Certes, Macoretz n’est pas pleinement représentative de l’ensemble des entreprises de la construction. Mais, pour nombre d’observateurs, la société coopérative est un modèle de développement économique et social. Elle avait d’ailleurs été récompensée pour sa « performance globale » au plan national par Le Moniteur en 2017 et avait reçu le Grand Prix des mains du ministre la Cohésion des territoires de l’époque, Jacques Mézard.
Comment une telle entreprise vit elle la crise ? C’est l’objet de cette radioscopie, dont l’objectif est aussi d’aider et d’inspirer tous les chefs d’entreprises confrontés à cette situation inédite.
Tout d’abord, une rapide présentation. Macoretz (220 salariés, 23,5 millions de chiffres d’affaires) compte parmi les rares entreprises de Loire-Atlantique à être organisée en « tous corps d’état intégrés » (sauf la peinture). Avec 150 chantiers en cours répartis sur le département (Pays de Retz, Nantes sud, Presqu’île), elle intervient principalement dans trois domaines : la construction maçonnée de maisons individuelles, la construction en bois de maisons/l’extension-surélévation et, enfin, l’agencement et la rénovation intérieure.
Une reprise progressive
Comme 94 % des entreprises du BTP du département, Macoretz a dû stopper son activité le 16 mars dernier. A la différence de nombreux constructeurs de maisons individuelles qui ont largement recours à la sous-traitance, sur les 220 salariés de Macoretz, 130 sont habituellement sur les chantiers.
Mais ce qui constitue un avantage pour ses clients en temps ordinaire a été un défi à relever pour la reprise de l’activité en période de confinement lié au Covid-19. « Nous avons décidé d’expérimenter une reprise progressive, partielle et accompagnée, à compter du lundi 20 avril » résume Xavier Lebot, P-DG de la Scop. « 95 % des salariés se sont portés volontaires et cette reprise ne sera effective et durable que si la santé des clients, des salariés et des partenaires est respectée » insiste-t-il.
Pour plus d’agilité, les modes de gouvernance ont évolué. « Depuis quatre mois, nous avions mis en place une méthode de management visuel de la performance qui nous a été très utile » assure Xavier Lebot.
Depuis la crise, le comité de direction se réuni quotidiennement et le conseil d’administration, une à deux fois par semaine. Pour lutter contre le manque de communication dû au confinement, celle-ci a été renforcée avec, par exemple, deux journaux internes envoyés par courrier électronique chaque semaine et l’organisation d’un apéritif virtuel, chaque jeudi à 17 h.

Chez Macoretz, le « guide des bonnes pratiques » préconisé par l’OPPBTP a été adapté à l’organisation et aux exigences l’entreprise. © Macoretz
… et partielle
Cette reprise progressive est également partielle. Elle se fera d’ailleurs en plusieurs phases et, pour démarrer, seuls l’atelier et les chantiers « non habités » ont été réinvestis, soit 29 chantiers sur les 150 de l’entreprise, concernant une quarantaine d’ouvriers.
Après quelques jours de tests, cette reprise a pu monter en régime. « Cette semaine, 70 %, et bientôt 80 % de nos équipes ont repris le chemin des chantiers et nous avons commencé à faire revenir nos premiers sous-traitants » précise Xavier Lebot.
Côté matériaux, « nous avons repris avec trois semaines d’avance et nous réceptionnons tout de même quelques commandes. Rien n’est complètement bloqué, même si c’est plus compliqué avec nos fournisseurs espagnols ou italiens » indique Xavier Lebot.
Les commerciaux n’ont jamais rompu les contacts avec les clients et prospects, même s’ils ne travaillaient que quelques heures par jour durant le confinement. Comme pour la production, leur retour est progressif et se fait selon un protocole bien précis. Une formation dédiée a été mise en place par des infirmières locales pour établir des règles adaptées, notamment afin de recevoir le public à partir du 11 mai pour qu’ils puissent choisir les matériaux.
« On note un vrai frémissement et notamment depuis que nous avons commencé à communiquer dans la presse locale. Au tout début de la crise, nous ne recevions que 10 % des appels habituellement reçus. Nous sommes à 33 % et nous devrions terminer le mois à environ 50 % » se réjouit Xavier Lebot. Le dirigeant est toutefois assez inquiet sur la question du nouveau délai des recours et du fait que les actes notariés dématérialisés peinent à se développer. « Nous avons sept ou huit projets gelés dans l’attente d’une signature du terrain » témoigne le dirigeant.
L’aventure des masques
Dès le début du confinement, les équipes ont œuvré pour préparer la reprise : aménagement des locaux, réalisation d’un pack d’informations par métier (un logo dédié est même créé !), distribution d’un kit « Covid » par personne et par équipe avec tous les équipements de protection individuelle (EPI) préconisés et choisis par l’entreprise : masques, gants, visières, lunettes, suppression du co-voiturage, etc. « Rien ne peut plus être comme avant » résume le directeur de la production Alain Brazeau.
Le « guide des bonnes pratiques » préconisé par l’OPPBTP a été adapté à l’organisation et aux exigences l’entreprise : masques (deux par jours), gants, visières, lunettes, ni covoiturage, ni co-activité sur les chantiers, etc. Reste que se procurer certains EPI comme les précieux masques n’est pas simple. Aujourd’hui encore, l’entreprise les rationne et attendant une commande de 10 000 unités d’ici la fin de la semaine.
« L’histoire des masques a été une vraie aventure » explique Xavier Lebot. Suivant les recommandations du guide de l’OPPBTP, l’entreprise a d’abord tenté de commander des masques FFP2. « Vu la pénurie dans le milieu hospitalier, nous étions assez mal à l’aise mais nous en avons néanmoins commandé 4 000 » raconte le dirigeant. Pour cela, l’entreprise s’est servie du réseau « Dirigeants responsables de l’Ouest » (DRO) et est passée par l’intermédiaire d’un fabriquant de trottinettes vendéen disposant d’un réseau et de contacts en Chine. « C’était le 30 mars dernier et nous devions les avoir dans les huit jours. Aux dernières nouvelles, ils viennent d’arriver à la douane de Nantes » sourit Xavier Lebot.
Heureusement que l’entreprise a activé d’autres réseaux. Le 11 avril dernier, elle a commandé 10 000 masques chirurgicaux via la coopérative d’achat des Scop, Copadev. Arrivée en douane samedi dernier, la livraison se fait encore attendre car face à la poussée des contrefaçons, l’Etat a renforcé les contrôles.
Pour pouvoir démarrer dans des conditions sanitaires acceptables, les équipes de production ont pu disposer de visières de protection en plexiglas et de 550 masques chirurgicaux livrés en dépannage par Harmonie Mutuelle.
Trésor de guerre
S’il est encore difficile à estimer, le coût économique de la crise sera considérable. Une chance, l’entreprise dispose d’un trésor de guerre qui est son bon niveau de fonds propres, notamment en raison de son statut de société coopérative et participative qui « oblige » ces structures à constituer des réserves. « Nous avons démarré la crise avec environ 1,8 million d’euros de trésorerie ce qui nous permettra de tenir jusqu’à la fin mai sans souci » assure Xavier Lebot.
Passé cette date, l’entreprise vient d’avoir la confirmation qu’elle allait pouvoir ensuite bénéficier de 2 millions d’euros de prêts garantis par l’Etat via la BPI. De quoi aider à encaisser le choc de cette crise sans précédent. Car, même pour cette entreprise en excellente santé, ce choc sera rude. « Notre année comptable se termine le 30 septembre et, avant la crise, nous avions tablé sur une progression de 4 à 5 %. Si la reprise de l’activité se confirme et que nous atteignons 90 % de la production jusqu’en septembre, nous terminerons notre année entre 0 et -2 % » déclare Xavier Lebot.
Retour sur sept semaines particulières
- lundi 16 mars : Macoretz prend la décision de fermer l’entreprise aux visiteurs et d’arrêter les travaux ; tous les chantiers sont nettoyés, protégés et mis en sécurité ; repli en télétravail partiel, information des clients et parties prenantes, organisation de la dématérialisation de tous les services aux clients (visioconférences, etc.) ;
- jusqu’au 28 mars : les constructeurs subissent les injonctions contradictoires du gouvernement ; on les enjoint à se confiner... et à continuer de travailler sur les chantiers ; tension autour du chômage partiel dont on ne sait pas encore si la filière BTP pourra en être bénéficiaire ; l’insécurité économique plane ;
- 21 mars : le gouvernement demande à l’OPPBTP de rédiger « un guide des bonnes pratiques » afin de définir rigoureusement les conditions de reprise du travail sur les chantiers ; l’entreprise se mobilise autour des fondamentaux de gestion (clients, trésorerie, sécurisation de l’emploi, trajectoire d’activité de l’entreprise, etc ) ;
- 3 avril : publication du guide de l’OPPBTP ;
- à partir du10 avril : Macoretz transpose le plan de reprise de la filière dans son organisation ; les masques et visières commandés se font attendre... ;
- 16 avril : reprise des responsables de production, de santé ;
- lundi 20 avril : réouverture de 29 chantiers avec 40 ouvriers dans tous les métiers (gros œuvre, clos-couvert, finitions et réouverture de l’atelier ossature bois) ; reprise d’une partie des postes indirects et de l’encadrement ;
- 23 avril : premier bilan (positif) de cette reprise ; les deux tiers des équipes sont désormais sur les chantiers et l’entreprise a commencé à faire revenir ses premiers sous-traitants ; elle devrait passer rapidement de 70 à 90 % de la production ayant redémarré.