Déstabilisés par la baisse des autorisations et des ventes depuis 2022, le marché morcelé des constructeurs de maisons individuelles ne s’attendait pas à ce que le gouvernement annonce, le 5 juin en clôture du Conseil national de la refondation (CNR) dédié au logement, la suppression du prêt à taux zéro (PTZ) pour l’achat d’un logement individuel, dès fin 2023.
« C’est scandaleux, réagit Damien Hereng, président de la Fédération française des constructeurs de maisons individuelles. On fait perdre du pouvoir d’achat immobilier à 90% des clients ! On peut estimer que 15 à 20 000 opérations seront perdues. Or, un logement individuel construit représente près de deux emplois. Donc 30 000 à 40 000 emplois sont menacés. »
« Craintes pour l’emploi dans les zones rurales et périurbaines »
Loïc Vandromme, directeur général d’Hexaom, est moins alarmiste : « Le PTZ a représenté 25% de nos 6 000 ventes en 2022. Cela ne veut pas dire que nous aurons 25% de dossiers en moins cette année, mais il y aura forcément des pertes d’emplois. »
Grégory Monod, président du Pôle Habitat, fait le calcul : « En 2022, 33 000 acquéreurs de logements individuels ont bénéficié d’un PTZ. Ils étaient 17 000 dans le logement collectif. Depuis 2023, la production de PTZ fléchissait, dans des proportions identiques au nombre de crédits immobiliers accordés (en baisse de 35,1% à fin mai selon Crédit Logement, NDLR), à cause de la remontée des taux d’intérêt depuis début 2022. »
Mécaniquement, les CMIstes devront poursuivre leurs efforts dans la restriction des frais généraux, le gel des embauches, la fermeture d’agences... « A fin avril, 84 000 maisons individuelles ont été vendues sur douze mois glissants. Cela représente une baisse de 44% par rapport à avril 2022 et de 31% par rapport à la moyenne long terme, depuis 2008. Les craintes pour l’emploi se concentrent dans les zones rurales et périurbaines », assure-t-il.
« Le gouvernement renforce la fracture territoriale »
Chez Hexaom, les effectifs commerciaux ne sont plus renouvelés, faute de clientèle, sur fond de pic de production lié aux autorisations de 2021. « Les difficultés pour nos équipes travaux, bureaux d’études et sous-traitants - maçons, carreleurs, peintres… - arriveront en 2024, anticipe-t-il. Tous ne pourront pas pivoter vers la rénovation, car c’est un autre métier », soutient Loïc Vandromme.
Le numéro un français de la construction de maison individuelle compte poursuivre sa politique de diversification. « Dans la rénovation, nous prenons des parts de marché, mais la demande baisse et le mono-geste est toujours privilégié. Dans la promotion, nous sommes freinés par les recours », résume-t-il.
Autre mesure qui passe mal : l’extinction du Pinel, à destination des investisseurs locatifs. « Les investisseurs institutionnels, comme CDC Habitat, n’interviendront pas dans tous les territoires. Le gouvernement renforce ainsi la fracture territoriale entre les métropoles et les 90% du reste du territoire, où on ne devrait plus produire. »
Les métropoles, où le prix du foncier renchérit le prix de sortie payé par les particuliers qui peinent à se loger, ne sont pourtant pas privilégiées : aucune mesure choc comme l’encadrement des prix du foncier n’est prévue par le gouvernement, qui mise plutôt sur un renforcement du bail réel solidaire (BRS) encore embryonnaire.
Des solutions réglementaires qui « ne coûtent rien »
Les autres mesures, comme le développement non-chiffré du logement intermédiaire, déçoivent. « Nous nous attendions à des mesures plus novatrices et plus engageantes. Nous avons eu droit à des annonces dramatiques pour la maison individuelle et décevantes pour les autres métiers. Le gouvernement s’est mis à dos toutes les professions de l’immobilier alors qu’elles n’ont pas les mêmes demandes », tacle Loïc Vandromme.
« Sidéré » par les conclusions de ce CNR « humiliant » pour les professionnels qu’il représente, Grégory Monod n’a finalement pas assisté au discours de conclusion de la Première ministre Elisabeth Borne, le 5 juin à Paris. « Ce CNR, c’est de l’enfumage pour légitimer une volonté politique de stigmatiser la maison individuelle, un logement qui reste abordable pour les primo-accédants. Le gouvernement disait écouter les sachants, les entreprises sur le terrain… Mais rien ne ressort de nos discussions. Nous ne rompons pas le dialogue, mais nous ne participerons pas à un énième débat sur le logement. »
Si l’époque de l’argent gratuit est révolu, l’Etat français - surveillé par les agences de notation - pourrait agir, en remodelant le cadre réglementaire.
Pour la rénovation : « Il faut un contrat protecteur sur le modèle du contrat de construction de maison individuelle de la loi de 1990 avec visite à la fin du chantier d’un bureau d’études certifié. Cela permettrait de professionnaliser les artisans et de s’assurer de l’efficacité des travaux », développe Loïc Vandromme.
Pour la promotion : « donnons aux maires l’autorité d’interdire les recours et encadrons les prix des fonciers. Ces mesures ne coûtent rien et vont dans le sens de la densification souhaité par le gouvernement », insiste-t-il. Y a plus qu’à ou est-ce trop tard ?