Photovoltaïque : un régime de responsabilité incertain et une offre des assureurs en devenir

L'obligation de solarisation questionne sa compatibilité avec le droit positif et les polices et garanties financières existantes.

Réservé aux abonnés
Energie
Energie

L'installation d'une centrale photovoltaïque en toiture était jusqu'ici simplement encouragée par le biais d'avantages financiers, tenant au prix d'achat de l'électricité produite, ou par le renchérissement du coût de l'énergie pour les particuliers. Plus récemment, elle était regardée comme permettant de rééquilibrer le bilan énergétique de l'immeuble et aujourd'hui son impact environnemental.

Loi EnR. Depuis le 1er janvier 2024, l'encouragement a laissé place à la contrainte. Il est permis de parler d'une véritable obligation de solarisation née de l' (CCH) modifié par la loi EnR (ou Aper) du 10 mars 2023 et du décret d'application du 18 décembre 2023 qui en précise les modalités d'application, mais aussi les nombreuses exceptions permettant de s'y soustraire (). Elle s'applique aux travaux de construction de bâtiments neufs à usage commercial, industriel ou artisanal ou même de bureaux d'une certaine surface, mais également aux extensions et rénovations lourdes de bâtiments ou parties de ce type de bâtiments existants et aux aires de stationnement lorsqu'elles donnent lieu à la passation d'un nouveau bail et même d'un simple renouvellement.

Le propos sera ici de démontrer en premier lieu que le régime juridique applicable aux responsabilités encourues par les installateurs de ces centrales en cas de dysfonctionnement est pour le moins incertain. Dans un second temps, il conduira à évoquer l'offre des assureurs pour la couverture de ces risques, laquelle demeure limitée pour ce qui est de la délivrance de polices d'assurance, mais pourra parfois surprendre sur le terrain des garanties financières.

Un régime de responsabilité incertain

En cas de désordres venant affecter des installations photovoltaïques dans les dix ans suivant la réception, le régime applicable en matière de responsabilité des installateurs est en général la première des questions posées. En effet, la réponse apportée conditionne assez largement celle du régime applicable aux polices d'assurance couvrant la mise en jeu de leur responsabilité. On rappellera en effet que l'application du régime obligatoire en matière d'assurance implique que les travaux soient éligibles à la responsabilité civile (RC) décennale des constructeurs.

S'agissant de l'installation d'une centrale photovoltaïque dans le cadre de la réalisation d'un bâtiment neuf ou encore sous forme d'ombrières abritant un parking, la réponse ne pose pas de réelles difficultés. L'éligibilité à la RC décennale sera admise selon que les panneaux équipant les bâtiments ou les ombrières ont ou non une vocation « exclusivement » professionnelle ( [C. civ.]). Autrement dit, selon qu'ils alimentent ou non, au moins en partie, un ouvrage éligible à l'obligation d'assurance et ne servent pas « exclusivement » à faire commerce de l'électricité produite.

   La question du régime de responsabilité des installateurs conditionne assez largement celle du régime applicable aux polices d'assurance

Energie
Energie Energie

Installation sur existant. Il en va différemment dès lors que l'installation est réalisée sur un bâtiment existant. Dans cette hypothèse, l'éventuelle exclusion des panneaux photovoltaïques par le jeu de l'article L. 1792-7 n'a réellement donné lieu à ce jour qu'à deux arrêts de la Cour de cassation, conduisant à ne pas appliquer cet article, alors même que l'électricité produite était intégralement vendue à l'extérieur de l'ouvrage. Dans les deux cas, la motivation reposait sur le fait que les panneaux, parce qu'ils étaient installés sur un existant, cessaient d'être des « éléments d'équipement » pour devenir des « ouvrages », ce qui interdisait de faire jouer l'article 1792-7, lequel ne vise que « les éléments d'équipement ».

Dans l'une des espèces (), la qualification d'ouvrage n'était pas vraiment contestable, puisqu'en réalité, la pose des panneaux en surimposition sur une toiture existante entraînait « un ajout de matière » et revêtait une importance tant technique que financière qui permettait de justifier cette qualification au regard des critères couramment utilisés par la jurisprudence. On observera cependant que l'arrêt semble s'être fourvoyé en prenant en compte le fait que les panneaux avaient été « intégrés » à la toiture, terme non utilisé par l'article du Code civil précité.

Dans l'autre arrêt (, publié au Bulletin), le raisonnement suivi semble plus discutable puisque les travaux neufs consistaient à réaliser un ouvrage composé d'une toiture équipée de panneaux photovoltaïques en surimposition. La Cour de cassation censura les juges du fond pour avoir appliqué l'article 1792-7 aux fins d'exclure les panneaux en tant qu'élément d'équipement à vocation exclusivement professionnelle, au motif que lesdits panneaux « participaient » de l'ouvrage neuf et qu'en quelque sorte ils n'avaient pas une vocation extérieure à la destination même de l'ouvrage : ils étaient l'ouvrage lui-même et ne pouvaient être regardés comme des « éléments d'équipement ».

Le brouillard s'épaissit donc. La Cour de cassation va-t-elle systématiquement écarter l'application de l'article 1792-7 pour ce type d'installation et conclure à l'assujettissement des constructeurs à la RC décennale ? L'avenir le dira, mais entre-temps règne une certaine insécurité juridique.

Il conviendra d'observer par ailleurs que, dans certains cas de réalisation sur un ouvrage neuf, celui d'une installation dans le cadre d'un bail en l'état futur d'achèvement (Befa) par exemple ou encore d'une clause d'une Vefa prévoyant la réalisation de travaux d'installation par le futur locataire ou l'acquéreur avant livraison en qualité de maître d'ouvrage, la question de la détermination du créancier de la RC décennale des installateurs peut aussi poser problème, a fortiori, en cas de réalisation sur un bâtiment déjà réceptionné/livré.

En effet, la RC suppose la propriété des ouvrages sinistrés, alors que la propriété de constructions réalisées sur le bâtiment d'autrui est déterminée, sauf clause contraire, par les dispositions du Code civil sur l'accession, qui conduisent à son attribution au propriétaire d'ouvrage sur lequel elles sont exécutées () et non au maître d'ouvrage qui a passé les marchés.

Dans les marchés publics, la réponse aura le mérite de la clarté, puisque le Conseil d'Etat a décidé que l'article 1792-7 ne serait pas applicable (, mentionné dans les tables du Recueil [1]).

Une offre des assureurs en devenir

Compte tenu d'une sinistralité abondante tenant au procédé technique favorisé par les pouvoirs publics dans un premier temps - qui consiste à assigner aux panneaux photovoltaïques la double fonction d'étanchéité et de production d'énergie -, les assureurs se révèlent très prudents pour la couverture de la responsabilité des installateurs.

L'offre en matière de contrat d'assurance. En tout état de cause, le cadre de leur intervention est lui-même assez incertain. Des questions de trois ordres se posent :

- La qualification d'ouvrage de production d'énergie, dans le cas où l'installation des panneaux s'accompagne de la réalisation d'une nouvelle toiture

S'agit-il d'un ouvrage exclu par l' (C. ass.), au titre des « ouvrages de production […] d'énergie » ?

La Cour de cassation n'a pas encore eu l'occasion d'intervenir sur cette question, mais elle a vocation à être saisie d'un arrêt rendu récemment par la cour d'appel de Bordeaux () qui a statué sur renvoi de la cassation prononcée dans l'arrêt du 21 septembre 2022 précité.

Au terme d'une motivation contestable prenant en compte le fait qu'il s'agissait de panneaux « intégrés à la toiture », cet arrêt d'appel avait considéré que, dès lors que leur installation était réalisée dans le cadre de travaux plus vastes consistant en la construction d'une nouvelle toiture sur laquelle ils étaient fixés en surimposition, il y avait finalement lieu de considérer le nouvel ouvrage en tant que tel, dans sa double destination (assurer l'étanchéité de l'ouvrage existant et produire de l'électricité destinée intégralement à la vente), et non comme un « ouvrage de production d'énergie » exclu de l'obligation d'assurance.

Fort heureusement, la problématique se trouve largement désamorcée dès lors que l'installation a pour vocation d'alimenter au moins pour partie l'immeuble existant, car elle en constitue en ce cas l'accessoire et se trouve en tout état de cause réintroduite dans le champ de l'assurance construction obligatoire.

- La portée de la déclaration de risque du maître d'ouvrage, non sachant, quant au caractère courant ou non du procédé technique mis en œuvre

Les souscripteurs d'une police dommages ouvrage (DO) sont systématiquement interrogés sur la qualification de « technique courante » du procédé mis en œuvre, la réponse valant déclaration de risque. Pour découvrir si le procédé en question est un procédé technique « non mis en observation par la C2P » (Commission prévention produits mis en œuvre), il est indispensable de naviguer sur le site de l'Agence Qualité Construction (AQC), car la définition des techniques courantes figurant dans les polices se contente de viser le site sans autres précisions. Lors de cette consultation, l'on découvre au détour d'une navigation plutôt complexe, que les procédés photovoltaïques ont précisément tous été mis en observation aux termes de trois communiqués nos 71, 72 et 74 de la C2P (2). Mais qu'en réalité, et là encore la définition n'en fait nullement état, ces procédés mis en observation pourront revenir sur une « liste verte » (3), qui n'apparaît pas à première lecture, visant les procédés non mis en observation, après un nouvel examen par la C2P.

   Sur le terrain des garanties financières, la loi EnR laisse le champ libre au marché pour concevoir des offres adaptées.

Ainsi, pour un maître d'ouvrage non sachant dans l'art de construire, la question de savoir si le procédé photovoltaïque qui sera mis en œuvre sur son chantier relève ou non de la technique courante, n'est pas chose aisée. Un débat sera susceptible de s'ouvrir sur la clarté de la question posée si l'assureur était tenté d'appliquer les sanctions relatives à l'aggravation de risque en cas de sinistre ().

- La possibilité ou non d'inclure le procédé technique mis en œuvre dans la définition de l'activité couverte

La Cour de cassation interdit formellement d'introduire des restrictions dans la police RC décennale quant aux modalités techniques de mise en œuvre par l'assuré des activités c ouvertes (4), alors qu'il s'agit d'une pratique courante s'agissant des installations photovoltaïques. Pourtant, en principe, dès lors que l'entreprise dispose dans sa police de l'activité « Photovoltaïque » no 5.9 de la nomenclature établie par la fédération France Assureurs et visée en annexe dans tous les questionnaires de souscription, elle devrait normalement être couverte.

Chacun garde cependant en mémoire cet arrêt demeuré jusqu'ici isolé (, Bull.), aux termes duquel, à la suite d'une figure d'acrobatie sémantique pour le moins surprenante, la troisième chambre civile en est venue à considérer que le procédé technique (en l'espèce, le procédé Harnois pour l'aménagement de combles) pouvait en lui-même constituer une activité en tant que telle… Ainsi, en apparence, on demeurait bien dans une continuité jurisprudentielle, tout en introduisant, par le biais de la définition de « l'objet de la garantie », ce qu'il n'était pas possible d'introduire dans « l'étendue de la garantie » contenue dans la clause type de l'. Cela revenait pourtant bel et bien à justifier des non-garanties pures et simples opposées à un maître d'ouvrage, voire à un assureur DO subrogé dans ses droits, agissant contre l'assureur d'une entreprise, par la prise en compte d'éléments techniques.

L'offre en matière de garanties financières. Sur le terrain des garanties financières, la loi EnR, n'imposant aucune garantie spécifique, laisse le champ libre au marché pour concevoir des offres adaptées et traiter ces risques sous un autre angle. Il est donc aujourd'hui parfaitement possible de solliciter les assureurs - ou les banques - sur cet autre terrain moins connu, pour leur proposer des montages innovants.

- La prise en charge du photovoltaïque dans le cadre de l'achèvement global

Le premier champ d'intervention du garant va se polariser autour de la thématique de l'achèvement des ouvrages photovoltaïques, comme partie intégrante d'un ensemble immobilier.

En Vefa, concernant le secteur protégé (immeuble à usage total ou partiel d'habitation), l' prévoit que sera considéré comme achevé l'immeuble dont « sont exécutés les ouvrages et sont installés les éléments d'équipement qui sont indispensables à [son] utilisation, conformément à sa destination ». Dès lors, si les éléments de solarisation ont été conçus comme alimentant au moins en partie l'ouvrage, ils pourront être reconnus comme « indispensables » et rentreront de facto dans le champ de couverture de la garantie financière d'achèvement. Le garant se trouvera alors engagé à verser en cas de défaillance les fonds nécessaires à la finalisation de l'ouvrage dans sa globalité, et sans plafond.

Dans le cas du tertiaire, soit le contrat est soumis volontairement à l'empire des dispositions de l', soit une définition conventionnelle de l'achèvement peut être donnée. L'écueil principal serait que le garant, ne souhaitant traditionnellement pas assurer la performance énergétique, cherche à l'exclure. Il est donc important de prévoir une définition de l'achèvement la plus intégrée possible, afin que la couverture des éléments de solarisation ne puisse être contestée. Ceux-ci devront faire partie de l'ensemble immobilier en tant que tel et en constituer une condition sine qua non d'alimentation, et pas simplement une faculté d'optimisation.

Enfin, dans le cas des contrats de promotion immobilière (CPI), la garantie de bonne exécution de l' couvre les sommes nécessaires à l'accomplissement de la « mission du promoteur » envers le maître d'ouvrage ; elle a donc plus essentiellement vocation à constituer une option sur mesure, quelle que soit la portée de la mission.

- La dissociation de l'ouvrage principal et le levier partenarial incitatif

Si la couverture des éléments de solarisation dans le cadre de l'achèvement global de l'ouvrage fait désormais partie du paysage opérationnel, une nouvelle tendance s'est fait jour depuis la crise sanitaire : garantir la centrale ou les panneaux en tant qu'ouvrages distincts, leviers d'optimisation financière de l'opération, ne conditionnant pas la conformité de l'utilisation en adéquation avec sa destination. Et c'est peu ou prou le tertiaire qui se retrouve champ d'expérimentation exclusif de ce type de montage. Le schéma se déploie ainsi en deux temps, éventuellement accompagnés d'une cession intermédiaire :

- une première partie d'opération logée au sein d'une Vefa ou d'un CPI qui consistera à réaliser les travaux relatifs à l'ouvrage principal ;

- une seconde partie, consistant à confier la réalisation des travaux de solarisation via un Befa ou un bail civil à une troisième entité, sur laquelle portera l'obligation de résultat.

Dans ce cadre, les utilisateurs finaux sont amenés à exiger des garanties afin de préserver l'équilibre financier global de la transaction. Il s'agira alors de garanties purement conventionnelles, présentant une couverture extensive de l'achèvement classique, incluant la mise en service et la performance. En sus, la couverture de la défaillance opérationnelle viendra ici s'ajouter à celle de la défaillance financière classique, mais capée.

- La monétarisation de la solarisation

Dernier cas à envisager, celui où la solarisation n'est plus abordée comme un élément à achever, mais comme une composante financière pure de l'opération. Deux types de garanties sont alors envisageables.

Premièrement, les garanties partielles d'achèvement, lorsque certains utilisateurs finaux ne veulent pas endosser le coût d'une garantie globale mais souhaitent verrouiller l'efficience de la solarisation. On garantit alors un pourcentage du chiffre d'affaires TTC de l'opération ou encore le coût travaux des éléments en question. Dans cette hypothèse, pas de dépassement possible du plafond présenté par la garantie financière, et une limitation de la mise en jeu à la défaillance financière.

Deuxièmement, les garanties en substitution de sanctions ou de pénalités. En effet, les contrats prévoient régulièrement l'atteinte de seuils ou de labels qui, s'ils ne sont pas respectés, donnent lieu au versement d'indemnisations.

Ce qu'il faut retenir

  • Le 1er janvier 2024, l'incitation à la solarisation des ouvrages a laissé place à une obligation, née de la loi EnR du 10 mars 2023.
  • Mais le régime juridique applicable aux responsabilités encourues par les installateurs des centrales photovoltaïques en cas de dysfonctionnement est incertain. La difficulté concerne essentiellement les installations posées sur existant, avec le point de savoir si l'exclusion de la garantie décennale au titre de l'article 1792-7 du Code civil concernant les équipements à vocation exclusivement professionnelle peut ou non jouer.
  • En outre, les assureurs se révèlent très prudents pour la couverture de la responsabilité des installateurs, et le cadre de leur intervention est lui-même assez incertain. Se pose notamment la question de l'application de l'exclusion de l'assurance obligatoire prévue par le Code des assurances au titre des ouvrages de production d'énergie.
  • Reste un champ complémentaire à explorer, celui du traitement des risques via des garanties financières, la loi EnR laissant le champ libre au marché pour concevoir des offres adaptées.

(1) Pascal Dessuet, « Responsabilité des constructeurs : le Conseil d'Etat redéfinit le champ d'application de l'assurance obligatoire », « Le Moniteur » du 25 août 2023, p. 32. (2) www.qualiteconstruction.com/sites/default/files/2018-01/PS-Publication-Semestrielle-Janvier-2018.pdf (3) http://listeverte-c2p.qualiteconstruction.com/ (4) Pascal Dessuet, « La place de la notion de “technique courante en matière d'assurance construction obligatoire” », RGDA décembre 2021 p. 6 ; Cass. 3e civ., 10 septembre 2008, n° 07-14884, Bull.

Abonnés
Analyses de jurisprudence
Toute l’expertise juridique du Moniteur avec plus de 6000 commentaires et 25 ans d’historique
Je découvreOpens in new window
Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Construction et talents
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !
Détectez vos opportunités d’affaires