Interview

"Nous sommes hostiles à une révision généralisée des prix", Marianne Louis (USH)

Les bailleurs sociaux ne seraient pas soumis à l'obligation de conclure des contrats à prix révisables ou actualisables, estime l'Union sociale pour l'habitat en s'appuyant sur une note juridique.

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Marianne Louis, directrice générale de l'Union sociale pour l'habitat (USH)
Marianne Louis, directrice générale de l'Union sociale pour l'habitat (USH).

Les entreprises, s’estimant prises en étau entre les fournisseurs et les maîtres d’ouvrage, demandent à ce que ces derniers révisent les prix à la hausse pour accompagner l’inflation des prix des matériaux. Les bailleurs sociaux seront-ils enclins à les augmenter ?

Nous avons mené une enquête auprès des bailleurs sociaux adhérents, peu avant la crise en Ukraine, sur cette thématique. 90% des bailleurs sociaux qui ont répondu affirmaient avoir été contactés par leur maîtrise d’œuvre sur la question de la pénurie des matériaux de construction, pour au moins une opération. Attention, tous les chantiers n’étaient pas forcément concernés ! Nous encourageons le dialogue entre nos adhérents et les entreprises, pour trouver des solutions. Je rappelle que pendant la crise sanitaire, 71% des bailleurs sociaux contactés ont par exemple renoncé aux pénalités de retard. Nous défendons un dialogue permanent, mais nous sommes hostiles à une révision généralisée des prix, via l’intégration de clause de révision indexée.

Pourquoi êtes-vous hostiles à la conclusion de contrats prévoyant une révision des prix automatique, via un système d’indexation ?

Car cela fait peser un système inflationniste sur les locataires et les accédants à la propriété. Qui s’engagera à acheter un logement dont il ne connaît pas le prix final à la livraison ? In fine, la mise en œuvre de cette idée bloquerait le marché et ralentirait toute la filière.

Les difficultés du bâtiment sont indéniablement réelles dans certaines situations, et c’est pour cela que les bailleurs discutent localement avec leurs maîtres d’oeuvre mais en observant les résultats de grands groupes industriels, on remarque que ce n’est pas la crise pour tout le monde et que les grands fournisseurs de matériaux affichent des résultats exceptionnels. Emmanuelle Cosse, la présidente de l’Union sociale pour l’habitat (USH), a écrit à Jean Castex en ce sens. Une médiation de filière organisée par Pierre Pelouzet est en cours, avec un projet de charte des acteurs et c’est une bonne chose, l’Etat doit encourager au dialogue.

Les bailleurs sociaux ne sont-ils pas soumis par le Code de la commande publique (CCP) à l'obligation de conclure des contrats à prix révisables ?

Les organismes HLM sont sollicités sur cette question par leurs partenaires et les fédérations régionales du bâtiment. Nous avons mené un travail juridique approfondi et mandaté un cabinet d’avocats dont les conclusions confirment notre analyse sur ce sujet. Il ressort clairement que les Entreprises sociales pour l’habitat et les Coopératives HLM ne sont pas visées par les articles R. 2112-7 et suivants du CCP, les Offices publics de l’habitat non plus puisqu’ils peuvent revendiquer l’exception prévue à l’article R. 2100-1 du CCP (1).

Quelle est la position de l’Union sociale de l’habitat et de ses adhérents sur la théorie de l’imprévision ?

L’imprévision peut s’appliquer à tous les marchés, qu’ils soient publics ou privés. Et il est tout à fait légitime qu’une entreprise ne travaille pas à perte. Naturellement l’imprévision ne se décrète pas, elle se démontre et les critères de l’imprévision doivent être réunis. Les hausses de prix doivent être très importantes, non liées aux parties et surtout, imprévisibles. Cela ne peut s’apprécier qu’au cas par cas. Par exemple, la pandémie de Covid-19 était imprévisible, nous étions donc favorables à l’application de cette théorie et avons informés nos adhérents sur les conditions requises.

Depuis quelques mois, nous observons une forte hausse des prix dans les devis. Nous pouvons donc considérer que, dans beaucoup de cas, les entreprises ont anticipé la hausse des prix des matériaux et qu’un marché passé récemment a intériorisé l’inflation. Toutefois, lorsqu’une entreprise a remporté un contrat il y a plusieurs mois, et que les opérations n’ont pas pu être lancées pour diverses raisons non imputables à l’entreprise, alors là oui, la théorie de l’imprévision pourrait s’appliquer. Car à l’époque, il était impossible d’anticiper une si forte hausse des coûts des matériaux, accrue par les différentes crises. D’une manière générale, la mise en œuvre de l’imprévision doit se traduire par un dialogue autour de l’équilibre économique du projet et un examen au cas par cas.

(1) NDLR : A noter que tel n'est pas le point de vue de la Direction des affaires juridiques de Bercy. Celle-ci considère que "les articles R. 2112-8 à R. 2112-14 du CCP relatifs à la forme des prix s’appliquent à tous les pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices. [...] Ainsi, les Epic de l’Etat, les personnes publiques sui generis et toutes les personnes morales de droit privé soumises au Code de la commande publique sont tenus, en application de l’article R. 2112-13 du code, de conclure leurs marchés à prix révisables lorsque les parties sont exposées à des aléas majeurs du fait de l’évolution raisonnablement prévisible des conditions économiques pendant la période d’exécution des prestations".

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