« Décarboner sans isoler, ça ne fonctionne pas », Dominique Estrosi-Sassone, sénatrice (LR) des Alpes-Maritimes

Près de 150 professionnels ont été auditionnés par la commission d'enquête sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique, dont 5 anciennes ministres du Logement et l'actuel ministre Olivier Klein. La commission a adopté à l'unanimité un rapport de près de 900 pages, dont 200 portant sur le constat et les recommandations. De quoi nourrir les réflexions du gouvernement...

Réservé aux abonnés
Dominique Estrosi-Sassone, sénatrice LR des Alpes-Maritimes et rapporteure du titre III de la loi « Différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification » (3DS) sur l’urbanisme et le logement
Dominique Estrosi-Sassone dans son bureau à l'hôtel de ville de Nice, en février 2022.

Quelle approche avez-vous retenue pour la commission d’enquête que vous avez présidée ?

Nous avons fourni un travail approfondi, sur un sujet très large, celui de la rénovation énergétique des logements. Notre commission a auditionné 147 personnes, individuellement ou sous forme de tables-rondes. Notre rapport, remis le 29 juin dernier et qui est présenté ce mercredi 5 juillet, se veut avant tout pragmatique. Nous n’avons pas discuté les objectifs, cohérents avec la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), mais nous avons cherché à comprendre pourquoi ces objectifs demeurent largement incantatoires.

Quels constats dressez-vous sur le sujet de la rénovation énergétique des logements ?

Nous avons d’abord pointé le risque d’un découragement de nos concitoyens sur ce sujet. Les dispositifs changent sans cesse et demeurent trop complexes. Et le reste à charge demeure trop important, en particulier pour les ménages modestes.

Nous avons ensuite insisté surla nécessité de s’inscrire dans une dynamique de rénovation globale. Le geste par geste a du sens, et s’est d’ailleurs massifié ces dernières années, parce qu'il sensibilise les ménages à la rénovation énergétique et peut les inscrire dans une démarche plus globale. Mais pour tenir les ambitions de la SNBC, il faut rénover 370 000 logements par an au niveau BBC d’ici 2030, puis 700 000 au-delà. Or, selon les méthodes de comptage, nous nous situons entre 50 000 et 100 00 !

Enfin, nous avons souligné le manque de fiabilité des principaux outils sur lesquels sont fondées les politiques publiques. Le diagnostic de performance énergétique (DPE) n’est pas suffisamment crédible pour mesurer effectivement un avant / après. Les contours de Mon Accompagnateur Rénov’ sont encore très flous. Aura-t-il une mission de conseil, d’accompagnement, de suivi administratif ? Quelles seront les garanties effectives de sa neutralité ? Le dispositif RGE manque d’attractivité, ce qui explique que nous soyons très loin des 250 000 qualifiés que Bruno Le Maire appelle de ses vœux pour 2025. Le prêt Avance mutation et l'Eco-prêt à taux zéro (Eco-PTZ) ne sont pour ainsi dire pas distribués. Il faut remonter les plafonds de l'éco-PTZ et que le prêt avance mutation soit moins sélectif.

Vous appelez de vos vœux une stratégie claire. Cela ne nécessite-t-il pas des objectifs clairs ? Or, le Gouvernement parle autant de décarbonation que de rénovation…

Décarboner sans isoler, ça ne fonctionne pas. Il faut faire les choses dans le bon ordre ! Nous nous opposons d’ailleurs à l’électrification totale du parc, il est essentiel de conserver un mix énergétique. La géothermie ou la biomasse ont toute leur place. Interdire les chaudières au gaz n’est pas non plus une bonne idée, car se passer des chaudières est parfois impossible !

Estimez-vous le budget public suffisant ?

Nous préconisons d’augmenter le budget de MaPrimeRénov’ en 2024 à 4,5 Mds€. Nous souhaiterions d’ailleurs insérer ces montants de crédits dans la prochaine loi de programmation énergie-climat, à défaut de pouvoir l’intégrer dans une programmation budgétaire pluriannuelle, à laquelle l’administration est toujours réticente.

Comment regardez-vous la dualité du dispositif, qui repose pour partie sur les crédits publics de MaPrimeRénov’ et pour partie sur les certificats d’économie d’énergie (CEE), émanant de fonds des énergéticiens ?

Il est impératif d’harmoniser les dispositifs CEE et MaPrimeRénov’. Cette dualité crée de la complexité et de la perte de confiance ! Il faut d’ailleurs mieux mesurer l’efficacité des CEE, pour ensuite mieux les coupler à MaPrimeRénov’.

Quel regard portez-vous sur la fraude à la rénovation énergétique (lire notre enquête ici) ?

Il faut impérativement renforcer les contrôles. La DGCCRF a besoin de davantage de moyens, alors que près de 1 000 postes ont été supprimés (en 15 ans, soit près d'un quart des effectifs selon un rapport sénatorial, NDLR) ! Les consommateurs doivent être mieux sensibilisés, à l’heure où l’interdiction du démarchage est largement contournée. Il faut par exemple faire mieux connaître le site signal-conso.fr.

Les contrôles sur chantier doivent aussi faire l’objet d’une mise en cohérence. CEE, MaPrimeRénov’, RGE : ces contrôles ne sont pas rapprochés les uns des autres. L’échange d’informations est essentiel.Il faut enfin renforcer les sanctions administratives et pénales.

La refonte annoncée par le Gouvernement pour les aides en 2024 vous semble-t-elle aller dans le bon sens ?

Oui, cela va dans le sens d’une partie de nos recommandations. Le pilier Performance mettrait bien l’accent sur la rénovation globale tout en rapprochant MaPrimeRénov’ et les CEE, pour embarquer le plus grand nombre. Cela va dans le sens de ce que nous préconisons.

Comptez-vous sur la faculté d’écoute du Gouvernement ?

Je le souhaite en tout cas. Nous avons fourni un travail pragmatique, qui ne porte pas que sur le bilan du pouvoir actuel puisque nous sommes remontés jusqu’en 2012. Le Gouvernement aura dans ce rapport de quoi s’inspirer. Les mesures que nous portons pourront nourrir le projet de loi de finances pour 2024, la programmation pluriannuelle sur l'énergie et le climat qui sera en débat au Parlement à l'automne, puisque ce qu'il ressort de notre enquête, c'est le besoin d'inscrire les objectifs et les moyens sur la durée.

Et si le gouvernement ne s'en empare pas ?

A moyen terme, nous pourrons mettre sur pied une proposition de loi qui reprend tout ou partie des propositions de la commission d'enquête.

Sentez-vous le monde du bâtiment mobilisé autour de la rénovation énergétique ?

Sincèrement, oui. Le monde du bâtiment est prêt à bouger. Je le vois dans mon département des Alpes-maritimes, personne ne conteste la nécessité d’évoluer. Mais les acteurs attendent du pragmatisme, du réalisme. Il faut par exemple un effort beaucoup plus important, de l’ouvrier à l’architecte, pour former et professionnaliser. Les techniques évoluent, il faut se mettre en capacité d’atteindre les objectifs.

Une mission d’information sur la rénovation énergétique a été lancée quelques semaines après votre commission d’enquête, à l’Assemblée nationale. Ces deux initiatives sont-elles coordonnées ?

Non. Une commission d’enquête est une démarche beaucoup plus lourde. J’aurais aimé que nous ayons des contacts, mais le temps nous a manqué.

La commission que vous avez présidée avait un rapporteur adhérent d’Europe Ecologie – Les Verts, Guillaume Gontard. Le dialogue transpartisan a-t-il fonctionné ?

Nous avons travaillé dans un esprit très constructif, le rapport a d’ailleurs été adopté à l’unanimité par les membres de la commission d’enquête. Notre travail a pu avancer car Guillaume Gontard et moi-même avons travaillé, avec tous les membres de la commission, dans un esprit très consensuel.

Abonnés
Baromètre de la construction
Retrouvez au même endroit tous les chiffres pour appréhender le marché de la construction d’aujourd'hui
Je découvreOpens in new window
Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Construction et talents
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !
Détectez vos opportunités d’affaires