Pourquoi il ne faut pas emprunter de l'argent public en période électorale

Les délégations consenties par les assemblées délibérantes aux exécutifs locaux en matière de négociation et de signature des contrats de prêts prennent fin dès l'ouverture de la campagne électorale. Pour Jérôme Pentecoste, avocat, cette disposition encore méconnue, issue de la loi Maptam, mérite d'être rappelée.

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Elections municipales 2020

« L’argent public n’existe pas », disait Madame Thatcher, avant d’ajouter « seul existe l’argent du contribuable. » Cette réalité justifie de plus fort  le contrôle démocratique exercé par les assemblées délibérantes sur les organes exécutifs dans leurs activités de dépenses publiques et tout particulièrement lorsqu’il s’agit de souscrire des emprunts ou engagements financiers.

Le régime des délégations des assemblées délibérantes au bénéfice de l’exécutif local résultant du code général des collectivités territoriales (CGCT) prévoit qu’elles sont consenties en principe « pour la durée du mandat ». L’objectif est de permettre aux exécutifs locaux de bénéficier de la plénitude de leurs prérogatives de gestion jusqu’à la fin de leur mandat.

Or, à l’occasion des investigations relatives aux produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux (communément appelés « emprunts toxiques »), plusieurs élus locaux auditionnés auraient constaté, peu de temps après leur élection, la souscription d’emprunts aux montants importants, parfois négociés entre les deux tours des élections locales par leurs prédécesseurs.

Loi Maptam

C’est pourquoi le législateur a introduit dans la loi dite "Maptam" du 27 janvier 2014 des dispositions visant à fixer l’échéance  des délégations permanentes consenties aux exécutifs municipaux, départementaux, régionaux et intercommunaux à l’ouverture de la campagne électorale.

Plus précisément, le principe posé par l’article 92 de cette loi est le suivant : les délégations consenties par les assemblées délibérantes en matière de négociation et de signature des contrats de prêts prennent fin dès l'ouverture de la campagne électorale visant à renouveler ces assemblées, soit deux semaines avant la date du scrutin.

Période de réserve

Cette durée est traditionnellement connue sous le nom de « période de réserve », définie à l’article R. 26 du Code électoral ainsi : la campagne électorale est ouverte à partir du deuxième lundi qui précède la date du scrutin et prend fin la veille du scrutin à minuit. En cas de second tour, la campagne électorale est ouverte le lendemain du premier tour et prend fin la veille du scrutin à minuit.

Il ne faut pas confondre ce délai d’environ deux semaines avec trois autres périodes d’une campagne électorale, à savoir :

► un an avant le premier jour du mois de l’élection, date à partir de laquelle s’appliquent les dispositions relatives au financement et au plafonnement des dépenses électorales (art. L. 52-4 à L. 52-17 du Code électoral) ;

► la période de six mois précédant le premier jour du mois des élections pendant laquelle est interdite toute campagne de promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion de la collectivité concernée par l'élection ainsi que l'utilisation de certains instruments commerciaux de propagande électorale (art. L. 52-1) ;

► les six derniers mois précédant le premier jour du mois d’une élection, pendant lesquels est interdite, sous peine de sanctions pénales, l’utilisation de différents instruments commerciaux de propagande électorale (recours à des numéros d’appel téléphoniques ou télématiques, affichage commercial, publicité commerciale par voie de presse) [art. L. 50-1, L. 51 et L. 52-1].

Emprunts bancaires et financements obligataires

Sont concernés par cette limitation de durée des délégations les emprunts destinés au financement des investissements prévus par le budget, les opérations financières utiles à la gestion des emprunts, y compris les opérations de couverture des risques de taux ou de change ainsi que les dérogations à l'obligation de dépôt des fonds disponibles au Trésor (art. L. 1618-2 CGCT) Pour les prochaines élections municipales, ce dispositif est également applicable aux mêmes opérations réalisées par les EPCI (article L. 5211-10 du CGCT). Ainsi, sont visés aussi bien les emprunts bancaires que les émissions obligataires.

Anticipation

Par conséquent,  les élus locaux et leurs directeurs financiers doivent  anticiper leurs besoins de financement externe.

Certes, l’auteur de l’amendement à l’origine de cette disposition législative a pu avancer qu’il restera « loisible à l'exécutif de la collectivité de réunir l'assemblée pour demander l'autorisation de prendre des mesures ponctuelles, tels que l'autorisation exceptionnelle de souscrire un emprunt ». Cependant, cette soupape de sécurité est illusoire : si aucune disposition législative ou réglementaire n’interdit la tenue des assemblées délibérantes pendant les périodes électorales, il est d’usage qu’elles ne se réunissent pas durant le ou  les mois précédant une élection (y compris lorsqu’il s’agit d’un conseil régional ou départemental dans les mois ou semaines précédant des  élections municipales).

Contrôle de légalité

Cette disposition limitant les délégations permanentes aux fins de souscription d’emprunt, assez peu connue, s’appliquera à l’occasion du prochain scrutin municipal. Dans le même objectif de contrôle étatique de la dette publique locale, la loi Maptam a également étendu le champ du contrôle de légalité  aux « conventions relatives aux emprunts » (formulation plus large que les « contrats d’emprunt ») alors que, sauf exception rarissime, il s’agit de contrats de droit privé échappant précédemment  au contrôle du préfet (article L. 2131-2 du CGCT concernant les communes).

Contrat de droit privé

Précisément, parce qu’ils ont la nature d’actes de droit privé, les contrats d’emprunt conclus par les exécutifs locaux sur le fondement de délégations de compétences irrégulières sont sanctionnés par la nullité absolue, laquelle ne peut être couverte par la confirmation du contrat. A cet égard, s’agissant de dispositions d’ordre public relatives à la compétence du signataire du contrat d’emprunt, le juge civil refuse d’appliquer en la matière la jurisprudence administrative dite « Béziers I » relative à l’exigence de loyauté des relations contractuelles (Cass. com., 6 mars 2019, "Commune de Carrières sur Seine", n°16-25117, publié au Bulletin).

Et après l'élection

Dans le même ordre d’idées, durant la période transitoire suivant (et non précédant) une élection, il existe un « principe traditionnel du droit public », selon lequel un gouvernement démissionnaire ne peut procéder qu’à l’expédition des « affaires courantes » (CE, 4 avril 1952, "Syndicat régional des quotidiens d’Algérie", n° 86015, Rec.). Plus récemment, il a été jugé que l’organe délibérant d’un EPCI ne peut, entre le renouvellement général des conseils municipaux des communes membres de cet établissement et l’installation du nouvel organe délibérant issu de ce renouvellement, que gérer les affaires courantes (CE, 1er avril 2005, "Commune de Villepinte", n° 262078, Rec.). De même l’attribution d’un marché a pu être jugée irrégulière car excédant, en raison du coût, du volume et la durée des travaux prévus et en l’absence d’urgence particulière s’attachant à sa réalisation, la gestion des affaires courantes (CE, 28 janvier 2013, "Syndicat mixte Flandre Morinie", n° 358302, tables du Recueil).

Cette logique de gestion des affaires courantes légitime également, en amont des élections, l’extinction des délégations aux fins de souscription d’emprunt.

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