La CGT Construction a mis ses menaces à exécution. Le syndicat, qui songeait depuis plusieurs semaines à une action en justice concernant l’Opérateur de compétences (Opco) du secteur a introduit, le 3 juin 2019, un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’Etat contre son arrêté d’agrément du 29 mars.
Pour mémoire, la loi Avenir professionnel du 5 septembre 2018 a créé les Opco en lieu et place des organismes paritaires collecteurs agréés (Opca). Les partenaires sociaux du BTP avaient ainsi, par accord du 14 décembre, opté pour une mise en place de ce nouvel acteur à partir de Constructys. Un texte que la CGT Construction a refusé de signer. En cause notamment : la répartition des sièges au sein du collège salarié au conseil d’administration de l’Opco.
Représentativité et transparence
Alors que, dans la plupart des branches du BTP, « la représentativité de la CGT atteint 44 % ou 38 % et qu’en tout cas elle est souvent supérieure à 20 %, elle ne disposerait que de quatre sièges, soit autant que les organisations syndicales à très faibles audiences », pointe la centrale syndicale dans son recours.
La CGT Construction déplorait aussi un manque de transparence dans la transition entre l’Opca et l’Opco. Selon elle, l’acte constitutif du 14 décembre 2018 ne précisait pas les règles de dévolution du patrimoine de l’Opca. « L’ambigüité est totale du fait que les statuts de l’Opco de la Construction n’ont pas été élaborés comme un avenant aux statuts de l’Opca Constructys », critique la CGT.
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Parmi ses autres griefs : l’absence d’offre de service en matière de formation pour les TPE, et l’attribution de la présidence de l’Opco au collège employeur, alors qu’elle devait revenir au collège salarié.
Arguments
Compte tenu de son refus de parapher l’accord, la CGT n’a été convoquée ni pour négocier et signer les statuts de l’Opco, ni pour siéger au sein du conseil d’administration. Or, le texte du 14 décembre prévoyait, conformément à la loi, que le conseil d’administration de l’organisme serait composé d’un nombre égal de représentants désignés par les organisations d’employeurs et de salariés représentatives des branches professionnelles adhérentes ou signataires à l’opérateur.
« Il suffit qu’une organisation syndicale soit représentative dans la branche signataire de l’accord pour intégrer l’Opco auquel cette branche est dès lors adhérente » ; «c’est l’adhésion de la branche qui est déterminante et ensuite la représentativité de l’organisation syndicale dans ladite branche », argue ainsi la CGT.
"Vices de procédure"
Pour la requérante, l'arrêté méconnait le principe de représentativité en ce qu’il agrée un Opco dont est exclue la CGT Construction, « qui est pourtant l’organisation syndicale la plus représentative, tant dans le secteur du BTP dans sa globalité que dans la plupart de chacune des branches adhérentes à l’Opco de la Construction ».
« Nous estimons que le travail d’analyse de l’accord constitutif n’a pas été mené en bonne et due forme par l’administration », commente Laurent Tabbagh, secrétaire national à la CGT Construction. « L’absence de réponse aux lettres de la CGT, l’absence de concertation avec les organisations syndicales représentatives qui demandaient à être entendues, et la précipitation avec laquelle l’arrêté d’agrément a été édité, sont autant de vices de procédure qui entachent la légalité » du texte, argumente la centrale syndicale.
Un texte plus restrictif que la loi
Autre grief de la CGT : un article de l’accord du 14 décembre sur la composition du collège salarié du conseil d’administration de l’Opco ajoute une condition que ni la loi du 5 septembre 2018, ni les dispositions réglementaires ne prévoient. Le collège salarié est, d’après le texte constitutif, composé de 20 membres désignés par les organisations syndicales « reconnues représentatives dans au moins deux branches professionnelles distinctes, signataires ou adhérentes au présent accord ». Une mesure qui a conduit à exclure l’Unsa, qui n’est représentative que dans la branche des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment occupant jusqu’à 10 salariés. Cet agrément a donc été donné « à un Opco dont sont exclues deux organisations syndicales représentatives », conclut la requérante. L’arrêté du 29 mars 2019 viole ainsi le Code du travail « en ce que cet Opco ne permet pas d'assurer une représentation de l'ensemble des organisations syndicales de salariés et des organisations professionnelles d'employeurs relevant des branches adhérentes de l'opérateur de compétences ».
On retrouve la même condition dans les statuts de l’organisme, adoptés le 6 mars. Une rédaction qui vaut aujourd’hui à la présidence de l’Opco, pour des raisons identiques, un rappel à l’ordre de la ministre du Travail Muriel Pénicaud dans un courrier du 7 juin. « Mais les violations de la loi par les statuts constatées par le ministère figurent déjà dans l’accord constitutif du 14 décembre, qui a pourtant été agréé : elles auraient dû être prises en compte à ce stade !», objecte Laurent Tabbagh. Preuve, pour le représentant syndical, que le ministère, tout à la hâte de publier ses arrêtés dans les délais, s’est privé d’une analyse approfondie du texte.
Cette demande d’annulation, également basée sur d’autres motifs, intervient dans un contexte de blocage au sein de l’Opco de la construction. Voici en effet plusieurs semaines que, faute de quorum en raison d’un désaccord entre les autres syndicats de salariés, aucun conseil d’administration ne se tient. Les partenaires sociaux espèrent ainsi une rapide amélioration de la situation, afin, notamment, de permettre le versement de la taxe d’apprentissage aux conseils régionaux en temps utile, soit d’ici au 15 juillet prochain.