Jurisprudence

Trouble anormal du voisinage et éoliennes : pas de blanc-seing à « l'enlaidissement » du paysage

Le contentieux lié à l’implantation d’éoliennes et l’apparition de potentiels troubles anormaux de voisinage s'intensifie. Le juge doit mettre en balance le droit de propriété et l'intérêt collectif environnemental. La cour d'appel de Rennes a ainsi récemment reconnu l'existence d'un tel trouble au motif que l'installation du parc éolien avait modifié le paysage et avait causé un phénomène dit de « saturation de l’horizon ».

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Le contentieux lié à l’implantation d’éoliennes et l’apparition de potentiels troubles anormaux de voisinage s'intensifie.

Par un arrêt du 28 mars 2023, la cour d’appel de Rennes a confirmé un jugement qui avait retenu le caractère anormal du trouble constitué par un parc éolien visible depuis un bien immobilier. Pour arriver à cette solution, les juges ont relevé d’une part l’existence du droit de propriété des acquéreurs du bien et visé l’article 544 du Code civil.

Article 544 du Code civil :

« La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. »

Caractère permanent des nuisances visuelles et esthétiques

D’autre part, la cour a dû prendre en compte l’objectif d’intérêt public poursuivi par le développement de l’énergie éolienne et l’importance d’un parc éolien classé pour la protection de l’environnement.

Elle a également rappelé que « nul ne peut prétendre bénéficier d’un droit acquis à une vue permanente sur un horizon totalement dégagé » (voir Cass. 3e civ., 13 septembre 2011, n° 10-21467), ce qui implique le devoir pour chacun d’accepter la modification d’un paysage par la main de l’homme compte tenu des évolutions techniques et des besoins sociétaux.

Cependant, et malgré les deux derniers points abordés, la cour d’appel a considéré que l’implantation du parc éolien avait modifié le paysage et avait causé un phénomène dit de « saturation de l’horizon ». Elle souligne « qu' un parc éolien peut être conforme à la réglementation et pour autant causer un trouble anormal du voisinage de même que la modification d'un paysage ne saurait s'analyser en une autorisation d'enlaidissement de celui-ci ».

Ainsi, eu égard au caractère permanent des nuisances visuelles et esthétiques, la cour d’appel a reconnu l’existence d’ un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage.

Une consécration légale des TAV

Certes, cette solution n’est pas constante et la jurisprudence semble être de plus en plus réticente à indemniser les propriétaires impactés par l’existence d’un parc éolien à proximité de leur bien (voir par exemple Cass. 3e civ, 17 septembre 2020, n°19-16937).

Cass. 3e civ, 17 septembre 2020, n°19-16937 :

« Ayant retenu à bon droit que nul n'a un droit acquis à la conservation de son environnement et que le trouble du voisinage s'apprécie en fonction des droits respectifs des parties, [la cour d'appel] a estimé que la dépréciation des propriétés concernées, évaluée par expertise à 10 ou 20 %, selon le cas, dans un contexte de morosité du marché local de l'immobilier, ne dépassait pas, par sa gravité, les inconvénients normaux du voisinage, eu égard à l'objectif d'intérêt public poursuivi par le développement de l'énergie éolienne. »

Toutefois, il faut noter que, jusqu’à présent, le trouble anormal de voisinage (TAV) relevait d’une construction purement jurisprudentielle. Or, par une loi n° 2024-346 du 15 avril 2024, le législateur lui a donné une assise légale en introduisant un article 1253 dans le Code civil.

En son alinéa 1er, cet article 1253 énonce en effet que : « Le propriétaire, le locataire, l'occupant sans titre, le bénéficiaire d'un titre ayant pour objet principal de l'autoriser à occuper ou à exploiter un fonds, le maître d'ouvrage ou celui qui en exerce les pouvoirs qui est à l'origine d'un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage est responsable de plein droit du dommage qui en résulte ». L’alinéa 2 limite la responsabilité de l’auteur du trouble dans certains cas. Cette consécration légale pourra donc susciter de nouvelles initiatives judiciaires...

CA de Rennes, 1re chambre, 28 mars 2023, n° 20/02706

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