Interview

«Il y aura un ralentissement, mais nous continuerons à investir», Alain Resplandy-Bernard (directeur de l’immobilier de l’Etat)

Cités administratives, gendarmeries, ministères... Alain Resplandy-Bernard, directeur de l’immobilier de l’Etat, ne redoute pas la période de rigueur budgétaire. Comme la plupart des projets en cours, les chantiers de demain cocheront en grande majorité la case rénovation.

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Alain Resplandy-Bernard, dans les bureaux en flex office de la Direction de l'immobilier d'Etat (DIE) à Bercy, le 15 octobre 2024.
Alain Resplandy-Bernard, dans les bureaux en flex office de la Direction de l’immobilier de l’Etat (DIE) à Bercy, le 15 octobre 2024.

Dans quelle mesure le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 va-t-il freiner votre activité ?

Il y aura certes un ralentissement, mais nous continuerons à investir. Le programme 348 du PLF doté de 710M€ d’autorisations d’engagement (qui peuvent s’échelonner sur plusieurs années, NDLR) et 528M€ de crédits (à dépenser en 2025, NDLR) nous permet en effet de prolonger notre action. Il s’agit à la fois de poursuivre les chantiers en cours, comme la rénovation de la cité administrative de Nanterre (Hauts-de-Seine) qui fait l’objet actuellement d’appels d’offres, et d’en lancer de nouveaux, principalement de rénovation thermique, dans la continuité du plan de relance de 2020. D’autres crédits portent sur la réforme structurelle de l’Etat et de ses opérateurs, qui se traduit par une réduction de l’empreinte immobilière.

Justement, l’Etat doit libérer 25% de ses surfaces de bureaux entre 2023 et 2033. Où en êtes-vous ?

Il est trop tôt pour faire un point d’étape, notamment parce qu’une cession de site prend plusieurs années, après sa libération. Pour vous donner une idée : en 2023, nous avons cédé 645 biens pour un total de 279 M€. Ce qui a changé depuis l’annonce il y a un an de cet objectif, c’est que des bâtiments ont été ciblés par nos schémas directeurs immobiliers régionaux, tout juste validés. Ceux-ci prévoient une réduction de 12,5% des surfaces de bureaux de 2024 à 2028.

Outre la vente de sites domaniaux, quels leviers allez-vous actionner ?

En dix ans, nous devons passer d’une densité moyenne de 25 m² à 16 m² par agent

La résiliation de baux, sur six ou neuf ans, avec des foncières privées ou des collectivités, nous permettra de libérer la moitié des surfaces visées. Ensuite, il y a le flex office, dans les bâtiments qui nous appartiennent. Nous y allons progressivement depuis 2020, à commencer par notre direction elle-même, avec un taux de 0,8 poste par agent, contre 0,65 en moyenne pour le marché. C’est ce qui rend ce changement acceptable. La majorité des administrations appliquent encore leur schéma très hiérarchique à l’échelle du bâtiment. Il faut casser ce modèle, tout en respectant les cultures de chaque institution. En dix ans, nous devons passer d’une densité moyenne de 25 m² à 16 m² par agent. Cela peut sembler généreux vu du privé, mais nous avons des spécificités : locaux techniques pour les forces de sécurité intérieure, salle de réception des ambassades…

Dans le cadre de votre politique de cessions, pourquoi ne privilégiez-vous pas les bailleurs sociaux ?

Nous respectons le cadre législatif tout en répondant à la volonté politique de l’Etat de mobiliser son foncier pour l’offre de logements en général. Par ailleurs, les PLU imposent souvent une forte dose de logement social dans les programmes mixtes qui sortent de terre sur nos anciens fonciers. Mais attention : moins de recettes, parce que nous vendons moins cher à un bailleur social, c’est moins d’investissements dans la décarbonation des bâtiments de l’Etat. Un équilibre a été trouvé. De 2013 à 2023, 150 cessions ont permis la construction de 13 600 logements, dont 10 246 sociaux.

Où en est le projet de foncière d’Etat annoncé il y a un an ?

Un projet pilote, à travers une même entité, sera lancé au semestre prochain dans le Grand Est et en Normandie. Sa cible naturelle, c’est le bureau, mais elle pourra basculer vers d’autres classes d’actifs. Nous commencerons par des bâtiments actuellement occupés par les ministères de l’Intérieur et des Finances. Concrètement, l’Etat, propriétaire, va les céder à la foncière. Les actifs qu’elle détiendra seront ensuite loués aux administrations. C’est le modèle d’organisation de tous nos voisins européens, parfois depuis plusieurs décennies. Certains pays confient à leur foncière toutes les classes d’actifs. Son déploiement en France se fera sur de nombreuses années.

Qui décidera des travaux ?

A l’échelle de la région, ce sera toujours le préfet, dont relève la stratégie d’implantation des services. A l’échelle du bâtiment, ce sera la foncière. Il reviendra à sa gouvernance de décider d’un plan pluriannuel de travaux pour l’entretien et la décarbonation. Des transferts de compétences vers la foncière sont à prévoir. Cette personne morale publique sera sous la tutelle de la DIE, qui compte aujourd’hui 130 collaborateurs.

A combien estimez-vous le surcoût de la RE 2020 entre les seuils 2022 et 2025 ? Quelle conséquence sur les projets neufs ?

Il faut nous présenter un dossier extrêmement solide pour lancer un programme neuf !

Nous ne disposons pas de cette donnée. De toute façon, nous sommes peu concernés car nos besoins en construction neuve se limitent aux prisons, aux universités et, dans une moindre mesure, aux palais de justice. L’Etat a réorienté sa politique immobilière sur la rénovation lourde. Il faut vraiment nous présenter un dossier extrêmement solide aujourd’hui pour lancer un programme neuf !

Les décrets Bacs et tertiaire imposent de réduire et maîtriser les consommations énergétiques à travers les systèmes de gestion technique du bâtiment (GTB). Comment cela se traduit-il au sein de limmobilier de lEtat ?

Face au mur d’investissements, la GTB n’est pas une priorité dans notre début de chemin de décarbonation. Pour respecter la réglementation, on estime que les installations devront concerner 9 200 bâtiments pour un montant de travaux de 374M€. Nous en aurons sans doute davantage besoin à la fin du parcours, pour effacer les dernières tonnes de CO2 et atteindre la neutralité.

Plus largement, je ne crois pas que le super high tech soit la solution, je vois un décalage entre la promesse marketing des industriels et les kilowattheures économisés. Je leur dis : « Fournissez-moi d’abord des solutions low tech facilement appropriables par nos gestionnaires de bâtiments ». Nos ressources humaines étant limitées, nous ne pourrons pas recruter des spécialistes capables de piloter des tableaux de bord de sous-marins nucléaires.

Vous aviez annoncé en 2022 miser fortement sur le marché global de performance énergétique (MGPE). Quels résultats avez-vous obtenus ?

Les grands MGPE lancés sur une dizaine de cités administratives ou dans le cadre du plan de relance, pour l’Armée ou les universités par exemple, sont en phase de livraison. Notre constat, après quelques mois d'exploitation : ces projets ont tenu leur budget et leurs délais, et de manière plus efficace que ceux que nous avons pilotés en loi MOP. Mais l'heure de vérité sonnera après cinq, six ans d'exploitation : ces contrats auront-ils vraiment tenu la performance ? Et est-ce que nous aurons su la suivre et la piloter ?

Embarquez-vous des objectifs carbone dans vos MGPE ?

Non, uniquement des objectifs énergétiques. Nous réalisons actuellement un benchmark européen de la stratégie de décarbonation de l’immobilier de l’Etat financé par la Commission européenne. Certains pays du Nord ont intégré des critères carbone, c’est une piste intéressante. Par exemple, pour la rénovation d’un tribunal néerlandais nécessitant la construction d’un bâtiment temporaire, le cahier des charges prenait en compte la performance carbone. Ce qui laissait le choix aux candidats de faire du modulaire, du très bas-carbone à réemployer après, etc.

Aucun projet de MGPE avec tiers-financement, montage autorisé depuis mars 2023, n’est encore sorti pour l’Etat. Est-ce pour bientôt ?

Nous y travaillons avec l’université d’Aix Marseille, avec la gendarmerie, et avec le ministère des Armées sur leurs écoles. Ces projets sont en cours de conception, nous ne sommes pas encore prêts à interroger le marché. L’idée est d’expérimenter sur des opérations significatives, entre 50 et 100M€, et sur des actifs un peu similaires pour les regrouper. Le tiers-financement génère un surcoût de l'accès au financement par un partenaire privé. Donc il faut que l'État y gagne en qualité de la performance, en rapidité d'exécution, et qu'on le pilote vraiment. On ne va pas refaire les erreurs initiales des PPP…

Les gendarmeries, justement, affichent un retard dans leur remise à niveau. Que faire à l’heure de la rigueur budgétaire ?

Nous nous battons chaque année pour faire avancer ce sujet. La contrepartie, c’est l’effort de sobriété immobilière, car il sera impossible de remettre à niveau les 96 millions m2 que l'Etat occupe aujourd'hui. Les crédits annoncés pour 2025 nous rassurent. En 2024, la DIE apporte une contribution très significative à l'investissement de la gendarmerie. Lorsque les ministères nous présentent leurs projets de décarbonation, nous les départageons en fonction de critères comme le nombre de kwH économisés par euro investi, le nombre de mètres carrés libérables grâce aux travaux, et nous prenons alors 75% du coût, le reste échouant aux ministères. Pour la gendarmerie, nous finançons au-delà de ce seuil.

Début 2024, trois projets de rénovation et de reconstruction de cités administratives, à Melun, Brest et Tours, étaient suspendus. Les travaux ont-ils démarré ?

Ils ont été annulés. Pour Melun, les services préfectoraux ont décidé d’un changement de stratégie d'implantation. Pour les deux autres, les retards de projets ne pouvaient plus être rattrapés, le potentiel de densification de l’occupation et l’équilibre économique n’étaient pas au rendez-vous, pour permettre de rester à la fois dans le calendrier de cinq ans et dans l’enveloppe globale d’1Md€. Mais le reste du plan cités administratives, soit 36 opérations, est dans les clous ! Il ne reste que quelques livraisons sur l’année qui vient. Le budget est tenu, malgré la hausse des coûts, grâce à un pilotage très resserré.

Qu’avez-vous mis en place pour anticiper l’échéance d’août 2026 sur le verdissement des contrats publics fixée par la loi Climat et résilience ?

C’est un travail conjoint, piloté par la Direction des achats de l'État. Nous contribuons sur le segment immobilier pour étudier la faisabilité. Mais nous ne partons pas de zéro en termes d'incorporation de critères environnementaux ou de travaux bas-carbone ! Je n’ai pas d’inquiétude sur le sujet, la difficulté sera surtout de généraliser cela à tous les niveaux d’opérations.

L’ancien ministre de l’Economie Bruno Le Maire a fixé une « règle » en mars dernier : que tout investissement public dans l’immobilier prenne en compte l’adaptation au réchauffement climatique. Est-ce toujours d’actualité ?

C’est devenu un critère essentiel. Dans le périmètre pour lequel la DIE est décisionnelle, notamment l’immobilier tertiaire, il y a un processus de labellisation imposées aux porteurs de projet pour les constructions neuves, les grosses prises à bail, les travaux importants. Cela implique des analyses du scénario financier, du montage juridique, de l’impact énergétique et carbone… Nous y avons ajouté une analyse systématique de l’adaptation au changement climatique, en retenant l’hypothèse du +4° pour la France à horizon 2100. Nous poussons à des schémas de résilience jusqu’à 2070 plutôt que 2050.

Quid du volet atténuation du changement climatique ?

Nous demandons une analyse systématique de l’adaptation au changement climatique, en retenant l’hypothèse du +4° à horizon 2100

L’accent a été mis dessus ces dernières années. Mais ce n'est pas parce que vous avez réussi à avoir un bâtiment bien isolé, performant, qu'il est résilient dans un contexte de bouleversement climatique. Nous évaluons, avec les outils de Climate Company et de l’Observatoire de l'immobilier durable (OID), les actifs qui méritent des investissements et ceux qui, trop exposés au risque climatique, présentent des coûts d’adaptation trop élevés. Cependant l’effort demeure prioritairement porté sur l'atténuation du changement climatique ! La nouvelle feuille de route de transition environnementale de l’immobilier de l’Etat est en cours d’élaboration.

Par ailleurs un chantier interministériel vient d’être lancé sur la labellisation, pour à la fois étendre son périmètre, par exemple aux renouvellements de bail, et relever les seuils en dessous desquels les dossiers sont examinés en région. Ils sont aujourd’hui fixés à 5M€, et à 8M€ pour l’Ile-de-France. L’idée est de profiter de la maturité acquise par les services régionaux pour labelliser davantage d’opérations et ainsi s'assurer que tout l’investissement de l’Etat correspond à nos critères.

En matière de simplification du droit et des procédures, qu’attendez-vous du projet de loi SVE dont la discussion vient de reprendre au Parlement ?

Je suis un gestionnaire immobilier comme les autres. Je n’ai pas de demande spécifique à pousser dans ces travaux parlementaires. Ce que je ne veux surtout pas, c’est un régime de faveur, comme cela a pu se produire dans le passé. L’Etat ne doit pas s’exonérer de contraintes qu’il impose au reste de l'économie. En somme, je suis un bon test. Si je n’y arrive pas, c’est sans doute que la réglementation n’est pas adaptée !

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