« Réponse dans les prochains mois ! » Anne-Claire Vernimmen, conseillère référendaire à la 3e chambre civile de la Cour de cassation, fait planer le suspense lors des 3e Rencontres bordelaises de l’assurance construction organisées par l'avocate Marine Venin ce 22 mai 2025. Elle annonce que deux pourvois en cours vont offrir à la Cour l’occasion de préciser à nouveau les conditions d’application de l’article 1792-7 du Code civil excluant les éléments d’équipement à vocation uniquement professionnelle des responsabilités légales des constructeurs (telles que la décennale).
Un article considéré comme une Arlésienne depuis sa création en 2005, puisque les juges n’avaient jamais accepté de le faire jouer jusqu’à une décision du 6 mars dernier. « Malgré plus de 200 décisions de cours d’appel, cet article n’a donné lieu qu’à cinq arrêts de la Cour, et seul le dernier l’a appliqué », recense la magistrate ; alors que cette question de la garantie des équipements professionnels « fait partie du quotidien des acteurs, notamment lors de la souscription des polices d’assurance ».
Toute première application
Ainsi donc, pour la première fois, le 6 mars 2025 (n° 23-20.018, Bull.), la Haute juridiction a estimé les conditions posées par l’article 1792-7 réunies, et a exclu du champ de la garantie décennale des travaux de rénovation d’une station de lavage de voiture, dans les termes suivants :
« Pour admettre la responsabilité décennale de la société X […], [la cour d’appel] relève que les travaux de voirie et de réseaux réalisés par la société X participent de la réalisation d'un ouvrage et que les débordements d'eaux non filtrées sur les pistes de lavage sont consécutifs à l'inadaptation du séparateur d'hydrocarbures mis en place lors de ces travaux et retient que, ce dernier n'étant pas un élément d'équipement dont la fonction exclusive est de permettre l'activité de station de lavage, il ne relève pas des dispositions de l'article 1792-7 du Code civil.
En statuant ainsi, après avoir constaté que le séparateur d'hydrocarbures constituait un équipement de traitement des eaux potentiellement chargées de boues et d'hydrocarbures générées par l'utilisation de la station de lavage, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé.»
Un doute levé
Une décision qui « lève un doute : la Cour de cassation entend bien appliquer de manière effective 1792-7 », souligne Anne-Claire Vernimmen. Elle rappelle que sa juridiction est « dépendante des pourvois dont elle est saisie et des griefs formulés, et que ses arrêts dépendent des constatations faites par les cours d’appel », sur lesquelles la Cour se fonde. Autrement dit, la Haute juridiction ne peut répondre qu’à des questions qu’on lui pose… Et ce sera bientôt le cas.
Si cette toute première application laisse certains acteurs sur leur faim – Pascal Dessuet, professeur à l’Institut de la construction et de l’habitat, regrette ainsi que « la Cour de cassation n’ait pas été invitée à se prononcer sur le caractère "exclusif" de la vocation professionnelle » du séparateur d’hydrocarbure incriminé (1) -, la jurisprudence devrait se clarifier avec les deux affaires pendantes devant la Cour.
Deux pourvois à suivre
Le premier pourvoi (sur CA Bordeaux, 3 octobre 2023, n° 22/05113) concerne l'une des cinq affaires déjà examinées par la Cour de cassation (Cass. 3e civ., 21 septembre 2022, n° 21-20.433, Bull.) : l’assureur décennal reproche à la cour d’appel de renvoi (qui l’a condamné) de ne pas avoir recherché si les panneaux photovoltaïques, siège des désordres, et installés via des glissières sur des bacs acier dans le cadre de l’installation en toiture d’une unité de production d’énergie solaire après dépose de la couverture existante, n’avaient pas pour fonction exclusive de permettre une activité professionnelle.
Le second pourvoi (sur CA Paris, 5 avril 2023, n° 19/20561) soulève, lui, l’application de l’article 1792-7 à des travaux de réfection du revêtement protégeant les composants d’une unité de production chimique.
D’ici la fin de l’année, les professionnels devraient donc progresser dans la connaissance des conditions d’application de l’article 1792-7, sans pour autant épuiser toutes les questions le concernant notamment en matière de photovoltaïque.…
(1) Analyse à paraître dans « Le Moniteur » du 30 mai 2025.