L'immobilier a de la ressource. L'intitulé du Salon de l'immobilier d'entreprise (Simi), organisé du 12 au 14 décembre à Paris par Infopro Digital (groupe éditeur du « Moniteur »), peut se traduire ainsi : les 24 000 professionnels attendus ont hâte de rebondir. Pour cela, ces acteurs de la fabrique de la ville voient dans le recyclage urbain un relais de croissance qui répond aux impératifs de sobriété foncière et de décarbonation.
« Le recyclage urbain intègre la réhabilitation de bâtiments obsolètes, la transformation d'actifs et le changement d'usage mais aussi la démolition-reconstruction, la densification ou encore la régénération de friches », liste Vincent Desruelles, directeur d'études de l'institut Xerfi. « Les données manquent sur les m² issus de bâtiments surélevés ou de friches reconverties », note Samuel Depraz, directeur de la recherche de l'Ecole supérieure des professions immobilières (ESPI). « Révélatrice d'un marché encore limité », cette lacune ne saurait masquer sa dynamique.
La progression de la réhabilitation bénéficie essentiellement au logement. En 2022, ce dernier représentait 47 % des surfaces transformées contre seulement 35 % en 2017. La crise du logement neuf renforcera-t-elle la pression résidentielle dans les opérations de reconversion, au détriment de l'immobilier tertiaire, de la logistique urbaine aux bureaux, en passant par l'hôtellerie et les bâtiments publics ? Seule une analyse fine des opérations en cours, souvent mixtes, permet d'observer la place réelle du tertiaire dans ce marché émergent.

« Gagner en visibilité ». BNP Paribas Real Estate, promoteur spécialiste du tertiaire, s'illustre actuellement avec la transformation des 30 000 m² de l'ancien siège de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Le projet, mené entre autres avec RATP Solutions Ville, coche bien les cases « transformation d'actifs » et « changement d'usage » propres à la reconstruction de la ville sur la ville. Concrètement, il s'agit de reconvertir des bureaux vieillissants en bureaux, logements, commerces… et centrales des mobilités douces pour la RATP.
D'autres promoteurs ont structuré leur offre cette année. Décarbonation oblige, la « réhab' » devra représenter 10 % du chiffre d'affaires de Nexity en 2026. Le premier promoteur français a regroupé trois de ses filiales au sein de Nexity Héritage afin que son « approche globale de régénération urbaine, de l'immeuble au quartier en passant par la friche, gagne en visibilité auprès des collectivités et investisseurs », explique Sharon Elbaz, directeur de la nouvelle marque. Les premiers projets penchent pour le logement, fer de lance de Nexity. Le groupe s'est également distingué en s'associant avec Carrefour. Objectif : transformer 76 hyper ou supermarchés, galerie marchande et parking inclus. L'heure est à la coconstruction avec des collectivités aux attentes variées : logement social, équipement public… Chez Icade Promotion, dont les réhabilitations génèrent autant de m² résidentiels que de m² tertiaires, le niveau des 10 % sera atteint cette année. Et d'ici 2030, « 30 % de nos projets seront issus d'une transformation », annonce Emmanuel Desmaizières, directeur général. Pour y parvenir, il faudra aussi s'attaquer aux entrées de ville. « Les opérations sous notre nouvelle offre “Ville en vue” comporteront du commerce reconditionné auquel nous ajouterons du logement et parfois des bureaux, des services… selon les besoins locaux », explique-t-il.
La politique de réduction de l'empreinte immobilière des entreprises séduites par le télétravail génère un autre gisement de m2 : les bureaux vides. Certains de ces immeubles étant situés dans des quartiers peu prisés des entreprises, le bureau, et par extension le tertiaire, peinent à trouver leur place en fin de chantier. Sur l'ensemble des conversions de plus de 1 000 m² recensées par la société de conseil Knight Frank entre 2019 et 2025, plus des deux tiers des surfaces réaffectées sont dédiées au résidentiel. En témoigne la stratégie de Novaxia, investisseur spécialisé dans la transformation de bureaux en logements ou programmes mixtes avec une forte dose résidentielle. Si l'Ile-de-France concentre l'attention avec ses 4,4 millions de m² de bureaux vacants, les cités administratives stimulent les marchés régionaux. Exemple à Lille (Nord) : les 38 500 m² de l'ancien bâtiment détenu par l'Etat sont à vendre puis à transformer, tandis que les 38 400 m² du nouvel équipement à livrer fin décembre génèrent de l'activité pour les acteurs de la construction.

Si l'Ile-de-France concentre l'attention avec ses 4,4 millions de m² de bureaux vides, les cités administratives stimulent les marchés régionaux.
Développer de la mixité. Hors patrimoine de l'Etat, le gisement non mesuré de « bâtiments abandonnés, squattés, posés au milieu d'un parking, permet de réinventer le quartier avec de nouveaux immeubles mixtes ouverts au public, de nouvelles rues, des espaces verts », observe Cyrille Le Bihan, dirigeant associé de Hardel Le Bihan Architectes. L'agence fait partie du collectif Nouvelle AOM, avec Franklin Azzi Architecture et ChartierDalix Architectes, dédiée à la transformation de l'existant. « Un terrain de jeu qui permet à notre profession de prendre plus de plaisir que sur du neuf, car il faut notamment comprendre ce qu'avaient en tête les concepteurs du bâtiment à retravailler », témoigne-t-il. Une ambition qui ne se limite pas à l'échelle de l'immeuble. Avec les promoteurs Redman et Icade et l'architecte du patrimoine Charlotte Vergély, le collectif a planché sur le renouveau de Monplaisir, une « enclave bétonnée à reconnecter avec la ville » de Lyon (Rhône), selon Cyrille Le Bihan. D'ici 2028, l'ancien site du Centre international de recherche sur le cancer sera réhabilitée pour y développer de la mixité : deux bâtiments avec logements, bureaux divisibles et commerces en pied ainsi que des rues seront créés, et la zone requalifiée sera végétalisée. Cette opération correspond parfaitement au recyclage urbain, qui « recouvre les bâtiments mais aussi les infrastructures et l'espace public », relève le chercheur Samuel Depraz.
Faute d'industrialisation, le recyclage urbain au profit du non-résidentiel ne devrait pas connaître de décollage fulgurant. En témoignent les perspectives de Studios Architecture. Depuis 2019, le spécialiste du tertiaire a contribué à la livraison de 111 000 m² d'immobilier d'entreprise issus d'une réhabilitation. Il accompagne actuellement la création de plus de 116 000 m², dont 70 000 m² à livrer en 2024 et 2025. De son côté, Galia prévoit une stabilité de la part du tertiaire dans ses projets, exclusivement de réhabilitation. Ceux-ci se concentrent à Paris et en première couronne, en raison des « prix de sortie et loyers élevés pratiqués » qui garantissent l'équilibre économique des opérations, confie Brice Errera, son président. Illustration avec ce parking de quatre niveaux à Pantin (Seine-Saint-Denis), acheté en 2017 et récemment transformé en hôtel.

Côté foncière, la régénération urbaine est perçue à la fois comme un levier de décarbonation et un moyen d'augmenter les loyers. Rue de Rivoli à Paris, artère à dominante commerciale, Redevco a lancé en juin dernier la réhabilitation des 13 000 m² jusque-là occupés par C & A. Son idée : conserver 3 000 m² d'espaces de vente, sous forme de plusieurs cellules, ajouter 4 000 m² de bureaux, plus rémunérateurs que des commerces dans ce quartier central et bien desservi, mais aussi un hôtel, un restaurant, un jardin aménagé sur le toit et un espace dédié à la logistique urbaine. Le projet a été imaginé par Franklin Azzi Architecture, à la pointe sur la réhab' au profit de la mixité exigée par les villes. Chez Covivio, les réhabilitations visent à créer des bureaux nouvelle génération avec services. En 2022, 88 % des 62 000 m² réhabilités au sein de son patrimoine français étaient constitués d'espaces de bureaux, 8 % d'hôtel et 4 % de commerces. Cette année, la totalité des 58 000 m² réhabilités seront des bureaux. Idem en 2024 (6 000 m²) et 2025 (20 500 m²), selon ses prévisions.
Sur fond de baisse globale des permis de construire délivrés depuis 2022, les marchés résidentiel et tertiaire seront perdants en 2023. Les experts tablent en effet sur une décrue des surfaces autorisées de logements et de locaux tertiaires, issus ou non d'une transformation. Avant d'entamer une nouvelle année qui s'annonce compliquée, les professionnels ont besoin de se renseigner sur les bonnes pratiques, les besoins des métropoles… Le Simi tombe à pic.
La logistique se verticalise
En matière de densité, l'immobilier logistique se met en ordre de marche. Le développeur et exploitant Goodman y croit comme dur comme fer : son premier entrepôt à étages en France fera des bébés. « L'enjeu est administratif, témoigne Philippe Arfi, directeur général. Quand vous innovez, il faut créer des règles et ça prend du temps. » Les permis de construire (PC) de son Green Dock sur une friche logistique du port de Gennevilliers (Hauts-de-Seine) devraient être déposés d'ici la fin d'année. La livraison, prévue en 2026, est reportée à 2027. Jusqu'à 95 000 m² d'exploitation seront proposés sur quatre niveaux. « La hauteur suppose un investissement au m² deux fois et demi supérieur par rapport à un bâtiment au sol », estime le dirigeant. Ce surcoût est notamment lié à la structure, notamment les semi-remorques qui pourront circuler via des rampes d'accès. En outre, un ponton de liaison multimodale permettra de livrer les Franciliens par la Seine. Ce projet a été rendu possible par la Ville qui tient à « sanctuariser des surfaces dédiées à l'industrie et à la logistique, contrairement à la majorité des municipalités franciliennes qui favorisent le logement », souligne Philippe Arfi.
Dans Paris intra-muros. D'autres acteurs sont engagés dans cette transition. Chez le contractant général GSE, une première vague de livraisons d'entrepôts à étages pourrait intervenir vers 2025. Dans la catégorie logistique urbaine, la foncière Segro s'active à Paris. Citons la transformation d'une concession automobile de 8 000 m² sur quatre niveaux (XVIe), en attendant les contours de la reconversion d'une gare de marchandises de 75 000 m² (XIIIe).
%%MEDIA:2413908%%