Jurisprudence

Urbanisme : BRS et logement social ne jouent pas dans la même cour

Le refus du TA de Toulon d'assimiler le bail réel solidaire au logement social s'agissant des règles de stationnement pourrait alourdir le coût des opérations.

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BRS
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Urbanisme
Conseil d'Etat (CE)Décision du 1959/07/01N°38893
Conseil d'Etat (CE)Décision du 1944/05/05N°69751

Le 28 mars dernier, le tribunal administratif (TA) de Toulon a rendu une décision qui pourrait bien bouleverser l'économie générale des projets de réalisation de logements en bail réel solidaire (BRS). Les juges ont considéré qu'à défaut de dispositions explicites dans le plan local d'urbanisme (PLU), un tel logement ne peut pas être assimilé à un logement social au sens du Code de l'urbanisme en matière de stationnement (TA Toulon, 28 mars 2025, n° 2401441). En pratique, une telle décision, bien que rendue en première instance, peut avoir de lourdes conséquences opérationnelles immédiates pour les porteurs de projet qui verraient les bilans et les prix de revient de leurs opérations considérablement alourdis par l'obligation « nouvelle » de réalisation des places de stationnement.

Le BRS, un outil clé pour produire du logement social

Le BRS connaît une dynamique remarquable dans les politiques de l'habitat. Ce dispositif innovant repose sur une dissociation du foncier et du bâti, permettant de faire baisser le prix des logements. Destiné à favoriser l'accession pour des ménages modestes, la vocation sociale du BRS l'assimile d'emblée à la grande famille du logement social.

Cadre juridique spécifique. Pour autant, le montage en BRS s'inscrit dans un cadre juridique spécifique, distinct de la réglementation applicable au logement social, du moins pour ce qui relève des règles en matière d'urbanisme.

Dans la présente affaire, un voisin immédiat avait demandé l'annulation d'un permis de construire tendant à la réalisation d'un bâtiment comportant neuf logements en BRS. Il estimait notamment insuffisant le nombre de places de stationnement prévues, fixé en l'espèce à neuf, alors que le PLU de la commune en imposait dix-neuf. Le tribunal a fait droit à la requête. Pour les juges, le fait que les BRS soient assimilés à des logements sociaux par la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) est sans effet sur l'application des règles d'urbanisme sur la création des aires de stationnement.

Une décision pédagogique

En l'état du droit, le TA de Toulon a rendu une décision rigoureuse voire pédagogique, en refusant d'appliquer aux logements produits en BRS les dérogations prévues aux articles L. 151-34 et L. 151-35 du Code de l'urbanisme. Pour mémoire, ces articles dérogent aux règles obligeant les porteurs de projet à construire des places de stationnement. Plus précisément, les règles en la matière peuvent être allégées s'agissant des logements sociaux locatifs. La typologie des logements concernés est énumérée par ces articles, sans aucune référence à la notion de logement social en général, ni renvoi à l'article L. 302-5 du Code de la construction et de l'habitation (CCH).

Logement social. La définition du concept de logement social est une problématique très sensible et pour le moins complexe. Elle s'articule avec l'article 55 de la loi SRU, et l'obligation pour certaines communes de disposer d'un quota minimum [25 ou 20 %] de tels logements (art. L. 302-5 et suivants du CCH).

Sont visés traditionnellement les logements locatifs sociaux et, depuis 2019, les logements adossés à un BRS qui sont dès lors intégrés aux logements sociaux (cf. art. 130 de la loi Elan du 23 novembre 2018). Le dispositif du BRS constitue donc une forme de dérogation au logement social, puisqu'il favorise l'accession à la propriété, non la location. En intégrant les logements produits en BRS aux logements sociaux, l'objectif est de permettre aux communes d'atteindre plus facilement le quota imposé par le dispositif SRU et d'éviter les pénalités financières.

Indépendance des législations. Au-delà, le BRS relève du droit de la construction, qui est de facto distinct du droit de l'urbanisme, en dépit d'une grande proximité entre politiques de l'habitat et droit de l'urbanisme, en particulier au regard de l'élaboration des PLU. La distinction entre le droit de l'urbanisme et celui de la construction est légitimée par un principe général du droit, en l'occurrence celui de l'indépendance des législations (CE, 1er juillet 1959, n° 38893 pour le principe d'indépendance des législations ; CE, 5 mai 1944, n° 69751, publié au recueil Lebon pour le mécanisme des principes généraux du droit). Ainsi, l'obtention d'une autorisation ne vaut que pour elle-même, et il en va de même pour l'annulation d'une autorisation (CAA Marseille, 4 décembre 2009, n° 07MA02720).

Interprétation stricte. On l'a vu, les articles L. 151-34 et L. 151-35 précités dérogent aux dispositions en matière de réalisation de places de stationnement. Le périmètre de ces prérogatives se limite donc à ce qui est énoncé par la loi, comme l'indiquent les juges de Toulon. En effet, si l'article L. 302-5 précité prévoit qu'à compter du 1er janvier 2019, sont assimilés aux logements sociaux les logements faisant l'objet d'un BRS, une telle assimilation n'est prévue que dans le cadre des objectifs de réalisation de logements sociaux au sens de la loi SRU. Il est vrai qu'assimiler sans texte le BRS à du logement locatif social semble délicat même s'il s'agit d'un mécanisme reposant sur un bail à long terme porté par un organisme réglementé. On pourrait, de même, arguer que les raisons expliquant les dérogations accordées au logement locatif social, à savoir essentiellement maîtriser les coûts de construction, pourraient valoir pour l'accession sociale.

   La sécurisation juridique des opérations implique de ne pas présumer d'une assimilation automatique des logements en BRS au logement social.

Une décision lourde de conséquences pour les porteurs de projet

Dans l'immédiat - et dans l'attente d'une éventuelle décision des juridictions d'appel ou du Conseil d'Etat -, la sécurisation juridique des opérations implique de ne pas présumer d'une assimilation automatique des logements en BRS à la catégorie du logement locatif social et de prendre en considération les normes applicables au logement libre.

Application des règles du logement libre. Afin de ne pas fragiliser les projets de construction de logements en BRS, les promoteurs devront être en mesure de s'assurer que ceux-ci respectent pleinement les exigences du PLU, notamment pour ce qui relève des obligations en matière de stationnement.

Ils doivent donc procéder à une analyse approfondie des dispositions locales applicables, ce qui pourra faire apparaître des modifications du projet à la marge, voire une refonte complète remettant possiblement en cause l'opportunité même de poursuivre une telle opération quand bien même sa vocation sociale ne serait pas à démontrer. Il faudra désormais intégrer cette nouvelle dimension dès la conception ou modifier les projets en cours, y compris ceux en cours d'instruction de la demande d'autorisation d'urbanisme en confortant la position avec les services d'urbanisme concernés pour éviter tout blocage ou refus de permis.

Renchérissement du coût de revient. En toute hypothèse, l'alignement sur le logement libre devrait probablement renchérir le coût de revient global des opérations, la réalisation de places de stationnement supplémentaires mobilisant davantage de foncier en surface ou en sous-sol, impliquant potentiellement des coûts techniques plus élevés. Un projet pourrait être largement déséquilibré, voire inopérant, alors même que sa vocation sociale impose une accessibilité économique et financière à la fois pour les opérateurs mais également pour les destinataires finaux, les accédants à revenus modestes.

Ce qu'il faut retenir

  • Dans une décision du 28 mars 2025, le tribunal administratif de Toulon a jugé qu'à défaut de dispositions particulières du plan local d'urbanisme concernant les logements en bail réel solidaire (BRS), ces derniers ne peuvent être assimilés à des logements sociaux au sens des règles d'urbanisme relatives aux obligations de réalisation de places de stationnement.
  • Pour les juges, si l'article L. 302-5 du Code de la construction et de l'habitation prévoit qu'à compter du 1er janvier 2019, les logements faisant l'objet d'un BRS sont assimilés aux logements sociaux, une telle disposition n'est prévue que dans le cadre des objectifs de réalisation de logements sociaux au sens de l'article 55 de la loi SRU.
  • Les projets en BRS pourraient alors se voir imposer les mêmes exigences de stationnement que le logement libre, renchérissant mécaniquement le coût des opérations.
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