Qui n’a pas encore entendu parler de logement abordable en cette quatrième année de crise de la demande qui est venue s’ajouter à celle de l’offre ? Depuis la fin de l’ère des taux très bas, l’expression anglo-saxonne « affordable housing » a bien été assimilée par les acteurs français. Des producteurs fragilisés par la chute des ventes aux bailleurs qui voient le nombre de candidats exploser, en passant par les décideurs politiques sommés par les professionnels d’intervenir : tous reprennent à leur compte ce concept flou.
Le Pôle Habitat FFB a créé une catégorie « logement abordable » pour l’édition 2023 de son challenge de l’habitat innovant. Une compétition annuelle entre projets portés par ses adhérents. Constructeurs de maisons, aménageurs fonciers, promoteurs et rénovateurs globaux sont invités à mettre l’accent sur « certains montages financiers ou opérationnels novateurs », comme le démembrement de propriété et l’accession progressive ou encore sur « de nouvelles approches technologiques et constructives pertinentes », explique la branche résidentielle de la Fédération française du bâtiment (FFB).
Leurs solutions visent aussi bien à « faciliter à nouveau l’accès au logement neuf » qu’à « permettre la mise sur le marché d’une offre locative à prix maîtrisés ». Les accédants et les investisseurs locatifs, ainsi que les occupants des logements sur lesquels ces derniers ont misé, entrent donc dans le périmètre du Pôle Habitat FFB.
Faut-il intégrer le logement intermédiaire ?
Pour Hexaom, un de ses adhérents, un logement abordable est un « logement accessible à ceux qui ont un budget restreint de prime abord mais qui ont envie de devenir propriétaire ». Sous le prisme du leader national de la construction de maisons individuelles vendues aux particuliers, « la combinaison de l’optimisation de la surface, du terrain et du financement » permet de répondre à la demande des accédants, « sans rogner sur la qualité des maisons », précise-t-il. D’autres leviers sont actuellement testés par Hexaom pour satisfaire cette cible. Outre le bail réel solaire (BRS), l’opérateur expérimente sa « maison prête à finir », dans laquelle le client se charge de la décoration et des sanitaires.
Chez un bailleur comme Action Logement, le périmètre choisi englobe aussi les locataires, son public historique. « Chez nous, le logement abordable comprend le logement social, le logement intermédiaire et les logements en accession sécurisée comme ceux acquis en bail réel solidaire (BRS) ou en location-accession. Il s’agit d’une définition informelle, le mot abordable n’ayant pas fait l’objet de définition stricte par nos services », confie une source au sein du premier bailleur social de France.
CDC Habitat se démarque avec un produit de niche : le logement abordable contractualisé (LAC). « Le LAC est un logement locatif libre, distinct du logement social et du logement intermédiaire, et réservé aux investisseurs institutionnels. Ces logements sont achetés à un prix décoté par rapport au marché libre (…) Ils sont ensuite mis en location au loyer de marché », explique le bailleur de logements sociaux, intermédiaires et libres.
Mais alors, quel intérêt pour les locataires ? « Le LAC propose une forme d’accession différée puisque le logement a vocation à être revendu à moyen-terme (entre 5 et 10 ans en moyenne), avec priorité donnée aux locataires occupants », poursuit la filiale de la Caisse des dépôts.
Chez les décideurs politiques, d’autres définitions sont proposées. Dans une circulaire du 25 août 2025 signée par François Bayrou à propos de l’offre locative étudiante à muscler, l’ancien gouvernement a intégré le logement intermédiaire : « Ce programme mobilisera plus de 5Mds€ pour engager la réalisation de 75 000 logements, aux 2/3 abordables (PLAI, PLUS, PLS, PLI). » Tous ces acronymes renvoient en effet à des prêts dédiés à la production de logements sociaux, très sociaux mais aussi intermédiaires.
De son côté, Valérie Létard, ministre du Logement démissionnaire depuis le 9 septembre, continue de travailler sur le sujet. Elle a ainsi participé à « une conférence de haut niveau sur le logement abordable et durable » organisé le 29 septembre à Copenhague par le ministère du Logement danois, l’Union européenne naviguant actuellement sous présidence danoise. La centriste était aux côtés de ses homologues européens (en exercice) et du commissaire chargé du logement, le Danois Dan Jorgensen.
En jeu : une manne de 10Mds€ sur deux ans, à distribuer à partir de 2026 aux collectivités locales des Etats membres. Les fonds transiteront par une « plateforme européenne d’investissement pour des logements abordables et durables », a annoncé en mars dernier la Commission européenne, dont le Pacte vert doit mener le Vieux continent vers la neutralité carbone.
Que faire de la dimension énergétique ?
Dans ce futur cadre, la Banque européenne d’investissement (BEI) travaillera avec les banques nationales de l’Union européenne (UE) et les institutions financières internationales. La BEI, dont les prêts servent aussi bien à soutenir la réhabilitation dans le bassin minier français que la production sociale polonaise, aura également pour mission « d’offrir des services de conseil et des appuis sur mesure qui couvriront toutes les étapes du cycle de projet et au-delà », a souligné le député socialiste espagnol Marcos Ros Sempere, dans un rapport sur la crise du logement en juillet dernier. « L’aide au logement abordable devrait donner la priorité aux conversions et aux rénovations plutôt qu’aux nouvelles constructions », a notamment suggéré l’architecte de profession.
Dans le cadre d’un appel à contribution lancé en juin dernier, la Commission a proposé de définir le logement abordable comme un « logement destiné aux ménages qui ne sont pas en mesure, en raison des résultats et notamment des défaillances du marché, d’accéder à un logement répondant à des niveaux minimaux de performance énergétique à des conditions abordables ».
Cette définition, susceptible d’être amendée au gré des exigences de chaque Etat membre, est plus vaste que celle proposée en mars dernier par la BEI : « Logement répondant à des normes de qualité appropriées, proposé à un prix inférieur au marché et destiné à aider les citoyens qui, en raison de leurs revenus ou de leurs contraintes sociales, ne sont pas en mesure d’obtenir un logement aux conditions du marché. »
La banque donnait même un plafond : les dépenses pour se loger dans une telle habitation ne devront « pas dépasser 40% du revenu net disponible des occupants ». Et d’ajouter : « d’autres critères nationaux ou locaux » pourraient être appliqués tels que les niveaux de revenus des travailleurs clés, issus de la défense ou de la santé. Et que des groupes comme Action Logement et CDC Habitat, en accord avec les précédents gouvernements, verraient bien dans leur parc en développement de logements intermédiaires.
Le logement social en sortira-t-il perdant ?
Pour l’Union sociale pour l’habitat (USH), qui fédère les différentes familles d’organismes HLM français, le logement social – dont la définition juridique européenne se base notamment sur le critère de solvabilité des occupants – risque de se retrouver pénalisé. « Il y a un risque d’attrition de l’offre à destination des ménages modestes », pointe Boris Petric, directeur juridique de l’USH. En clair, il redoute qu’une partie des fonds européens soutiennent le logement intermédiaire au détriment du logement social, dont le modèle économique suppose davantage d’aides.
La Commission lui a répondu qu’elle « veiller(a) à ce que les régimes de logement social existants dans l’UE ne soient compromis par aucun changement et que le soutien financier en faveur des logements abordables n’entraîne pas l’attrition des investissements dans le logement social ». Contactée, la Commission ne dit pas quand sa définition définitive sera annoncée.
En attendant, les chercheurs Marie Llorente, Françoise Navarre et Philippe Poinsot ont analysé les définitions des bénéficiaires français des fonds européens : les Etablissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Conclusion ? Le logement abordable peut correspondre au logement social en location uniquement ou bien au logement social dans son ensemble, donc en accession également. D’autres collectivités le voient comme un logement locatif intermédiaire (LLI), c’est-à-dire destiné aux classes moyennes. D’autres encore englobent tous les produits qui ne font pas partie du marché libre, donc incluent l’offre croissante en BRS des Organismes de foncier solidaire (OFS) agréés par l’Etat.