Près d’un an après la mise en œuvre de la REP Bâtiment, les artisans du secteur sont très mitigés. Tous confirment que l’écocontribution est bien activée. « Les fabricants l’appliquent, et nous la payons sur chaque matériau acheté, explique Alexis Moreau, gérant de l’entreprise de rénovation tous corps d’état MB2 (5 salariés), implantée à Niort (Deux-Sèvres). Pour l’instant, les montants sont faibles, de l’ordre de quelques centimes par achat. Disons que c’est encore anecdotique. »
Émilien Michel, gérant de l’entreprise de travaux publics EMDE et vice-président de la Capeb Jura, estime quant à lui à 5 000 € le montant de l’écocontribution sur un chiffre d’affaires de 1,5 M€. Mais sans contrepartie, les déchets des TP n’entrant pas dans le périmètre de la REP Bâtiment : « Les déchets industriels banals (DIB), dont les prix grimpent fortement, ne sont pas inclus dans la REP. Or notre entreprise de terrassement produit 10 000 tonnes de gravats par an, que nous déposons dans une ancienne carrière transformée en décharge de déchets inertes. Nous devons les payer au tarif de 3 à 4 € par tonne, ce qui induit un coût important. »
Une écocontribution difficile à répercuter
Chacun a bien saisi que l’écocontribution allait suivre une courbe haussière qui ne semble pas, elle, anecdotique. Philippe Pichon, dirigeant de Body Menuiserie (15 salariés) à Bressuire (Deux-Sèvres), vient d’apprendre que son montant va quintupler : « Nous payons l’écocontribution à l’ouvrage, comme un prélèvement à la source, jusqu’à présent de l’ordre de 0,50€, qu’il s’agisse d’une menuiserie de salle de bains ou d’une baie vitrée. Au 1ermai, nous allons passer à 2,50€ et il faudra plus ou moins l’intégrer dans le prix de nos prestations. »
Alexis Moreau partage cet avis : « Cette écocontribution va forcément augmenter, de façon progressive souhaitons-le, mais c’est l’une des conditions de viabilité des éco-organismes. Un jour, elle représentera 5% de nos devis. Or, cette forme de TVA n’est pas entrée dans les mœurs, mais il faudra bien la répercuter dans nos devis, à condition que cela reste cohérent pour les clients et, bien sûr, pour les entreprises ! »
Pour Jonathan Balmisa, dirigeant de l’entreprise de maçonnerie JMB (12 salariés) à Margon (Hérault), « l’écocontribution est un coût supplémentaire qui n’est pas aisément identifiable, et difficile à répercuter en raison de la hausse du coût des matériaux et fournitures ». Et de s’interroger : « Où va l’argent depuis que nous la payons ? En tout cas, pas dans les points de collecte ! » Selon Ecomaison, pour 1 € d’écocontribution, 75 cts financent le recyclage, 3 cts l’innovation et 18 cts les partenaires de la collecte, les collectivités et associations. Seuls 4 cts iraient « aux frais de fonctionnement ». Il est donc difficile de contredire les artisans agacés du manque de reprise sans frais de leurs déchets.
Une collecte gratuite encore insuffisante
La situation fait grincer des dents en raison d’une absence ressentie ou réelle de contrepartie (les fameux points de collecte) au paiement, bien réel, de l’écocontribution. L’équation supposée sans inconnue s’est grippée et complexifiée. En novembre 2023, les organisations professionnelles avaient pointé du doigt cette insuffisance de sites de collecte, dont le nombre prévu par arrêté ministériel était a minima de 2 419 au 31 décembre 2023.
La FFB qui, par la voix de Olivier Salleron, son président, demandait à se remettre « autour de la table avec le gouvernement pour trouver des solutions visant à rendre le système plus efficace en maîtrisant les coûts », appelait aussi les éco-organismes « à accélérer le déploiement du maillage territorial en points de reprise des déchets ». Quant à la Capeb, elle constatait « le nombre et la répartition des points de collecte très éloignés des entreprises qui travaillent en proximité (parfois seulement deux ou trois par département) notamment dans les zones rurales ».
Interrogée sur ce sujet, Marie Laurentin, chargée de mission environnement à la FFB 79, pose un constat sans fard : « Les entreprises sont perdues et demandent l’application d’un maillage précis, 10km en agglomération et 20km hors agglomération. Certains distributeurs commencent à être référencés en points de collecte, mais chacun a l’impression de payer l’écocontribution sans garantie de reprise gratuite. » Le constat vaut au niveau national. « Nous notons une forte crispation sur le terrain, de nombreux entrepreneurs se disent prêts à manifester pour protester contre l’application de la REP Bâtiment, explique la FFB. Les difficultés sont exactement les mêmes qu’il y a six mois. »
Des situations contreproductives
Des artisans confirment. « Nous sommes en période de flottement, estime Alexis Moreau, tout le monde a l’impression que c’est inorganisé. In fine, nous payons deux fois : l’écocontribution et le manque de points de collecte gratuits proches. » De son côté, Philippe Pichon pensait avoir trouvé la solution via un fabricant organisé pour collecter gratuitement les menuiseries. Las, en octobre 2023, celui-ci annonce qu’il ne reprendra plus « les vitrages seuls, les dormants, portails, volets bois, etc. » Pour le gérant de Body Menuiserie, la situation est délicate, cette liste représentant 20 % de ses déchets. Le menuisier s’est rapproché d’autres points de collecte agréés, mais a eu la surprise d’être refoulé par l’un d’eux, distributeur national, pour une raison étonnante : «On m’a dit : "vous n’êtes pas client, vous ne pouvez pas déposer !" Ce n’est pas conforme à la règle.»
Aujourd’hui, le maçon Jonathan Balmisa en vient à regretter ce qu’il avait pu mettre en œuvre pendant la crise sanitaire, en 2020 : « Toutes les déchetteries étant fermées, nous avions trié et stocké nos déchets de chantier sur place. Ainsi, nous avons réuni 5 000 tonnes que nous avons fait concasser sur place, réutilisées pour le compactage des sols. Aujourd’hui, nous devons payer le dépôt de nos déchets, car, sauf erreur, aucun de mes distributeurs ne propose de point de collecte gratuit ! Cela me serait utile quand je retire par exemple 200 m² de plancher bois ! »
Si les artisans interrogés veulent bien comprendre le flou dû à cette période transitoire, certains s’inquiètent d’une absence prolongée de points de collecte suffisants. « Nous ne le ferons jamais, mais je connais des petites entreprises du bâtiment qui n’attendent pas que la prise en charge gratuite arrive et n’hésitent pas à déverser leurs déchets dans la nature, indique l’un d’eux. C’est catastrophique ! » Le résultat serait alors exactement inverse à l’esprit de la loi du 10 février 2020, qui avait justifié la mise en place de la filière REP PMCB autour de deux axes, dont celui de « réduire les dépôts sauvages en améliorant la collecte par la reprise sans frais des déchets, la densification du maillage des points de collecte, et l’amélioration de la traçabilité ». Un comble.
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- Quelques exemples d’éco-participation
Les éco-organismes affichent leurs barèmes d’écocontribution (certains revalorisés au 1er mai 2024) avec des références classées par familles de produits et consultables en ligne. Valobat établit l’écocontribution des peintures, lasures et vernis à 77,19 € HT la tonne (en conditionnement > 25 l ou 30 kg), celle d’un isolant laine de verre à 25,20 € HT/tonne, du ciment à 6,27 € HT/tonne. Ecomaison prévoit 1 € sur une baignoire métal ou 1,50 € pour une version monorésine ; 0,19 € par m² de panneau de particules de moins de 10 mm d’épaisseur ou 0,54 € s’il est supérieur à 22 mm. Ecominéro affiche les tuiles plates à 0,75 € HT la tonne. Valdelia indique la menuiserie avec châssis bois à 0,06 € HT/kg.