Désorganisées par le Covid, les chaînes d’approvisionnement en ressources, très mondialisées, sont aujourd'hui confrontées, dans un contexte géopolitique incertain, à de fortes croissances de la demande pour certains matériaux, entraînant des hausses de prix et des retards de livraison. C'est le cas notamment de l’aluminium et du cuivre pour la construction.
Or, les entreprises n’appréhendent pas nécessairement cette réalité dans sa globalité. « Elles observent leur première, leur deuxième ligne de fournisseurs, mais pas au-delà. Pourtant, les ressources traversent les chaînes de valeur, viennent de loin après des parcours compliqués », explique Arthur Cluet, directeur au sein du département Strategy de BDO Advisory.
Pour éclairer notamment les majors et les ETI du BTP, le cabinet d'audit et de conseil a mené une étude sur le sujet, intitulée « La criticité des ressources, un enjeu majeur pour les chaînes de valeur du secteur de la construction ».
« Cette étude, c’était l’opportunité d’analyser la supply chain par type de ressource afin que nos clients comprennent de quelles ressources ils dépendent, de quel pays, de quelle entreprise, pour avoir une vision stratégique et, selon les dépendances, trouver des solutions en cas de problème », explique Arthur Cluet. « Si on prend les majors de la construction : elles se développent beaucoup dans les pays émergents et se tournent vers l’électrification. Il y a là des matériaux à gérer qui sont différents de ceux entrant purement dans la construction. Ont-ils conscience de leur niveau de criticité ? Pas forcément, et notre étude est là pour les aider. »
Criticité
Mais comment définir la criticité, justement ? « Elle repose sur trois points, détaille Arthur Cluet. Le premier, c'est le risque en termes d’approvisionnement. Ensuite, si le risque se matérialise, son impact sur les process. Se pose par exemple la question de savoir si la ressource est substituable ou non. Et enfin, le risque environnemental et les critères ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) au sens large.»
Un point, de plus en plus pris en compte, qui découle des deux premiers, selon Arthur Cluet : « si les conditions d’extraction d’un minerai par exemple vont à l’encontre des principes environnementaux et de la sécurité des personnes, cela fait peser un risque supplémentaire sur l’approvisionnement en cas d’accident », éclaire-t-il.
Des scores – de 0 à 10 (le plus critique) - sont attribués sur les différents axes et un score moyen est établi. Ainsi, l'aluminium obtient une note de 7,4 et le cuivre de 4,6 « Mais plutôt que cette note finale ce sont les combinaisons de critères qu’il est intéressant d’observer », note Arthur Cluet.
« Prenons le cas du cuivre : la hausse de la demande et celle des prix qu’elle entraîne vont faire augmenter la note de criticité. Le fait que ce ne soit pas un matériau substituable par d'autres moins critiques, ayant un rapport performance/prix égal et plus écologique, aussi. Mais, la croissance de la production et le fait que l’Union européenne puisse s’appuyer sur une production « locale » (la Pologne est le premier exportateur de cuivre a destination de l'UE), et soit moins dépendante des importations, va faire baisser ce score. Enfin, la recyclabilité du matériau contribue également à faire baisser sa note de criticité ».
Economie circulaire
En effet, on estime que plus de 70% du cuivre déjà extrait est réutilisé en Europe. Un taux qui s'élève à 50% pour l'aluminium, produit plutôt substituable, sur lequel ne pèsent pas de gros risques d'approvisionnement, mais dont les conditions d'extraction de la matière première - la bauxite - représentent un handicap au regard des critères ESG. « De forts risques d'atteintes à l’environnement ou d'accidents humains, ont un impact réputationnel pour une entreprise », rappelle Arthur Cluet. « Ces critères-là peuvent la pousser à éviter ce sourcing ou à adopter des stratégies d’atténuation. Mais toutes les entreprises ne seront pas regardantes de la même façon : certaines seront très sensibles au critère environnemental d’autre moins.»
Au regard de leur criticité forte, les entreprises doivent donc avoir des réflexions stratégiques en amont sur ces deux matériaux.
« Elles doivent notamment continuer leurs efforts en termes d’économie circulaire, de recyclage et de réemploi. C’est l’angle d’attaque principal. En effet, changer de fournisseur, diversifier ou changer de zone géographique, ne règlera pas le problème du sourcing. Il y a des possibilités de substitution mais cela nécessite de la technologie et des investissements importants… Mais il faut que les efforts d’économie circulaire portent réellement sur les matériaux critiques », conclut Arthur Cluet.