La loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l'industrie verte contient plusieurs mesures destinées à faciliter l'implantation d'usines dans une optique de développement durable. Leur mise en application nécessitait l'adoption d'un décret. Ce dernier est intervenu le 5 juillet dernier (décret n° 2024-704) et a déjà fait l'objet d'un recours de la part d'associations qui y voient notamment une régression du droit de l'environnement.
Selon la note de présentation du décret, l'industrie verte est celle qui fournit les produits et les technologies permettant de transformer les activités du quotidien pour bâtir une nation décarbonée. La volonté du législateur est de favoriser le développement d'un tissu industriel large pour soutenir ces technologies de décarbonation. Pour y parvenir, la loi a plus particulièrement entendu compléter le Code de l'urbanisme (C. urb. ) et le Code de l'environnement (C. env.) aux fins d'élargir le champ de la déclaration de projet, d'adapter le régime juridique applicable aux espèces protégées et de créer une nouvelle catégorie de projet d'intérêt national majeur (PINM).
Le champ de la déclaration de projet élargi
La déclaration de projet (art. L. 300-6 C. urb.) portait initialement sur la mise en compatibilité des documents d'urbanisme - principalement les schémas de cohérence territoriale (Scot) et les plans locaux d'urbanisme (PLU) - pour la réalisation d'une « action ou d'une opération d'aménagement » ou « d'un programme de construction ».
Ces notions sont suffisamment larges pour englober une grande variété de projets publics et privés. Il a, par exemple, été considéré qu'une simple carrière pouvait faire l'objet d'une déclaration de projet (CAA Lyon, 10 décembre 2020, n° 19LY03478). La condition étant, dans tous les cas, que le projet réponde à un intérêt général que le juge vérifie étroitement en appliquant la théorie du bilan.
Energies renouvelables. Le législateur a récemment créé deux nouvelles catégories d'opérations entrant explicitement dans le champ de la déclaration de projet. Tout d'abord, depuis la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables (EnR), dite « loi Aper », les installations de production d'EnR, de stockage d'électricité, de production d'hydrogène renouvelable ou bas carbone peuvent donner lieu à une déclaration de projet. Il en va de même de leurs ouvrages de raccordement, ainsi que de ceux du réseau public de transport ou de distribution d'électricité.
Technologies favorables au développement durable. Ensuite, pour répondre à l'urgence climatique, la loi Industrie verte a ajouté la catégorie des installations relevant des « secteurs des technologies favorables au développement durable ». L'objectif est de faciliter les implantations participant à la décarbonation dans pratiquement tous les domaines d'activité (industrie, bâtiment, mobilité, agriculture, déchets).
Le décret du 5 juillet 2024 identifie plus précisément huit secteurs concernés par l'implantation d'installations industrielles de fabrication, d'assemblage ou de recyclage de produits et d'équipements favorables au développement durable. Compte tenu de l'évolution permanente des technologies et des besoins, le nouvel article R. 300-14 du Code de l'urbanisme issu de ce décret ne prétend pas à l'exhaustivité. Ainsi, pour chaque secteur présenté ci-après, les produits et équipements cités dans le texte sont précédés de l'adverbe « notamment » : - technologies de décarbonation du bâtiment : matériaux bas carbone et matériaux isolants, pompes à chaleur, composants électroniques servant à la maîtrise énergétique ; - technologies de décarbonation des mobilités : véhicules électriques et bas carbone ; - technologies de décarbonation de l'industrie : capture, transport, traitement, stockage et utilisation du carbone, fours et chaudières électriques, etc. ; - technologies de décarbonation de l'agriculture : engrais organiques, équipements bas carbone servant l'agriculture (tracteurs, machines agricoles) ; - technologies de production, de réseau et de stockage de l'énergie bas carbone dans le nucléaire, l'éolien, le solaire, le gaz renouvelable, l'hydroélectricité, les énergies marines, l'hydrogène, les réseaux (électriques, chaleur, froid), les batteries, la géothermie, la chaleur biomasse et le solaire thermique, la chaleur fatale issue de la valorisation énergétique des déchets, de l'industrie, des data centers et des stations de traitement des eaux usées ; - technologies de fabrication de produits biosourcés et de production de biocarburants renouvelables, de carburants de synthèse et/ou à base de carbone recyclé ; - technologies de production et transformation de matières premières permettant de fabriquer les produits et équipements favorables au développement durable, dont la filière de transformation du bois ; - secteurs des technologies de recyclage des déchets de matériaux.
Par ailleurs, sont aussi visés les entrepôts de logistique implantés sur le site industriel et qui sont nécessaires au fonctionnement de l'installation (art. L. 300-6 C. urb.). En définitive, une grande variété d'installations concourant à la réalisation de produits et d'équipements favorables au développement durable est ainsi concernée par cette extension du champ de la déclaration de projet.
Portée pratique. La portée pratique de cet élargissement peut toutefois être nuancée à deux égards. D'une part, l'examen des travaux parlementaires révèle que le législateur a clairement entendu élargir le recours à la déclaration de projet pour accélérer l'implantation des installations vertes. L'intention est certainement louable, mais elle repose sur une méprise. La déclaration de projet est certes une procédure de mise en compatibilité ciblée du document d'urbanisme pour permettre la seule réalisation du projet, mais elle n'est pas pour autant plus rapide qu'une autre procédure d'évolution du Scot ou du PLU. En effet, l'élargissement du champ de l'évaluation environnementale et l'obligation de mettre en œuvre une concertation préalable à chaque fois qu'une telle évaluation est imposée ont, ces dernières années, significativement allongé la durée de la procédure de déclaration de projet. Dans les faits, elle peut nécessiter plus d'une année d'instruction. Il convient ainsi d'abandonner cette fausse croyance, pourtant constamment reprise, selon laquelle elle permettrait d'accélérer la réalisation d'une opération.
D'autre part, l'un des intérêts de la déclaration de projet réside dans le fait que l'Etat - ou une autre personne publique - peut lui-même la mettre en œuvre, en particulier dans les cas où la collectivité compétente au titre du PLU ne veut pas s'engager politiquement, voire est carrément hostile au projet. Toutefois, dans cette hypothèse, l'article L. 300-6 du Code de l'urbanisme comporte une limite : l'Etat ne peut pas recourir à cette procédure en lieu et place de la collectivité si le projet a pour effet de porter atteinte à l'économie générale du projet d'aménagement et de développement durables (PADD) du Scot et, en l'absence de Scot, du PLU.
C'est précisément en raison de cette limite que le Conseil d'Etat a pu considérer, dans son avis du 11 mai 2023 sur le projet de loi Industrie verte (n° 407035), que celui-ci ne méconnaissait pas le principe de libre administration des collectivités territoriales. Il en ressort que, si un projet d'installation industrielle verte méconnaît substantiellement le PADD et que la commune refuse d'accompagner le projet, l'action de l'Etat s'en trouve alors paralysée, sauf à recourir à un autre outil juridique comme le projet d'intérêt général (PIG).
La déclaration de projet n'est pas plus rapide qu'une autre procédure d'évolution du Scot ou du PLU.
Déclaration de projet valant RIIPM
La loi Industrie verte s'est également préoccupée de renforcer la sécurité juridique de certains grands projets en ce qui concerne la dérogation espèces protégées. Pour rappel, cette dernière doit être obtenue en même temps que l'autorisation environnementale à chaque fois que le projet conduit à détruire certaines espèces protégées ou leurs habitats. Elle constitue aujourd'hui le talon d'Achille de nombreuses opérations compte tenu de la première condition à respecter pour en bénéficier : l'existence d'une raison impérative d'intérêt public majeur (RIIPM), laquelle est interprétée par le Conseil d'Etat dans un sens peu favorable aux pétitionnaires.
Sans aller jusqu'à prendre le risque de modifier le régime légal applicable aux espèces protégées, qui découle en tout état de cause de la directive « Habitats » (directive 92/43/CEE du 21 mai 1992), le législateur privilégie aujourd'hui des adaptations ciblées pour faciliter la mise en œuvre de certains projets.
« Informations essentielles ». Pour les installations industrielles mentionnées plus haut, la loi du 23 octobre 2023 (art. 17) a ainsi prévu que, lorsqu'elle est adoptée par l'Etat pour un dossier qui nécessite une dérogation espèces protégées, la déclaration de projet peut également reconnaître par anticipation le caractère de projet répondant à une RIIPM (art. L. 300-6 C. urb.). Pour bénéficier de cette mesure, l'Etat doit être rendu destinataire des « informations essentielles » lui permettant de fonder sa décision sur la reconnaissance d'une RIIPM. Le nouvel article R. 411-6-2 du Code de l'environnement créé par le décret du 5 juillet 2024 précise les informations que le porteur de projet doit fournir à l'Etat : - les caractéristiques principales du projet et sa raison d'être ; - le nombre d'emplois que celui-ci permet de créer et la contribution (avérée, chiffrée et identifiée) apportée au bassin d'emploi dans lequel il s'inscrit ; - la description des enjeux attachés au projet urbain ou au programme de développement local ou national dans lequel s'inscrit l'opération, et sa cohérence avec lesdits enjeux.
Contrôle du juge. Ces informations recoupent, pour une assez large part, les attendus du juge administratif dans sa vérification de la condition tenant à l'existence d'une RIIPM. En outre, la déclaration de projet fait elle-même l'objet d'un contrôle juridictionnel étroit quant à son utilité publique par la vérification de sa nécessité et la balance des avantages et inconvénients de l'opération.
Ces deux niveaux de contrôle se rejoignent peu ou prou, ce qui devrait permettre aux juridictions d'avoir une approche globale et cohérente dans l'appréciation de la légalité de la déclaration de projet valant RIIPM. Etant entendu, par ailleurs, que le débat juridique sur la légalité de la RIIPM ne peut avoir lieu qu'à travers le contentieux sur la déclaration de projet. La condition tenant à la RIIPM ne peut pas en effet, dans ce cas, être contestée à l'appui d'un recours contre l'acte accordant la dérogation (art. L. 300-6 C. urb.).
Il est à noter, enfin, qu'au-delà de la déclaration de projet, le nouvel article R. 411-6-2 précité prévoit un même dispositif pour les déclarations d'utilité publique (DUP) prises au titre de l'article L. 122-1-1 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. Sont notamment visées la DUP prise pour un projet industriel, et celle éventuellement prise pour les ouvrages électriques qui lui sont nécessaires.
Le débat juridique sur la légalité de la RIIPM ne peut avoir lieu qu'à travers le contentieux sur la déclaration de projet.
Projets d'intérêt national majeur
La loi Industrie verte a également prévu, dans un nouvel article L. 300-6-2 du Code de l'urbanisme, que certains projets peuvent être qualifiés d'intérêt national majeur (PINM) au regard de leur envergure lorsqu'ils revêtent une importance particulière pour la transition écologique ou la souveraineté nationale. D'après les travaux parlementaires, cela n'en concerne que quelques-uns par an. Il s'agit notamment de projets pour lesquels la France est en compétition mondiale (telles les gigafactories) et pour lesquels il est indispensable d'offrir aux investisseurs une stabilité et une prévisibilité suffisantes. L'article L. 300-6-2 précité prévoit qu'ils font l'objet d'une qualification par décret. A ce jour, cinq ont été déclarés PINM (décrets n° 2024-676 ; 2024-677 ; 2024-708 ; 2024-709 ; 2024-740).
Document d'urbanisme et permis de construire. Sauf lorsque le maire de la commune d'implantation s'y oppose, la mise en compatibilité du document d'urbanisme éventuellement nécessaire est menée par l'Etat selon une procédure accélérée. Pour ce faire, le porteur de projet fournit à ce dernier les éléments nécessaires à l'évaluation environnementale.
Au terme de la procédure incluant une participation du public, la mise en compatibilité est adoptée par décret. Cette procédure peut aussi valoir reconnaissance de la RIIPM en cas de dérogation espèces protégées. En outre, le décret du 5 juillet 2024 complète l'article R. 422-2 du Code de l'urbanisme afin d'attribuer à l'Etat la compétence pour délivrer le permis de construire.
En définitive, pour les projets relatifs à l'industrie verte, il existe une forte implication de l'Etat dans les procédures d'urbanisme, qu'il s'agisse de la modification des Scot et des PLU, ou des autorisations de construire. Il faut à présent espérer que les nouveaux outils, qui entrent en vigueur sans délai et viennent compléter d'autres dispositifs récemment mis en place (comme ceux sur les EnR et les friches), pourront rapidement être mobilisés en vue de faire émerger une industrie française entièrement renouvelée, pourvoyeuse d'emplois tout en étant à la hauteur du défi climatique.
Ce qu'il faut retenir
- La loi Industrie verte du 23 octobre 2023 et son décret du 5 juillet 2024 prévoient des dispositions pour faciliter l'implantation d'usines vertes.
- La déclaration de projet peut être mise en œuvre par l'Etat pour rendre compatible un document d'urbanisme dont le contenu empêcherait un projet relevant des secteurs des technologies favorables au développement durable.
- La déclaration de projet peut valoir reconnaissance de la raison impérative d'intérêt public majeur (RIIPM) pour l'obtention d'une dérogation espèces protégées. Le décret précise les informations essentielles à fournir à l'Etat.
- Certains projets peuvent être qualifiés par décret de projet d'intérêt national majeur pour lesquels l'Etat peut mettre en œuvre la procédure de mise en compatibilité du document d'urbanisme et délivrer le permis de construire.