Nous pensons que le hors-site est un moyen central pour décarboner la construction », affirme de but en blanc Thibaut Octave, directeur stratégie climat du spécialiste de la construction industrialisée GA Smart Building. Entre la RE 2020 et la crise de la construction, cette technique nourrit en effet les espoirs des entreprises du bâtiment qui s'y lancent : ils entendent ainsi associer à une baisse des coûts et à une mise en œuvre plus rapide une réduction notable des émissions de CO liées à leurs activités.
Entre 20 et 40 % de camions en moins sur site. Pour démontrer l'efficacité de ce mode constructif, GA Smart Building a réalisé une étude comparative des flux de camions entre un chantier toulousain qui y recourt et un autre suivant une méthode traditionnelle. « Ce sont entre 20 et 40 % de camions en moins sur site, et donc autant d'émissions de gaz à effet de serre évitées. C'est, en outre, un très bon moyen de mobiliser des matériaux biosourcés qui se prête particulièrement à l'assemblage », poursuit le directeur.
D'autres acteurs partagent cette analyse et misent aussi sur l'industrialisation. C'est le cas de Luc Belot, vice-président de Mayers, entreprise spécialisée dans la construction hors site créée par le promoteur Réalités en 2021. « Un an plus tôt, le groupe, devenu entreprise à mission, cherchait des moyens de décarboner ses modes constructifs. Le bois est très vite arrivé sur la table, mais nous estimions alors que le secteur manquait de maturité. Nous avons finalement décidé, via le rachat d'un industriel spécialisé dans le hors-site 2D en bois, de mettre en place toute une stratégie de décarbonation grâce à cette technique, en ajoutant notamment des capacités d'impression 3D modulaire », se remémore-t-il. Même si Réalités n'est plus qu'actionnaire minoritaire de Mayers, le groupe a réussi, par ce parti pris, à atteindre son objectif de réduire de 40 % l'empreinte carbone de ses constructions au mètre carré.
Adopter les processus et matériaux appropriés. Pour autant, ces performances environnementales ne justifient pas à elles seules l'attrait des acteurs pour ce mode constructif. Après vingt-cinq ans chez Renault, Olivier Delamarre, directeur de la stratégie et du développement chez Léon Grosse, ETI du BTP savoyarde, a constaté à son arrivée il y a cinq ans que « le secteur de la construction regardait l'automobile comme le Graal vers lequel tendre pour gagner en efficacité, optimiser les coûts, les délais, la qualité, et in fine le carbone ». Considérant que le hors-site 3D n'était pas assez mature, le groupe a choisi d'investir dans la préfabrication des enveloppes des bâtiments, notamment via Techniwood, spécialisé dans la façade bois, ou Kyotec et Rinaldi pour les façades techniques.
De son côté, Eiffage a créé en janvier 2024 une filiale dédiée : Eiffage Construction Hors-site. « La construction en sous-ensembles 2D ou modulaire 3D n'est pas forcément bas carbone », remarque François Vaché, son directeur adjoint. Il met en garde contre les raccourcis : « Prenons l'exemple de B3 Ecodesign, spécialiste de l'upcycling de containers maritimes en fin de vie, qui sont des produits vertueux par définition. En comparaison, l'emploi de containers neufs en construction présenterait un bilan carbone désastreux… avec une solution constructive pourtant dite hors site. C'est en adoptant les processus et matériaux appropriés que le hors-site devient alors bas carbone. » Le hors-site, oui, mais pas n'importe comment.
Les acteurs du bâtiment entre impatience et prudence
Avec 44 % de répondants, la préfabrication figure dans le top 3 des technologies innovantes auxquelles les entreprises de bâtiment ont recours. C'est ce que révèle l'enquête menée au printemps par « Le Moniteur » et la FFB sur l'innovation dans le secteur, dont les résultats complets seront dévoilés au Mondial du bâtiment, du 30 septembre au 3 octobre à Paris. Les professionnels interrogés en perçoivent nettement l'intérêt : elle permet de « raccourcir la durée des chantiers » et de bénéficier « d'environnements de travail et de coûts mieux maîtrisés », souligne un membre d'une filiale de grand groupe. Ce représentant d'une grosse PME trouve « un vrai intérêt à travailler en usine parce qu'il est compliqué de recruter des gens sur les chantiers, qui demeurent un environnement dangereux. » Reste un frein : le coût. « La préfabrication et le hors-site, j'ai voulu en faire, raconte ce petit patron. C'est intéressant mais, économiquement, ce n'est pas viable. En théorie, pourtant, nous devrions nous y retrouver. »