La priorité donnée au réemploi des matériaux, défini comme « toute opération par laquelle des substances, matières ou produits qui ne sont pas des déchets sont utilisés de nouveau pour un usage identique à celui pour lequel ils avaient été conçus » (), se traduit par divers moyens d'action. Ainsi, côté secteur public, la relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire impose à l'Etat, aux collectivités territoriales et à leurs groupements « dès que cela est possible » de privilégier dans les marchés publics les biens issus du réemploi (art. 55) ; ou de faire en sorte, à l'horizon 2021, que leurs achats annuels intègrent entre 20 % et 100 % de biens issus du réemploi, de la réutilisation ou du recyclage selon les produits (art. 58). Elle introduit par ailleurs cette notion de réemploi au nombre des objectifs que poursuit la commande publique (art. 59). Mais le secteur privé est appelé également à s'engager dans la démarche.
Afin de donner corps à cette politique publique, le législateur a mis en place des outils tels que l'obligation faite au maître d'ouvrage, dans le cadre de certaines opérations de démolition ou de réhabilitation, de réaliser un diagnostic destiné à fournir des informations sur les produits, matériaux et déchets « en vue, en priorité, de leur réemploi ou, à défaut, de leur valorisation » ().
Le recours aux matériaux de réemploi fait néanmoins surgir de nombreuses questions, notamment sur leur capacité à garantir la qualité technique et la pérennité des ouvrages. Mais aussi sur les conséquences en termes de responsabilité et d'augmentation de l'aléa que les assureurs de la construction sont tenus de couvrir.
Des responsabilités rebattues ?
Le sujet des responsabilités ne se pose guère avant la réception des travaux, période au cours de laquelle les vices susceptibles d'affecter les matériaux issus du réemploi pourront être détectés et gérés dans le cadre de l'exécution du contrat. C'est davantage après la réception que ces matériaux seront susceptibles de générer des difficultés.
Si les garanties de parfait achèvement et de bon fonctionnement questionnent peu, l'une impliquant la reprise des désor dres apparus pendant l'année de parfait achèvement, l'autre ne concernant que les éléments d'équipement disso ciables de l'ouvrage, la garantie décennale soulève des interro gations. Les constructeurs endossent en effet une responsabilité de plein droit à l'égard du maître d'ouvrage pour tout dommage compromettant la solidité de l'ouvrage ou le rendant impropre à sa destination, dès lors que les vices n'étaient pas décelables lors de la construction ou de la récep-tion de l'ouvrage (). Ceux-ci peuvent résider tant dans le choix des matériaux, au stade de la conception, que dans leur qualité même ou dans leur mise en œuvre.
Obligation de conseil. Or, le recours à des matériaux de réemploi ne modifie pas en lui-même les obligations à la charge des constructeurs. Ainsi, les maîtres d'œuvre, entrepreneurs et contrôleurs techniques devront, nous semble-t-il, faire preuve d'une vigilance accrue dans l'exercice de leur devoir de conseil afin de prévenir les risques spécifiques qui y sont liés.
Le conseil délivré au maître d'ouvrage ne saurait être pertinent que si les intervenants disposent des informations nécessaires pour apprécier l'aptitude du matériau à être réemployé pour l'ouvrage projeté. A cet égard, si la réalisation du diagnostic précité est désormais prévue en amont de certaines opérations, cela ne pourrait cependant suffire à dédouaner les constructeurs de leur obligation de conseil. D'une part, parce que ce diagnostic ne saurait préjuger de l'adaptabilité des matériaux à l'opération pour laquelle ils seront effectivement réemployés.
D'autre part, parce que tant les conditions de récupération des matériaux et produits lors de l'opération de déconstruction que celles de leur conservation et transport sur le site de réemploi seront de nature à influer sur les caractéristiques de ces matériaux.
Le diagnostic sur les matériaux ne suffit pas à dédouaner les constructeurs de leur obligation de conseil
Le maître d'œuvre pourrait ainsi être tenu, au titre du devoir de conseil, de s'assurer par lui-même de la compatibilité du matériau et de ses caractéristiques intrinsèques au moyen de tests ou essais. De même, il appartiendra aux entrepreneurs de formuler toute réserve sur l'utilisation du produit si sa mise en œuvre est de nature à faire obstacle à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art. A défaut, leur responsabilité pourrait être recherchée.
Partage de responsabilité. Le rôle des maîtres d'ouvrage pourrait par ailleurs être discuté dès lors qu'ils sont les principaux leviers d'action du recours au réemploi, comme évoqué en préambule. Il ne peut ainsi être exclu que le choix par le maître d'ouvrage de réemployer des matériaux influence le partage de responsabilités. Et ce, d'autant plus que la jurisprudence prend déjà en compte son implication dans le choix des matériaux pour apprécier les imputabilités respectives des dommages (ex : , mentionné aux tables du recueil Lebon).
Somme toute, l'avenir des mécanismes de responsabilité des constructeurs ne devrait pas connaître de révolution substantielle. Le principal frein à la mise en œuvre de matériaux issus du réemploi semble résider dans l'appréhension des assureurs à couvrir les risques qui y sont attachés.
Les freins assurantiels
Sauf dans certains domaines exclus du champ de l'obligation assurantielle, les constructeurs sont tenus de souscrire des polices garantissant leur responsabilité civile décennale (). De même, toute personne agissant en qualité de propriétaire de l'ouvrage, de vendeur ou de mandataire du propriétaire de l'ouvrage est tenue de souscrire une assurance dommages ouvrage pour les travaux de construction qu'il fait réaliser et couvrant le paiement de la réparation des dommages de nature décennale ().
Identifier les matériaux à risque. Les assureurs, concernés au premier chef par les méthodes de construction, semblent cependant manifester une certaine réticence à l'égard du réemploi (1), notamment quant aux garanties d'adaptabilité et de pérennité des matériaux. Aussi, ces derniers pourraient être enclins à refuser la souscription des garanties dans le cadre d'opérations intégrant le réemploi de matériaux, ou de prévoir des exclusions de garanties, de sorte que les contrats devront être soigneusement étudiés. L'implication des acteurs de la construction dans la traçabilité des matériaux et les conditions de leur mise à disposition permettra de les rassurer. L'identification des matériaux susceptibles de présenter des risques de nature décennale pourrait également être un levier.
Notons que les pouvoirs publics ont été saisis récemment de la question des difficultés rencontrées par les acteurs dans leur couverture assurantielle en matière de réemploi par le sénateur Hervé Maurey (QE n° 14208 publiée au JO Sénat du 6 février 2020, en attente de réponse du ministère de la Transition écologique et solidaire).
En définitive, la question du réemploi des matériaux n'apparaît pas modifier les mécanismes de responsabilité et des assurances liées. La jurisprudence apportera néanmoins un éclairage utile sur ses implications exactes, notamment au regard du rôle dévolu au maître d'ouvrage.