Dans quelle mesure avez-vous fait évoluer les CCAG à la suite de la consultation publique qui s’est achevée début février ?
Il faut rappeler que dès le lancement de la réforme, en septembre 2019, nous avons mis en place des groupes de travail thématiques regroupant des fédérations professionnelles, différentes catégories d’acheteurs publics et des experts, soit plus de 200 personnes. D’autre part, avec la consultation publique, nous avons récupéré 250 contributions très précises. L’ensemble nous a permis d’enrichir et d’adapter les CCAG.
Par exemple, nous avons eu des discussions sur la clause de propriété intellectuelle et plus particulièrement sur la description des connaissances antérieures du prestataire. Sur la clause sociale d’insertion, les échanges avec les experts nous ont permis d’identifier de façon exhaustive tous les publics éligibles au dispositif ainsi que les modalités d’association des facilitateurs pour la mise en œuvre de la mesure sur le terrain. Autre exemple : grâce aux fédérations professionnelles, nous avons pu affiner la clause de réexamen pour qu’elle soit efficacement mobilisable en cas de circonstances imprévisibles qui rendraient l’exécution du marché plus difficile.
Les objectifs fixés lors du lancement des travaux de refonte des CCAG vous semblent-ils atteints ?
La modernisation des CCAG était nécessaire au regard de deux objectifs, qui sont parfaitement atteints. Leur actualisation vis-à-vis du droit positif, marqué notamment par l’entrée en vigueur du Code de la commande publique. Nous voulions également sécuriser et améliorer les relations contractuelles dans un domaine où nous savons qu’elles peuvent être asymétriques et ce, bien souvent au détriment des entreprises. C’est dans cette optique que nous avons adopté, à titre d’exemple, le plafonnement des pénalités de retard à 10 % du montant du marché. Ce nouvel équilibre devrait bénéficier in fine aux entreprises, mais aussi aux acheteurs publics dans la sécurisation de leurs procédures.
Par ailleurs, les nouveaux CCAG intègrent des dimensions essentielles : le développement durable, la prise en compte de la dématérialisation, du RGPD, ou encore la crise sanitaire et ses enseignements.
Certains acheteurs ont d’ores et déjà indiqué leur intention de déroger, dans les documents particuliers de leurs marchés, à ce plafonnement des pénalités de retard à 10%. Que leur répondez-vous ?
Les CCAG sont fondamentaux pour la bonne exécution des marchés publics, et la clause que nous avons rédigée correspond à une analyse approfondie de la réalité des déséquilibres constatés ces dernières années. Évidemment, notre souhait est qu’un maximum d’acheteurs publics applique les CCAG tels quels, d’autant plus qu’ils ont été bâtis en concertation. Néanmoins, la bonne exécution d’un contrat spécifique peut impliquer la dérogation à certaines clauses. C’est là tout l’intérêt d’avoir une colonne vertébrale générique, à laquelle s’ajoute la possibilité, au travers des CCAP, d’apporter des spécificités liées au marché. Il faut maintenir cette capacité de dérogation et la liberté contractuelle.
Cependant, j’attire l’attention des acheteurs publics sur le fait qu’en imposant des clauses exorbitantes et, a fortiori, déséquilibrées, l’exécution du contrat peut s’avérer en réalité plus onéreuse. L’expérience le montre. Car des risques supplémentaires engendrent des prix à la hausse. C’est en ce sens que j’ai demandé à mes services la rédaction d’un guide pratique pour éclairer les acteurs, et éviter que ceux-ci, faute de connaissance des nouveaux CCAG, ne soient tentés d’y déroger par sécurité. Il devrait paraître d’ici le mois d’octobre, en complément de la notice publiée en même temps que les CCAG.
Au départ, ce plafonnement devait porter sur tous les types de pénalités, mais finalement il ne concerne que les pénalités de retard. Pourquoi ce changement ?
Là encore, c’est le résultat de l’expérience, l’analyse des cas de contentieux et des retours de la consultation publique. Nous nous sommes focalisés sur les pénalités de retard, car les autres sujets apparaissaient très hétérogènes selon les contrats et liés à leur spécificité. Il était donc difficile de dégager une règle commune.
Le volet développement durable tient une place de premier plan dans la réforme des CCAG. Comment va-t-il s’articuler avec le projet de loi Climat et Résilience actuellement en discussion au Parlement ?
Pour une fois, le travail réglementaire anticipe celui de la loi. La réforme des CCAG permet en effet un renforcement de la prise en compte du développement durable. Elle conduit à insérer dans tous les CCAG des clauses environnementales (transport, gestion des déchets, etc.), ainsi qu’une clause d’insertion sociale optionnelle qui pourra être activée par les acheteurs dans les documents particuliers des marchés.
Ainsi, lorsque l’article 15 du projet de loi Climat et Résilience, qui prévoit l’obligation d’ici cinq ans, pour l’acheteur, de fixer des conditions d’exécution prenant en compte des considérations relatives à l’environnement, sera adopté, l’acheteur bénéficiera, grâce aux CCAG, d’un instrument prêt à l’emploi.
Certains acheteurs, généralement les plus petits, craignent d’avoir des difficultés à mettre en œuvre cette obligation de clauses environnementales. Comment les rassurer ?
C’est tout l’enjeu des CCAG : mettre à disposition des acheteurs publics des outils clés en mains, conformes au droit, et qui leur évitent de mobiliser des expertises dont ils ne disposent pas toujours. C’est en partie pour cette raison que nous plaidons pour un délai de cinq ans dans la loi pour la mise en œuvre de cette obligation car, en parallèle, nous allons sensibiliser les acheteurs au travers de guides pratiques et les former.
Ces derniers pourront aussi déroger à la clause du CCAG en écrivant leurs propres clauses environnementales. Parfois, il suffit juste de se poser des questions extrêmement simples pour les rédiger.
Ce délai de cinq ans n’est-il pas trop long ?
Il faut prendre en compte la grande diversité des personnes publiques, de leurs ressources et de leur niveau d’expertise. Le risque d’imposer trop rapidement des clauses environnementales est de voir se développer, notamment de la part de gros fournisseurs, du « greenwashing ». Ils pourraient mettre en avant des labels ou des chartes environnementales qui ne traduisent pas vraiment la réalité de leurs performances environnementales. Nous souhaitons, au contraire, monter collectivement le niveau de jeu sur l’expertise environnementale qui doit devenir à terme aussi pointue que l’expertise juridique et économique.
Il faut aussi que les exigences environnementales ne créent pas des barrières à l’entrée pour les PME/TPE, qui sont bien souvent mieux-disantes en matière de développement durable mais ne disposent pas nécessairement des certifications ISO ou des labels pour l’afficher.
Est-il envisagé de rendre de la même façon la clause sociale impérative dans tous les marchés ?
Nous avons fait le choix, pour le moment, de la rendre optionnelle dans les CCAG car il y a encore une certaine impréparation des acteurs. Mais nous n’écartons pas l’idée de la rendre obligatoire et donc de revisiter ces documents d’ici 24 ou 36 mois. L’idée est de se dire que plus il y aura de clauses sociales, plus le volume d’heures sera important et permettra de professionnaliser les acteurs de l’insertion sociale – et de rendre la contrainte transparente pour les acheteurs comme pour les entreprises titulaires.
Par ailleurs, il y a des débats dans le cadre du projet de loi Climat et Résilience pour aligner le sort des clauses d’insertion sur celui des clauses environnementales... Mais c’est plus compliqué, car la clause d’insertion est un jeu à trois, entre les acheteurs, fournisseurs et entreprises de l’insertion. Par ailleurs, le droit européen exige que toute clause contraignante soit en lien avec l’objet du marché.
Un nouveau CCAG relatif à la maîtrise d’œuvre fait son apparition. Répond-il aux attentes de la profession qui, jusqu’alors utilisait le CCAG prestations intellectuelles ?
Le CCAG MOE est le fruit d’une concertation étroite entre les acheteurs et les acteurs de la construction. De nombreux thèmes ont été abordés tels que le prix révisable, l’instauration d’un dispositif de décompte général définitif sur le modèle du CCAG travaux, le seuil de tolérance attaché aux engagements et une articulation des clauses avec le CCAG travaux concernant les tâches dévolues aux maîtres d'œuvre durant l’exécution des marchés. Il répond donc bien aux attentes du secteur.
La création d’un CCAG relatif aux marchés globaux a, un temps, été envisagée. Ne regrettez-vous pas de ne pas être allée au bout ?
Il n’y a pas de regret car dès le début des travaux ce n’est pas apparu comme une priorité. En effet, même si ce type de marché se développe, au fond ils correspondent à une somme de différents marchés. La mise à jour des CCAG par type de marché apparaît donc suffisante. Et la réforme a introduit, à titre exceptionnel et pour ces seuls marchés globaux, la possibilité de faire référence à plusieurs CCAG. Là encore, nous préparons un guide pédagogique pour aider les acheteurs publics à combiner au mieux divers CCAG.
Les nouveaux CCAG entrent en vigueur ce 1er avril. La durée de validité des CCAG actuels est-elle prolongée pour laisser le temps aux acteurs de les apprivoiser ?
À compter du 1er avril, tout acheteur peut utiliser les nouveaux CCAG. Il pourra également continuer de fonctionner avec les anciens CCAG jusqu’au 1er octobre 2021. D’ailleurs, nous avons décidé que, par défaut, jusqu’à cette date, ceux de 2009 (amendé en 2014, pour le CCAG travaux) restent ceux applicables.
Mais rien n’interdit dans l’intervalle, pour ceux qui le souhaitent, de piocher dans les nouveaux documents. Des évolutions apportées dans les CCAG 2021 pourront être reprises dans les documents particuliers. Par exemple, pour les clauses environnementales, il peut être intéressant de s’y référer dès le 1er avril.