En cas de marché sous-traité, le "voisin occasionnel" est le sous-traitant qui a effectivement réalisé les travaux ayant généré les désordres. La responsabilité sans faute de l’entreprise principale ne peut pas être retenue pour trouble anormal de voisinage, selon un arrêt du 19 mai 2016 de la Cour de cassation.
Trois garages adossés au mur mitoyen d’une maison d’habitation sont démolis et des travaux de terrassement sont entrepris sur le terrain adjacent. Des fissures apparaissent sur la maison environ un mois après l’achèvement de ces travaux. Aucune réparation n’est effectuée et les désordres s’aggravent avec une telle ampleur que la démolition de la maison d’habitation est préconisée dans les plus brefs délais. Le maître d’ouvrage, l’entreprise de démolition mandatée par lui et leurs assureurs sont condamnés in solidum à indemniser la propriétaire des préjudices résultant des dégradations causées à sa maison.
Le maître d’ouvrage est responsable sans faute
Les juges d’appel retiennent la responsabilité civile du maître d’ouvrage en se fondant sur la théorie des troubles anormaux de voisinage. La propriété est un droit absolu, reconnu depuis la Déclaration des droits de l’Homme de 1789 et codifié à l’article 544 du Code civil : « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, [...] », mais, rappelle de façon constante la Cour de cassation « nul ne doit créer à autrui de trouble anormal de voisinage » (Cass. civ. 2e, 19 novembre 1986, n° 84-16379 et Cass. civ. 3e, 13 avril 2005, n° 03-20575). Sinon, les juges retiennent la responsabilité du propriétaire, auteur des troubles, même si celui-ci n’a commis aucune faute.
Le constructeur est un voisin occasionnel
Cette responsabilité du maître d’ouvrage, engagée dès que le caractère anormal du trouble généré par l’ouvrage ou les travaux litigieux est démontré, a été étendue par le juge aux constructeurs, « étant, pendant le chantier, les voisins occasionnels des propriétaires lésés » (Cass. civ. 3e, 22 juin 2005, n° 03-20068 et 03-20991). Ainsi un maître d’ouvrage se trouve-t-il subrogé dans les droits du voisin lésé et peut-il lui-même être dédommagé des indemnisations auxquelles il est condamné. Une leçon bien comprise du maître d’ouvrage de cette affaire, qui appelle en garantie l’entreprise de démolition et de terrassement qu’elle avait chargée des travaux.
Choisir un sous-traitant n’est pas réaliser les travaux
Le caractère anormal du trouble de voisinage subi par la propriétaire voisine ne faisait de doute pour personne, ni la relation de cause directe entre le trouble généré et les travaux réalisés. En revanche, et c’est là tout l’intérêt de cet arrêt, l’entrepreneur chargé de la démolition et du terrassement par le maître d’ouvrage n’avait pas lui-même réalisé les travaux. Il les avait intégralement sous-traités à une EURL et le dommage avait été causé par ces travaux sous-traités.
Pour retenir la responsabilité solidaire de l’entreprise avec le maître d’ouvrage, les juges d’appel avaient caractérisé sa « participation aux travaux de démolition et de terrassement » par le recours à la sous-traitance, le choix du sous-traitant, la demande d’un devis et la facturation au maître d’ouvrage. Une erreur pour la Cour de cassation qui casse l’arrêt. Elle précise ainsi sa doctrine sur la « relation de cause directe entre les troubles subis et les missions respectivement confiées », dégagée dans son arrêt du 28 avril 2011 (Cass. civ. 3e, 28 avril 2011, n° 10-14516, 10-14517) où elle avait retenu la responsabilité des architectes et bureaux d’études en qualité de voisins occasionnels, alors même qu’ils ne « sont pas matériellement présents sur le fonds voisin » à celui de la victime.
Le sous-traitant est le voisin occasionnel
Ce n’est pas la sous-traitance qui a causé les désordres, mais les travaux sous-traités. Dès lors, la mission de sous-traitance confiée au tiers qui exécute les travaux est insuffisante à caractériser le lien entre le constructeur qui sous-traite et le dommage. L’élément matériel - la réalisation effective des travaux - ayant un lien de causalité directe avec la réalisation du trouble faisant défaut, la responsabilité sans faute du constructeur ne peut être engagée. Ce qui signifie que c’est le sous-traitant qui est voisin occasionnel et débiteur à ce titre d’une responsabilité sans faute.