrastructures ferroviaires, les routes, qui sont de sa compétence. Mais nous avançons : j’ai donné mon feu vert immédiatement au démarrage des travaux liés au désenclavement de Limoges, sur la RN147 Limoges-Poitiers, et la RN141 Limoges-Angoulême. Pour que les travaux démarrent enfin, la région va avancer le financement de 47 millions d’euros, sur un montant total estimé à 125 millions d’euros pour l’Etat.

« GPSO : on fait d’abord Toulouse, puis Dax. Cela n’est pas possible, ni acceptable »

L’arrivée du préfet Guyot, coordonnateur de GPSO, est-elle un bon signe pour vous ?

En ce qui concerne l’arrivée du nouveau préfet, avec qui je travaille depuis deux ans, en grande confiance, lorsqu’il était en Occitanie, c’est bien entendu sur le GPSO que nous allons avancer en concomitance avec la ligne Bordeaux-Toulouse et la ligne vers Dax. Le Conseil d’orientation des infrastructures vient de dire dans son dernier rapport : « On fait d’abord Toulouse, puis Dax ». Cela n’est pas possible, ni acceptable pour nous. Pour la partie Aquitaine, il s’agit de faire en sorte que le GPSO aille jusqu’à l’Espagne. Pour plusieurs raisons, la pollution du trafic routier de transit sur l’A63, et surtout la saturation du rail : l’absence de nouveaux sillons va poser un problème très vite : si on n’a pas une deuxième ligne ferrée [pour la LGV, NDLR], on ne pourra pas faire de report modal du fret qui traverse la région. Ce qui est une exigence écologique essentielle. Nous aurons matière à discuter avec le préfet Guyot sur cette seconde ligne GPSO vers Dax, car sans elle, pas de crédits européens, puisque la liaison vers Toulouse en est exclue.

La région mise beaucoup sur l’enseignement supérieur et la recherche ?

Pour ce secteur clé, nous maintenons nos engagements. Mais attention, le CPER ne renferme pas tous les projets de recherche de la région : en plus du contrat de Plan, qui n’est pas encore signé, nous avons beaucoup de projets portés sur le seul budget régional. A ce stade de la discussion, nous sommes à 110,3 millions d’euros d’intervention pour l’Etat et 247 millions d’euros pour la région. Mais nous avons beaucoup d’autres projets, notamment le doublement de l’école des techniques biomédicales ENSTBB à Talence, les écoles d’ingénieurs à Limoges, Pau, La Rochelle, Poitiers. Des écoles nouvelles, comme l’Estaca, école d’ingénieurs sous contrat sur le ferroviaire, le spatial, l’aéronautique, la mobilité, et une école à Poitiers sur le numérique et la mobilité (Esigelec). On va doubler le Cesi à Pau, Nous allons également prévu de créer une école vétérinaire publique à Limoges, et doubler les locaux de l’Inria à Bordeaux.

La transition écologique est-elle un nouvel élément du CPER ?

Pour l’Etat, c’est peut-être nouveau, pas pour nous. Cela fait 12 ans que nous avons lancé Néo Terra, une feuille de route destinée à accélérer la transition écologique et énergétique. D’ailleurs, nous travaillons depuis 12 ans avec plus de 400 scientifiques, qui ont élaboré deux séries de documents : AcclimaTerra avec Hervé Le Treut (comité scientifique régional sur le changement climatique, sur les conséquences du réchauffement climatique dans la région, et donc quelles adaptations par rapport à ce réchauffement climatique. Avec Néo Terra, nous anticipons, orientons et conditionnons nos politiques vers la transition écologique et énergétique. Le second axe de cette recherche scientifique, c’est la biodiversité, Ecobiose avec Vincent Bretagnolle.

Ces deux conseils scientifiques nous aident à arbitrer les dossiers que l’on doit retenir. Cela concerne toutes nos compétences, l’accompagnement d’une transition de l’agriculture vers l’agro-écologie, avec des ateliers démonstrateurs dans les lycées agricoles. Ensuite, comment décarbone-t-on l’industrie, l’économie ? Comment baisse-t-on les quantités d’intrants, la consommation d’électricité, comment substitue-t-on au pétrole et au gaz ? C’est tout le modèle économique qui est à revoir.

« Zéro dégagement de GES et une note énergétique divisée par trois »

Vous avez déjà entamé en interne certaines actions en ce sens ?

Oui, en tant que maître d’ouvrage de nos lycées, dans leur construction ou leur rénovation, nous basculons une partie en géothermie, couplée à une pompe à chaleur. Sur la première dizaine de lycée où la géothermie se substitue au gaz, le retour d’expérience est assez spectaculaire : zéro dégagement de GES et une note énergétique divisée par trois. Avec des conditions de vie et travail en été et hiver extraordinaires puisque la PAC fonctionne dans les deux sens.

Quel soutien apportez-vous au RER métropolitain ?

Il est lancé, il existe déjà depuis des années [rires, NDLR] ! On travaille depuis une dizaine d’années avec la métropole sur le RER. Cela suppose des travaux auxquels l’Etat pourrait participer, qui sont d’ailleurs cohérents avec la voie de la LGV en sortie sud de Bordeaux. L’idée première, c’est de monter en cadence les trains entre le Médoc, Libourne-Arcachon et Langon-Saint-Mariens, pour faire en sorte qu’ils ne se garent plus à Bordeaux, où ils encombrent les voies. Et cela permet par exemple à un étudiant de la rive droite, de Cenon ou de Libourne, d’aller directement sur le campus universitaire par Pessac [sans passer par Bordeaux, NDLR].

Où en sont vos discussions avec les départements et les agglomérations sur l’aménagement du territoire régional ?

Il est évident que le premier besoin actuel, c’est une République vraiment décentralisée, avec une spécialisation des compétences, que nos citoyens sachent qui fait quoi. Pas avec des compétences qui peuvent se chevaucher. On voit bien la complexité qu’il y a à négocier sur le ferroviaire ou dans d’autres domaines. On s’entend bien avec les services déconcentrés, mais c’est quelque chose qui ne marche pas. Alors que les débats nationaux sont focalisés sur les relations entre exécutif et Parlement, la durée des mandats, etc., pour moi, la VIe République, c’est la République décentralisée, celle que voulait le Général de Gaulle en 1969. Et le CPER n’est là que pour abouter, c’est l’invention de Michel Rocard, des compétences qui sont encore au milieu du gué.

« Il y a un acteur qui tient sa parole, c’est la région, un acteur qui ne tient pas la sienne, c’est l’Etat »

Le CPER devient-il le principal levier d’action publique de la région ?

Il l’est depuis le début, c’était une réponse à la dispersion des compétences. Mais il est évident que les régions, singulièrement la région Nouvelle-Aquitaine assume sa feuille de route : on est parfois à 110 ou 120 % de réalisation alors que l’Etat, dans le dernier CPER par exemple, était à 60 %. C’est pour cela qu’il l’a compensé avec le plan de relance. Il y a un acteur qui tient sa parole, c’est la région, un acteur qui ne tient pas la sienne, c’est l’Etat. Depuis les premiers CPER, il a toujours fallu que l’Etat demande une année ou deux années supplémentaires, mais c’est une visibilité indispensable pour les acteurs économiques, universitaires et les collectivités territoriales par rapport aux projets et notamment les infrastructures.

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