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Les Journées du patrimoine sont devenues une « institution » de la République. Plus de 12 millions de visiteurs est un chiffre à faire pâlir d’envie toute activité liée à des scores d’audience. Il serait donc absurde de faire la fine bouche : plébiscitées par le public, elles reviennent chaque année en septembre comme une manifestation indirecte – mais bien réelle – du goût des Français pour… l’architecture.

De plus, l’étroite et indéfectible relation entre patrimoine et architecture, relation déjà sanctifiée au plus haut niveau de l’Etat par la réunion des deux en une même direction centrale, s’inscrit désormais comme une des questions dominantes dans les débats sur l’aménagement de la ville ou des territoires. Le nombre impressionnant de colloques et publications sur ce sujet en atteste.

Si la nécessité de construire la ville sur la ville – ou avec elle – est une exigence actuelle, inscrite au cœur des préoccupations de tout décideur, elle n’est pas pour autant une découverte récente. Au fil des siècles, les grandes capitales européennes ont ainsi vécu des épisodes de forte construction par-dessus l’existant, tenant plus ou moins compte des situations antérieures. Or les stratifications qui contribuent à la richesse de la ville d’aujourd’hui sont devenues un legs omniprésent dont la gestion est forcément difficile.

D’autant plus difficile que la notion de patrimoine a pris dans la seconde moitié du XXe siècle des formes extensives, souhaitables, mais obligeant, pour féconder le contemporain, à composer avec un héritage multiple, diffus et disparate. Mieux vaudrait d’ailleurs employer le pluriel. Car c’est bien de la confrontation aux patrimoines de toute sorte que s’élaborent les décisions architecturales. Les attitudes à adopter sont fatalement différentes selon que le contexte patrimonial est composé de ruines romaines, d’un château médiéval, d’une cathédrale gothique ou de l’un de ces nombreux bâtiments des deux derniers siècles inscrits dans nos mémoires et dans les inventaires.

Ce patrimoine le plus récent est par nature encombrant et proliférant. Ce n’est pas une raison pour ne pas lui porter une attention soutenue afin de le rendre « actif ». Les questions qu’il pose ont une infinité de solutions comprises entre la démolition brutale, parfois la seule solution si le bâtiment ne correspond plus aux normes (de sécurité, notamment), et la préservation méticuleuse dans un identique absolu. L’évolution des besoins, des usages et de la manière d’y satisfaire, de même que l’innovation dans les matériaux exacerbent à l’envi la difficulté des décisions. Que faire, par exemple, quand un bâtiment tel la Maison de l’Iran à la Cité internationale de Paris est truffé d’amiante-ciment aujourd’hui interdit ? Claude Parent expose ce cas d’école avec sa verve et son humour habituels (1) pour avouer avec humilité qu’il ne connaît pas la réponse mais regarde avec attention et intérêt les propositions formulées par certains de ses confrères plus jeunes. Il en attend qu’ils puissent intervenir avec une grande liberté de choix tout en préservant la vérité profonde du bâtiment. Une position sage qui tranche avec tant d’autres sourcilleuses, érigeant en dogme le strict respect de l’œuvre.

Car à trop vouloir préserver, conserver, figer en état originel, on risque d’empêcher la ville de respirer. Les bâtiments vieillissent – c’est une évidence – et il faut aussi accepter leurs rides, d’autant que les plus récents vieillissent souvent mal. Comme la nostalgie, l’éternité n’est plus tout à fait ce qu’elle était. Elle devrait même l’être de moins en moins : ne vient-on pas de transformer en cinémathèque un bâtiment conçu quelques années plus tôt pour accueillir le Centre culturel américain ? Mieux vaut s’y résoudre de même qu’à cette évidence pressante : le contexte, qu’il soit abhorré ou célébré, est d’abord un fait. C’est pourquoi la muséification souvent dénoncée ou la table rase toujours redoutée sont finalement des leurres. Les enjeux de la ville ne sont pas dans une opposition dialectique entre préservation et démolition mais dans un entre-deux que les circonstances ont changé et continuent de changer.

Ce qui, en définitive, confère aux décideurs, aux élus en particulier, et à tous ceux qui les conseillent, des responsabilités d’un exercice complexe, souvent redoutable. Selon qu’ils opteront ici pour des démolitions totales ou partielles, là pour la reproduction à l’identique de façades, voire de tout un édifice, et ailleurs pour des constructions ou des greffes audacieuses, la face du monde en sera plus ou moins bien changée. Leurs moindres décisions façonnent la ville. Leurs pouvoirs ont donc une portée considérable et, parce que les questions sont infiniment plus complexes aujourd’hui qu’hier, ils requièrent d’autant plus d’intelligence, de subtilité, d’habileté, de patience, de détermination…, ainsi bien sûr qu’un long apprentissage. C’est certainement là l’enjeu politique majeur de notre temps : plus qu’à toute autre époque, la ville a besoin de décideurs éclairés.

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