Avec la loi du 25 juillet 2023, le Parlement a autorisé le gouvernement à prendre par ordonnance toute une série de mesures afin d’accélérer la reconstruction ou la réfection des bâtiments touchés par les émeutes survenus entre le 27 juin et le 5 juillet 2023. Pour rappel, ce texte prévoit la création d'un cadre juridique d’exception en matière d’urbanisme, de commande publique et de financement des opérations de reconstruction. La première ordonnance, publiée le 27 juillet 2023, détaille les dérogations en matière de commande publique, tandis que la Direction des affaires juridiques (DAJ) de Bercy édite une fiche technique pour expliciter sa mise en oeuvre.
Un régime circonscrit
Rappelons que le régime d’exception prévu par la loi n’est que temporaire. L’ordonnance précise ainsi que les dérogations aux règles de la commande publique ne sont applicables que pour une durée de 9 mois à compter de son entrée en vigueur, soit jusqu'au 28 avril 2024. Surtout, elles ne concernent que « les marchés de travaux soumis au Code de la commande publique (CCP) nécessaires à la reconstruction ou la réfection des équipements publics et des bâtiments affectés par des dégradations ou destructions liées aux troubles à l’ordre et à la sécurité survenus entre le 27 juin et le 5 juillet 2023 ».
La fiche technique de la DAJ apporte des précisions sur ce qui doit être entendu comme étant des équipements publics et des bâtiments. Ainsi les équipements publics sont « les ouvrages relevant des compétences normales d'une collectivité publique et destinés à l'usage ou au bénéfice du public ». Sont cités notamment la voirie, les réseaux, les abribus ou encore les équipements sportifs ou culturels. Les bâtiments quant à eux recouvrent « les bâtiments publics tels que les mairies, les commissariats, les écoles, les médiathèques ou tout autre bâtiment dont la maîtrise d'ouvrage est assurée par un acheteur soumis au CCP, que son statut soit public ou privé (notamment les immeubles HLM).»
Pas de publicité en dessous de 1,5 million d’euros H.T.
L’article premier de l’ordonnance autorise les acheteurs à conclure sans publicité mais avec mise en concurrence préalable les marchés de travaux mentionnés précédemment. Le seuil de dispense de publicité, qui a fait l’objet de discussions lors des débats au Parlement, est fixé à 1,5 million d’euros H.T. Cette dérogation à la publicité préalable s’applique aussi aux lots dont le montant est inférieur à 1 million d’euros H.T., à condition que le montant cumulé de ces lots n’excède pas 20 % de la valeur totale estimée de tous les lots.
Bercy alerte tout de même les acheteurs : cette dérogation n'est pas un blanc-seing . Ils sont invités à « se rapprocher d'au minimum deux opérateurs économiques » et à organiser la mise en concurrence « de manière à garantir le respect des principes fondamentaux de la commande publique », en particulier l'égalité de traitement des candidats et le bon usage des deniers publics.
Faciliter le recours aux marchés globaux
Le texte (art. 2) crée aussi une exception générale au principe d’allotissement des marchés (articles L. 2113-10 et L. 2113-11 du CCP). Le rapport au Président qui accompagne l’ordonnance précise que cette dérogation s’applique aux marchés de travaux déjà cités, sans condition de montant. Les acheteurs peuvent ne pas allotir ces marchés « sans avoir à démontrer qu’ils se trouvent dans l’une des exceptions prévues dans le Code de la commande publique (CCP) ».
L’article 3 prévoit quant à lui la possibilité pour les maîtres d’ouvrage de conclure un marché de conception-réalisation pour les travaux de reconstruction et de réfection liés aux émeutes. Pour rappel, le marché de conception-réalisation est un marché de travaux permettant de confier à un opérateur économique une mission portant à la fois sur l’établissement et l’exécution des travaux (article L. 2171-2 du CCP). Ce marché global, qui déroge au principe d’allotissement, ne peut être conclu que « si des motifs d’ordre technique ou un engagement contractuel portant sur l’amélioration de l’efficacité énergétique ou la construction d’un bâtiment neuf dépassant la réglementation thermique en vigueur rendent nécessaire l’association de l’entrepreneur aux études de l’ouvrage ». Dans le cadre de l’ordonnance, un marché de conception-réalisation peut être conclu sans que ces conditions ne soient remplies.
La DAJ tire de ces deux dispositions la possibilité pour les acheteurs de conclure des marchés globaux de performance (article L. 2171-3 du CCP). Ces contrats permettent « d'associer l'exploitation ou la maintenance à la réalisation ou à la conception-réalisation de prestations afin de remplir des objectifs chiffrés de performance. »
Enfin, Bercy rappelle que le recours aux marchés globaux doit nécessairement respecter l'obligation de l'article L. 2171-8 du CCP qui impose au titulaire de confier une part de l'exécution du marché à des PME ou à des artisans.
D’autres règles peuvent être mobilisées
Ces dispositions, spécifiques aux émeutes, complètent les dispositifs déjà existants pour permettre la conclusion de marchés publics dans des délais restreints : le régime de l’urgence impérieuse (article R. 2122-1 du CCP) qui est d’interprétation stricte, et le seuil provisoire de 100 000 euros H.T. en-dessous duquel peuvent être conclus sans publicité ni mise en concurrence les marchés de travaux (jusqu’au 31 décembre 2024). La circulaire de la Première ministre du 5 juillet était venue rappeler les conditions dans lesquelles ces règles peuvent être mobilisées.
Restent attendues les ordonnances relatives à l’adaptation des règles d’urbanisme et à l’adaptation des règles de financement des travaux conduits par les collectivités territoriales.