Un peu trop expert pour être libre ? Marc Papinutti maîtrise parfaitement les sujets d’infrastructures, c'est indéniable. Nommé en mai dernier président de la Commission nationale du débat public (CNDP), il possède une connaissance exhaustive des questions de transports qui lui confèreront à n’en pas douter un regard affûté sur les décisions et les avis à rendre sur des dossiers, parfois très techniques. Sauf que sa connaissance intime des projets susceptibles de passer entre les mains de sa nouvelle maison, acquise au fil de sa brillante carrière, pourrait paradoxalement lui lier les mains.
Cet ingénieur des ponts, des eaux et des forêts a fait toute sa carrière dans l’administration, et travaillé sur les sujets liés aux transports. Au point de diriger Voies navigable de France (VNF) à partir de 2010, puis la société du Canal Seine-Nord-Europe en 2017 juste avant de rejoindre Elisabeth Borne, alors ministre des Transports. En 2022, c’est le cabinet de Christophe Béchu qu’il intègre, au ministère de la Transition écologique.
L'opposition des sénateurs
Au vu d'une telle proximité avec la décision politique, il était évident que la question des conflits d’intérêt surgirait au moment de sa nomination. C’est d’ailleurs notamment en raison de risques pour l’indépendance de l’organisme que les sénateurs ont rejeté sa candidature à la suite de son audition, sans pour autant parvenir à la bloquer. Ils mettaient en avant l’indispensable crédibilité dont doit se prévaloir l’autorité indépendante pour mener à bien sa mission. « La CNDP ne semble pas, aujourd’hui, avoir la capacité d’organiser des débats apaisés sur les projets sur lesquels elle est saisie », notait ainsi le rapporteur (LR) Bruno Rojouan.
Passée de justesse entre les fourches caudines des parlementaires, la nomination de Marc Papinutti devait s’accompagner de précisions relatives aux cas où ses précédentes fonctions pouvaient conduire à des conflits d’intérêt, à savoir « toute situation d'interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif d'une fonction », indique l’article 2 de la loi relative à la transparence de la vie publique. Dans ces situations, précise ce même article, « les membres des collèges d'une autorité administrative indépendante ou d'une autorité publique indépendante s'abstiennent de siéger ou, le cas échéant, de délibérer. »
Deux décisions pour prévenir les conflits d'intérêt
La loi demande donc aux décideurs de se « déporter » de décisions qui pourraient semer le doute. Compte tenu du parcours de Marc Papinutti, ces cas de déport s’annoncent nombreux, comme l’indique une décision du 26 juillet publiée au JO du 5 août. De manière générale, il devra se passer de participer à l'examen « de tout projet, plan, ou programme dont est saisie la Commission nationale du débat public s'il en a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions antérieures au cours des trois dernières années ». Cette décision précise, en particulier, qu’il devra se déporter pour :
- tout projet, plan ou politique publique rentrant dans le champ de compétence de la CNDP et portant sur les sujets de transport et mobilité relevant de la compétence de l'Etat ;
- tout projet présenté par la Société du Grand Paris ou par la Solideo ;
- les dossiers ayant fait l'objet d'une saisine par le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires pendant l'exercice de ses fonctions au sein de son cabinet.
Un bref coup d’œil au rapport d’activité de la CNDP pour 2022 laisse augurer un nombre conséquent de déports à venir pour le président. Les projets d’aménagement de routes nationales ou de nœuds ferroviaire devraient donc échapper au regard du président, tout comme certains dossiers relatifs aux énergies renouvelables, dans lesquels le ministère de la Transition écologique cosigne des saisines avec celui de la Transition énergétique.
D’ores et déjà, une petite dizaine de dossiers ont été identifiés comme générateurs de conflits d’intérêts. Dans ces situations, l'un ou l'autre des vice-présidents de la CNDP (Ilaria Casillo et Floran Augagneur) remplacera le président, prévoit une seconde décision du 26 juillet.
Les cas de déports du président de la CNDP déjà identifiés
- la révision des quatre volets stratégiques des documents stratégiques des façades maritimes et les cartographies relatives au développement de l'éolien en mer de ces façades maritimes ;
- l’aménagement à 2 × 2 voies de la RN13 entre Evreux et Chaufour-lès-Bonnières ;
- le passage à 2 × 3 voies de l'autoroute A63 au Sud de Bordeaux et de réaménagement de l'A660.
- la création d'une boucle multimodale d'accès aux deux rives de la vallée de la Dordogne au cœur du triangle d'or : Les Milandes – Castelnaud La Chapelle – Marqueysac – Beynac ;
- l’aménagement de l'autoroute A46 Sud à 2 × 3 voies et du nœud de Manissieux ;
- l’aménagement du complexe de Bellevue sur la RN844 Périphérique de Nantes ;
- la construction d'une autoroute à péage entre Poitiers et Limoges ;
- la mise à 2 × 2 voies de la RN2 entre Laon et Avesnes-sur-Helpe ;
- la mise à 2 × 2 voies de la RN42 entre Narbringhen et Bullescamps.