Interview

«Les promoteurs immobiliers n’ont pas besoin d’un choc d’offre», Pascal Boulanger (FPI)

Il faut d’abord traiter la crise de la demande avant de chercher à créer un choc d’offre, comme promis par le gouvernement, soutient Pascal Boulanger, le président de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI), dont les adhérents souffrent depuis plus d’un an et demi.

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Portrait de Pascal Boulanger, président de la FPI
Pascal Boulanger, dans son bureau de président de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI), à quelques pas de l’Assemblée nationale à Paris.

La commercialisation de logements neufs est portée depuis un an et demi par la vente en bloc, principalement aux bailleurs sociaux. Ce modèle peut-il être pérenne ?

C’était une bouffée d’oxygène, pas une solution de long terme. Nous vendons à perte et exceptionnellement à prix coûtant. Certes, la vente en bloc aux bailleurs sociaux permet de lancer le programme, mais il faut bien garder à l’esprit qu’ils ne l’achètent pas en entier. Dès lors, que faire des logements qu’il reste à vendre s’il n’y a pas d’acheteurs ? De nombreux promoteurs sont confrontés à cette situation. En outre, Action Logement et CDC Habitat [qui ont commandé respectivement 30 000 et 17 000 logements au second semestre 2023, NDLR] ne pourront pas financer un nouveau plan d’achat massif.

Le Secrétariat à la planification écologique conseille de produire 360 000 logements par an maximum. Avez-vous le sentiment que le gouvernement ait pris la mesure de la crise ?

Nous n’avons pas les mêmes chiffres. Les études à disposition, de la FPI, de l’Unam ou de l’USH, montrent que le besoin réel en nouveaux logements par an est compris entre 400 000 et 518 000. A mon sens, le gouvernement a mathématiquement raison mais factuellement tort, car il prend en compte la remise sur le marché de logements vacants situés dans la diagonale du vide qui ne trouveront pas preneurs.

Pourquoi ces biens ne rencontreraient-ils pas la demande ?

Prenons un exemple concret. Le prix moyen dans le neuf à Lille s’élève à environ 6000€/m². A 50 minutes de là, à Maubeuge, il est possible de se loger dans l’ancien pour moins de 1000€/m². Pourtant personne n’achète ces biens. Il ne faut donc pas les comptabiliser comme étant toujours sur le marché. Il y a une nécessité de construire là où il y a des besoins, une envie.

Mais pour construire, il faut d’abord débloquer le marché. Par quel bout s’attaquer au problème ?

La demande est au ralenti depuis novembre 2022, ce qui pousse les promoteurs à retirer des projets pourtant prêts à être lancés faute de demande solvable. Ce sont autant de nouveaux logements qui manqueront dans trois ans, mais l’urgence ne consiste pas à créer un choc d’offre comme le souhaite le Premier ministre, Gabriel Attal. La situation est très différente d’il y a un an, quand le délai d’écoulement moyen des promoteurs était de dix mois. Nous en sommes aujourd’hui à vingt-deux mois… Il faut donc travailler prioritairement sur la demande. Et quand elle sera de retour, il faudra traiter dès le lendemain la question de l’offre. Pour inciter les maires à délivrer des permis de construire, nous suggérerons notamment de partager la TVA issue de la vente d’un logement neuf entre l’Etat et la commune, dès lors que celle-ci a délivré plus de permis de construire que sa moyenne des dernières années. L’Etat serait gagnant puisque c’est une motivation pour générer davantage de recettes fiscales.

Dans le contexte de restrictions budgétaires actuel, quelles mesures efficaces peut-on se permettre pour traiter la crise de la demande ?

Pour agir sur la demande, commençons par l’instauration d’un prêt hybride – une idée gratuite pour l’Etat et qui plaît de surcroît aux ministres Guillaume Kasbarian et Christophe Béchu. Il s’agirait de prendre en compte le foncier dans le prix du logement. Mettons qu’il pèse 20 %, je ne rembourserais alors que les intérêts sur 20 % du montant total prêté. Le crédit immobilier, lui, serait remboursé à 100 % à la fin de la durée d’emprunt ou à la vente du bien. La portabilité du prêt est une autre solution qui ne coûterait rien à l’Etat. Grâce à elle, un propriétaire qui déciderait de vendre pour acheter un nouveau bien conserverait les mêmes conditions de crédit que celles qui lui avaient été faites lors du financement du logement qu’il remet sur le marché.

Pour compenser ce manque à gagner, les banques ne risquent-elles pas d’augmenter les taux des nouveaux crédits immobiliers ?

J’ai discuté de cette proposition avec Nicolas Namias, le président du directoire de BPCE et il a promis de me recontacter. Je suis relativement confiant car c’est le métier et le modèle des banques que de prêter de l’argent. Si elles n’octroient plus de crédits immobiliers, elles ne conquerront plus de nouveaux clients.

Suggérez-vous d’autres leviers qui ne grèvent pas les finances publiques?

A mon sens, les règles d’octroi de crédits immobiliers fixées par le Haut conseil de stabilité financière (HCSF) doivent être assouplies en pondérant le taux d’endettement maximum de 35% en fonction du reste à vivre des ménages et non de leurs revenus. Des particuliers aisés pourraient ainsi se retrouver en capacité d’acheter, sans entraîner des risques de non-remboursement. Nous proposons également une exonération temporaire, de 18 mois par exemple, sur les droits de donation et succession, s’ils ont vocation à financier l’achat d’un logement neuf. Un plafond de 150 000€ pourrait être fixé. Cette mesure transitoire, qui a déjà été prise lors de la crise immobilière des années 1990, rapporterait tout de suite à l’Etat puisqu’un logement neuf vendu, c’est 20% de TVA. Et c’est du pouvoir d’achat en plus pour les ménages bénéficiaires qui veulent acheter.

Pensez-vous que le gouvernement puisse retenir vos propositions ?

Même si je me doute bien que toutes les mesures ne seront malheureusement pas acceptées, je vais continuer à faire entendre notre voix. Guillaume Kasbarian et Christophe Béchu ont tous deux compris les enjeux. Reste maintenant à convaincre l’Elysée et Bercy, qui sont persuadés que les promoteurs s’adapteront à la crise et finiront par baisser leurs prix. Or, ceux-ci ont encore augmenté de 1,9% au premier trimestre 2024 par rapport au T1 2023. Et pour cause. Nos marges, de 5% environ, sont trop faibles, à cause des normes, de la cherté des matières premières... Si nous les baissons, les banques ne nous financeront pas car le projet sera jugé trop risqué. Je rappellerai cette réalité à l’occasion de notre congrès annuel le 27 juin à Marcq-en-Baroeul (Nord).

Des solutions peuvent également venir des territoires. Que pensez-vous des plans de soutien annoncés par des métropoles telles que Lyon, Montpellier, Rennes… ?

Certaines métropoles sont à l’initiative mais d’autres continuent de nous mettre des bâtons dans les roues avec des chartes qui renchérissent le coût de construction. Je dis aux collectivités mais aussi aux aménageurs publics : ce n’est pas le moment de remettre une couche administrative qui s’entrechoque avec le discours gouvernemental de simplification au nom de la réduction des coûts.

Quelle suite allez-vous donner à l’Alliance pour le logement, qui regroupe les promoteurs, les bailleurs sociaux, les économistes de la construction… pour stimuler le gouvernement ?

Nous allons continuer à nous mobiliser. Ce ne sont pas des menaces, mais notre base gronde. A la FPI, des adhérents me font part chaque jour de leur souffrance. Certains pensent que le gouvernement ne connaît que le combat. Je ne suis pas aussi tranché et veut croire que des solutions peuvent encore être trouvées par la discussion et non par des manifestations comme dans le monde agricole.

Lorsque le marché répartira, les promoteurs auront-ils toujours les moyens humains pour suivre ?

Il est certain que des compétences manqueront. Je pense en particulier aux monteurs d’opérations, qui se forment sur le tas, faute d’écoles dédiées. Actuellement, ceux qui partent en retraite ne sont pas remplacés. Les autres qui nous quittent ne rebondissent pas chez des concurrents puisque personne n’embauche, mais se tournent vers d’autres métiers. Nous allons au-devant d’une pénurie de compétences qui touchera les promoteurs, mais aussi les architectes, les carreleurs, les déménageurs, les installateurs de cuisines… qui tous réduisent leurs effectifs.

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