Réforme des délais de paiement et modernisation de l'économie, de l'intention aux actes ?

Sous la présidence de Patrick Ollier, la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale a auditionné, le 8 juillet 2009, les membres de la Commission d'examen des pratiques commerciales (CEPC), présidée par Jean-Paul Charié.

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Parmi les sujets abordés, il a été question notamment du rôle, des missions et du fonctionnement de la CEPC, des négociations entre fournisseurs et distributeurs, des marges arrières et "last but not least" des délais de paiement.

A cet égard, Jean-Paul Charié a été chargé par la commission d'une mission de contrôle de l'exécution de la loi de modernisation de l'économie (LME) : il devrait ainsi communiquer son rapport d'étape ainsi que ses conclusions définitives fin septembre 2009.

Tout d'abord, cette audition démontre que les parlementaires ont l'intention d'exercer sur la CEPC, dont les compétences ont été élargies par le biais de la LME, leur mission de contrôle.

Rappelons que désormais, la CEPC peut être consultée par les juridictions chargées du contentieux des relations commerciales. Elle publie également régulièrement des questions réponses pour aider les acteurs à comprendre et appliquer la LME. Enfin, elle s'efforce de promouvoir une certaine "éthique" dans les relations commerciales.

Toutefois, Jean-Paul Charié, a cru bon de rappeler à ses interlocuteurs que la CEPC "n'est pas une juridiction mais une instance de consensus dont le but est que chacun des acteurs du secteur partage une lecture commune de la loi".

En préambule, pour le compte de la DGCCRF, Francis Amand a évoqué comme sujet de préoccupations outre le rejet inconditionnel des conditions générales de vente (CGV) et un usage parfois un peu brutal de la liberté de négocier, "le décalage injustifié du point de départ des délais, les escomptes excessifs et l'abus de l'accord dérogatoire".

A la lecture du compte rendu d'audience, l'intervention de Jérôme Bédier est symptomatique de l'état d'esprit qui règne au sein de la CEPC, quant il explique que les membres "sont arrivés, y compris sur des sujets sensibles tels que les services distincts, les délais de paiement ou l'escompte, à des consensus au moment où les acteurs économiques avaient besoin de réponses".

Cela peut vouloir dire qu'il y a débat au sein de la commission afin de dégager une position commune qui ne convient en définitive à personne ! Venant d'horizon varié, le consensus est parfois difficile à trouver comme le rappelle Jean-Paul Charié, dans un véritable cri du cœur : "vous mesurez la complexité du travail du président de la CEPC, qui est en permanence à la recherche d'un consensus minimal !"

Et Dominique de Gramont de surenchérir : "(...) les questions réponses sont la grande innovation de la CEPC troisième formule. Elles nous permettent d'être très réactifs - même si sur certaines questions, il est urgent de réfléchir - mais il demeure indispensable de donner des réponses de fond aux tribunaux et d'analyser la jurisprudence. Sur la forme, nous avons connu des difficultés - peut-être trop d'enthousiasme ou de réactivité - mais nous devrions, sans tomber tout à fait dans la quiétude, pouvoir quitter l'ambiance de la Convention ! Toutefois nous devons, même si c'est difficile, faire l'effort de parler non pas au nom de ceux que nous représentons mais au nom de la loi - en bref, nous comporter moins comme des syndicalistes et des avocats pour mieux défendre la bonne application des textes".

Rachel Blumel, de l'association nationale des industriels alimentaires (ANIA), revient quant à elle sur la problématique des stocks : "Beaucoup de clients veulent déstocker. Qui aura la charge du stockage, comment pourrons-nous assumer une livraison en flux tendus ? Beaucoup de petites structures, et même moyennes, ne sont pas adaptées pour faire face à ce nouveau schéma".

Comme en écho, le député Philippe Armand Martin souligne que "la LME oblige les entreprises à payer leur fournisseur sous trente jours. Or elles doivent faire des provisions de fournitures et stocker coûte cher. Comment concilier la réduction des délais de paiement et la nécessité de constituer des stocks ?"

Jean Gaubert, co-rapporteur sur l'application de la LME, stigmatise les déréférencements partiels qui "perdurent, voire se multiplient, et qui sont le plus sûr moyen de faire pression sur les fournisseurs".

Il rappelle à juste titre que "dans notre économie, le crédit interentreprises avait en effet supplanté le crédit bancaire. Les banques ont beau être en ce moment plus soucieuses de reconstituer leurs marges que de financer l'économie, elles doivent tout de même savoir que le crédit est de leur responsabilité. Ce n'est pas aux entreprises de se faire crédit les unes les autres. Or, les délais de paiement sont un crédit interentreprises mal connu et mal maîtrisé, qui frise parfois l'illégalité et en tout cas l'immoralité".

Quant aux sanctions, il n'est pas dupe du peu d'enthousiasme que montrent les fournisseurs au moment de dénoncer les mauvaises pratiques à la DGCCRF, devant la CEPC ou même face au juge : "(...) on a le sentiment qu'un certain nombre de fournisseurs, mais pas seulement, craignent des sanctions. Lors de nos auditions, certaines personnes ont accepté de nous parler à condition de ne jamais apparaître dans aucun document. Cela laisse entrevoir une crainte réelle, même si elle est peut-être infondée".

Des propos que confirment Francis Amand qui espère faire appliquer par les tribunaux la notion en construction de "déséquilibre significatif" : "(...) la difficulté, c'est que, comme l'action est portée devant le juge civil, on est obligé de donner le nom de la partie victime de l'abus. Les opérateurs risquent donc de refuser de nous accompagner devant le juge".

Et alors que le député Serge Poignant s'interroge (faussement naïf) : "(...) vous souhaitez que tout le monde fasse la même lecture de la loi. Est-ce à dire que ce n'est pas le cas ? Quelles sont les divergences ?", son homologie Thierry Benoit enfonce davantage le clou : "En tant qu'élus, nous ne comprenons pas que les producteurs ne parviennent pas à vivre de la vente de leurs produits, alors que l'on observe, dans le secteur de la grande distribution et des centrales d'achat, des pratiques manquant quelque peu d'"éthique". Pour conclure, si nous procédons à ces auditions, c'est parce que nous avons le sentiment que la LME n'est pas appliquée comme elle le devrait."

En guise d'exemple, la députée Catherine Coutelle, apporte un témoignage, parmi d'autres, "d'un producteur présent à la fois dans ma circonscription et en Chine, à qui l'on a demandé de baisser ses tarifs de 15 %, sans négociation possible. Lorsqu'il l'a dit qu'il ne pouvait accepter cette baisse, il s'est entendu répondre "eh bien délocalisez totalement votre production en Chine !"

Le mot de la fin revient au Président de la Commission des affaires économiques, Patrick Ollier : "Nous ne voulons pas d'une autre loi que la LME, mais nous avons le sentiment qu'elle ne démarre pas comme cela devrait". Aussi, je ne saurais lui conseiller la lecture d'un ouvrage sortie en juin 2009 : "Réforme des délais de paiement et modernisation de l'économie, de l'intention aux actes ?" aux éditions "Lignes de repères" et préfacé par Rémy Thannberger. Mais sans doute "c'est avoir tort que d'avoir raison trop tôt".

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