Jurisprudence

Marchés publics (1/2) Vers une efficacité accrue du référé précontractuel ?

Par une ordonnance du 7 mai 2009, la France a transposé la directive européenne qui facilite les recours des entreprises dans la passation des marchés publics. Ce texte est applicable aux contrats pour lesquels une consultation est engagée à partir du 1er décembre 2009. À compter de cette date, les entreprises vont bénéficier de nouveaux outils pour lutter contre les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence. Le référé précontractuel est modifié en vue d’améliorer son efficacité. Par ailleurs, un référé contractuel, ouvert après la signature du marché, est créé (analyse dans le prochain numéro).

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Marchés publics
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2007/07/16N°291545
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2007/01/10N°289

L’ relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique a transposé la directive 2007/66/CE du 11 décembre 2007 concernant l’amélioration de l’efficacité des procédures de recours en matière de passation des marchés publics. Il n’est pas inutile de rappeler que la directive recours est née d’un triple constat. Un, une absence de règles coordonnées en matière de délais applicables aux recours précontractuels qui a conduit au maintien, dans la plupart des Etats membres, de dispositions nationales ne permettant pas d’empêcher en temps utile la signature du contrat dont l’attribution est contestée. Deux, une absence de sanction contre les contrats passés de gré à gré, c’est-à-dire attribués sans transparence ni mise en concurrence à un soumissionnaire unique. Enfin, d’une manière générale, une absence d’efficacité des recours mis en place par les Etats membres.

L’objectif poursuivi était donc de perfectionner les dispositions nationales en complétant les mécanismes de recours existants avant la signature du contrat, et en instituant des recours après la signature du contrat.

La transposition de la directive a été opérée par voie d’ordonnance sur le fondement de l’ relative aux contrats de partenariat. Elle a conduit à réaménager l’actuelle procédure de référé précontractuel et à instituer un référé contractuel.

Les entreprises qui considèrent avoir été évincées à tort d’une procédure tendant à l’attribution d’un contrat public ont, aujourd’hui, plusieurs outils à leur disposition pour contester la procédure ou la conclusion même du contrat. Elles peuvent, avant la conclusion du contrat, utiliser le référé précontractuel pour demander notamment l’annulation de la décision de conclure le marché ou de la décision de les évincer. Et, après la conclusion du contrat, elles peuvent utiliser le référé contractuel pour demander l’annulation du contrat lui-même.

La question se pose de savoir si les modifications apportées au référé précontractuel sont de nature à le rendre plus efficace. En instaurant l’automaticité de la suspension de la signature du contrat et en étendant le champ d’application du référé précontractuel, l’ordonnance accroît sans doute son efficacité. Il n’en reste pas moins que la possibilité pour le juge de ne pas suspendre la procédure – s’il estime que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l’emporter sur leurs avantages – est susceptible, après le premier frein donné par la jurisprudence « Smirgeomes », de rendre totalement inefficace le référé précontractuel. Par ailleurs, l’absence d’indication expresse de ce que l’introduction d’un pourvoi suspend automatiquement la signature du contrat est regrettable.

Des mécanismes nouveaux pour le référé précontractuel

Les dispositions de l’ (CJA) issues de la loi du 30 juin 2000, relative au référé devant les juridictions administratives, avaient déjà permis au juge des référés dès qu’il était saisi d’enjoindre au pouvoir adjudicateur de différer la signature du contrat. Mais l’on sait que ce pouvoir ne revêtait qu’un caractère facultatif. Pour autant, dans les faits, force est de constater que les juridictions saisies ont toujours fait preuve de bon sens en ordonnant les mesures conservatoires de nature à empêcher la formation du contrat.

En revanche, les pouvoirs du juge des référés précontractuels restaient étroitement liés à une donnée factuelle tenant à la non-signature du contrat. Et le juge des référés ne s’autorisait pas à soulever la théorie de l’inexistence, en cas de signature précipitée du contrat par le pouvoir adjudicateur, et ce même en violation des dispositions de l’ (CMP), voire de l’ordonnance de différer la signature du contrat. Le requérant ne pouvait alors bénéficier d’aucune action rapide lui permettant d’obtenir l’annulation de la procédure (cf. CE, 7 mars 2005, « Sté Grandjouan Saco » ; CE, 27 mars 2006, « Les compagnons Paveurs » ; CE, 19 décembre 2007, « SAIEP du Confolentais » ; CE, 6 octobre 2008 « Sté Biomerieux », dans cette espèce, la signature du contrat en violation de l’ordonnance de différer la signature aboutit simplement à l’illégalité du contrat et non à sa nullité).

Suspension automatique de la signature

L’ordonnance de transposition, tout en réorganisant le Code de justice administrative, est donc venue réduire ces écueils afin de rendre le recours plus efficace en :– permettant au juge administratif statuant en la forme des référés de suspendre automatiquement la signature à compter de la saisine du tribunal administratif et jusqu’à la notification au pouvoir adjudicateur de la décision juridictionnelle ;

– permettant au juge administratif, dans l’hypothèse d’une signature pendant la phase de suspension prévue par les nouvelles dispositions de l’article L.551-4, de prononcer la nullité du contrat, la résiliation, en réduire la durée ou imposer une pénalité financière dans le cadre du référé contractuel (mais là encore des interrogations demeurent : le requérant devra-t-il faire une demande en ce sens ? Le juge pourra-t-il le soulever d’office ?) ;

– permettant au juge administratif de prononcer la nullité en cas de non-respect du délai exigé (ce délai semble être celui visé dans le CMP, soit dix jours) après l’envoi de la décision d’attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une offre ou une candidature (cette possibilité ne semble concerner que les procédures formalisées) ;

– donnant la possibilité aux opérateurs économiques d’utiliser le référé contractuel à l’égard des contrats soumis à publicité préalable auxquels ne s’applique pas l’obligation de communiquer la décision d’attribution aux candidats non retenus, dans l’hypothèse seulement d’une signature du marché par le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice qui n’aurait pas observé le délai de 11 jours après publication de la décision de conclure le contrat (L.551-15 du CJA). Sont visés notamment les marchés passés selon la procédure adaptée et les délégations de service public.

Le requérant n’aura plus à présenter une demande d’injonction de différer la signature du contrat. La simple saisine emportera suspension de la signature du contrat.

Il serait cependant faux de croire que cette modification empêchera une signature, car tout dépendra de la célérité avec laquelle le juge transmettra la requête au pouvoir adjudicateur pour lui indiquer que le contrat fait l’objet d’un référé précontractuel.

Par ailleurs, il aurait été opportun de définir la nature des délais car rien n’est dit sur le délai de 10 jours (inscrit seulement dans les dispositions de l’ et dans la directive). Est-ce un délai franc ? Faut-il compter les jours ouvrés ou bien les jours calendaires ? Sur ce point il conviendra donc de se reporter à l’article 2 bis de la directive censée être transposée. Les délais de 11 jours et 16 jours de l’ordonnance sont-ils le pendant des délais de 10 et 15 jours de la directive avec une computation différente ? Par ailleurs, n’aurait-il pas été plus opportun de dire que le non-respect de cette clause de stand still emportera des conséquences sur la validité du contrat ?

Un champ d’application élargi

Le référé précontractuel visait les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des marchés publics, des marchés mentionnés au 2º de l’article 24 de l’ordonnance nº 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par des personnes publiques ou privées non soumises au CMP, des contrats de partenariat, des contrats visés au premier alinéa de l’article L.6148-5du Code de la santé publique et des conventions de délégation de service public. L’ordonnance apporte une modification substantielle puisqu’elle donne désormais une définition maté-rielle des contrats pouvant faire l’objet d’un référé précontrac-tuel. Elle étend donc le contrôle du juge administratif à certains contrats qui n’y étaient pas encore clairement soumis et au regard notamment des principes issus du droit primaire communautaire.

Un référé précontractuel à la recherche d’efficacité

L’ordonnance introduit dans le CJA un article L.551-2 qui dispose que « le juge peut ordonner à l’auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l’exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s’il estime, en considération de l’ensemble des intérêts susceptibles d’être lésés et notamment de l’intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l’emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations ».

Bilan avantages inconvénients

La suspension de l’exécution des mesures qui se rapportent à la passation du contrat est désormais conditionnée par la balance des intérêts en présence. La question se pose de savoir quelle est l’étendue de l’obligation faite au juge de prendre en considération l’ensemble des intérêts en présence avant de se prononcer.

On sait que la théorie du bilan « coût avantage » est utilisée par le juge pour apprécier les conséquences de l’annulation d’un acte détachable d’un contrat. Dans ce cadre, le juge ne constate la nullité du contrat que pour autant que cette dernière ne porte pas une atteinte excessive à l’intérêt général (CE. 10 décembre 2003, « Institut derecherche pour le développement »,req. n° 248-950, BJCP n° 33, p. 136).

La haute assemblée a aussi fait usage de la théorie du bilan, dans le cadre de l’arrêt « Tropic travaux signalisation », en considérant que le juge saisi d’une demande d’annulation du contrat devait vérifier si « l’annulation du contrat ne porterait pas une atteinte excessive à l’intérêt général ou aux droits des cocontractants » (). L’utilisation par le juge de cette théorie n’est donc pas nouvelle et l’on sait que son appréciation est déjà délicate par un juge saisi au fond d’une affaire. Comment le juge des référés, statuant dans l’urgence, va-t-il pouvoir faire la balance des avantages et inconvénients d’une suspension de l’exécution d’une décision relative à la passation du contrat ?

Si le juge fait systématiquement primer l’intérêt général que représente la poursuite d’une procédure de passation d’un contrat au regard de la continuité du service public, il y a de forte chance pour que les demandes de suspension de l’exécution d’une décision se rapportant à la passation d’un contrat soient systématiquement rejetées.

Toutefois, on notera que l’exigence de prendre en considération l’intérêt général ne vaut que pour les demandes de suspension et non pour les demandes d’annulation de décisions se rapportant à la passation d’un contrat. En effet, le deuxième alinéa de l’article L.551-2ne reprend pas cette exigence.

Si l’on considère la jurisprudence du Conseil d’Etat (CE. 30 juin 2004, « SNCF », req. n° 263 402) se prononçant sur l’interprétation de l’article L.551-2 (ancienne version) relative aux référés précontractuels concernant les contrats visés par la loi du 11 décembre 1992 (secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des télécommunications), on doit admettre que le juge des référés fera une interprétation restrictive des nouvelles dispositions et n’appliquera pas la théorie du bilan aux demandes d’annulation mais seulement aux demandes de suspension.

On rappellera, en effet, que l’article L.551-2 disposait que « le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu’il délègue, peut ordonner à l’auteur du manquement de se conformer à ses obligations. Il détermine les délais dans lesquels l’auteur du manquement doit s’exécuter. Il peut aussi prononcer une astreinte provisoire courant à l’expiration des délais impartis. Il peut toutefois prendre en considération les conséquences probables de cette dernière mesure pour tous les intérêts susceptibles d’être atteints, notamment l’intérêt public, et décider de ne pas l’accorder lorsque ses conséquences négatives pourraient dépasser ses avantages (...) ». Le Conseil d’Etat a considéré que la faculté ouverte au juge des référés précontractuels statuant sur le fondement de cet article de prendre en considération les conséquences probables de la mesure envisagée pour tous les intérêts susceptibles d’être atteints, notamment l’intérêt public, et décider de ne pas l’accorder lorsque ses conséquences négatives pourraient dépasser ses avantages, ne concernait que son pouvoir d’assortir son injonction d’une astreinte et non son pouvoir d’injonction lui-même.

La question du pourvoi en suspens

Par ailleurs, le référé précontractuel a cela de remarquable en plus de toutes ses particularités que, concrètement, le double degré de juridiction ne bénéficie qu’aux seuls pouvoirs adjudicateurs qui, si leur procédure a été annulée, peuvent se pourvoir en cassation devant le Conseil d’Etat. L’entreprise évincée dont la requête a été rejetée n’est généralement plus en mesure de se pourvoir utilement en cassation, dès lors que le marché est signé entre la notification de l’ordonnance et le dépôt du pourvoi. Mais, surtout si cette entreprise dépose un pourvoi avant la signature du contrat mais que le contrat est signé avant que la haute assemblée ne se prononce, cette dernière considère que le pourvoi est devenu sans objet (par exemple : ). Le Conseil d’Etat a toujours refusé de différer la signature du contrat.

Désormais, l’automaticité de la suspension de la signature du contrat va-t-elle s’appliquer au pourvoi ? L’article L.551-4 dispose que « le contrat ne peut être signé à compter de la saisine du tribunal administratif et jusqu’à la notification au pouvoir adjudicateur de la décision juridictionnelle ». Sans doute, les nouvelles dispositions visent-elles expressément la requête devant le tribunal administratif et ne visent-elles pas le pourvoi. Une extension de ces dispositions au pourvoi serait cependant bienvenue et permettrait de rendre le référé précontractuel plus efficace en autorisant aussi bien aux candidats qu’aux pouvoirs adjudicateurs de se pourvoir en cassation.

Finalement, l’ordonnance qui a transposé la directive recours ne conduira pas à une efficacité plus grande du référé précontractuel. La transposition paraît très largement incomplète, voire approximative, et obligera sans doute le juge à interpréter les nouvelles dispositions au regard de la directive et non au regard d’un texte qui est pourtant censé la transposer.

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